Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Trop beau, trop long, le film américain !


Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com
Kadhafi accuse les mutins libyens d'être sous l'effet des hallucinogènes, psychotropes et autres substances dynamogéniques. Il n'a peut-être pas entièrement tort, car si j'étais libyen, j'en ferais un usage franc et massif, pour décupler ma colère contre cette famille de Bédouins qui a fait main basse sur tout un pays.
Et avec ça tellement farauds que les spécialistes en ablutions rituelles en sont à se demander avec quoi ils se lavent le visage chaque matin. D'abord, il y a le fils, l'héritier présomptif, et qui porte un nom surgi du fond des âges, Seïf-Al-Islam, le «Glaive de l'Islam», rien que ça. Il en faudra pas se demander ensuite pourquoi avec de tels prénoms guerriers l'Occident nous regarde avec suspicion. Ce qui est tout à fait légitime, au demeurant, à voir la façon dont s'expriment certaines lames de l'Islam belliciste. Donc, Seïf-Al-Islam Kadhafi, ou El-Gueddafi pour faire plus altier, a fait comme tous les dirigeants arabes lâchés par leurs amis et acculés par leurs peuples. Il a enfin reconnu qu'en quarante ans de règne, son père Mouammar n'avait fait que rassembler autour de lui un conglomérat de tribus. «Nous ne sommes que des tribus, mais des tribus armées», a-t-il proclamé sur les écrans de télévision, donnant à ses propos une dimension surréaliste. Intervenant deux jours plus tard, le père Kadhafi a tenu des propos aussi hallucinants que les excitants dont il accuse les effets néfastes sur son peuple. Mouammar avec sa drôle de dégaine, Ubu en son camion, avec son grand parapluie ouvert contre le mauvais œil, et proclamant sa volonté de vaincre ou de mourir. Encore une leçon qu'il aura mal assimilée de Boumediène qui l'a aidé à se maintenir en selle il y a quarante ans. Le maître passera sans doute à l'Histoire comme un bâtisseur en dépit des piranhas qu'il nous a laissés en héritage. L'élève est un vrai Bédouin, à peine maquillé d'Islam urbain, et qui rêve d'immenses torchères sous lesquelles il brûlerait en compagnie de son peuple. Quelle part de lucidité et de folie faut-il accorder à un homme qui affirmait, il y a quelques jours, qu'«un peuple qui n'aime pas Kadhafi n'est pas un peuple qui mérite de vivre». Comme les temps ont changé ! Les héritiers de Boumediène ne peuvent plus voler au secours de Kadhafi, l'allié de toujours(1) dont on excusait toutes les frasques. La Libye qui fait la révolution contre le «Père de la révolution», c'est la revanche posthume de notre cousin, le roi Idriss, à qui je demande encore une fois pardon. C'est sa revanche, puisque son drapeau flotte sur toutes les villes libérées, mais cette revanche, elle a un goût d'inachevé, et même d'équivoque. Depuis que le monde arabe bouge, qu'il conteste ses dictateurs et leurs mandats renouvelables par tacite reconduction, des voix s'élèvent pour dénoncer un «complot américain». Ce qui arrive, en effet, est à la fois trop beau, trop rapide, et trop inattendu pour être vrai. A reprendre le film des évènements qui se déroulent depuis plusieurs semaines, on a l'impression de voir un film américain de politique fiction, comme seule Hollywood sait en faire. Certes, les acteurs sont arabes, et ce n'était pas arrivé depuis Omar Sharif et son Docteur Jivago, mais le scénario semble sortir tout droit d'Hollywood, à moins que ce ne soit du Pentagone(2). Trop beau, trop rapide, le départ de Moubarak après trente ans de règne sans partage. Mais la crainte du complot US est toujours là, présente et menaçante, tant que Moubarak continue à gouverner depuis Charm-Al-Cheikh. Trop rapide et trop bien ficelé ce qui est arrivé, et arrive, en Tunisie, où un président dans le coma, à des milliers de kilomètres de là, dicte encore ses choix. Trop louche, ce qui arrive en Algérie où Washington encense un pouvoir, moins d'une semaine, après l'avoir sommé de respecter la liberté d'expression et de la presse(3). Encore plus louche ce qui se passe en Libye où les acteurs ne semblent pas respecter à la lettre le scénario établi. D'abord, cette cascade de démissions des ambassadeurs libyens, apparemment assurés de la chute inéluctable du clan Kadhafi. A ce jeu de lâchage collectif, le représentant libyen aux Nations-Unies a été quasiment parfait : c'est en pleurs qu'il a annoncé sa démission en tant qu'ambassadeur de Kadhafi. Et c'est toujours la larme à l'œil qu'il s'est proclamé nouveau représentant de la révolution libyenne en marche. Comme quoi, le recyclage en politique n'obéit pas aux mêmes lois que dans d'autres métiers plus exigeants. Faut-il considérer comme faisant partie du scénario américain, cette étrange intervention d'une chaîne de télévision israélienne proclamant les origines judaïques de Kadhafi ? La mère de celui-ci serait juive, et pour l'attester la chaîne a diffusé l'interview de la tante supposée du tyran de Tripoli. Ce serait étrange que les États-Unis se surprennent à verser dans l'antisémitisme avec la coopération enthousiaste de médias israéliens. Du coup, certains médias et sites arabes se sont engouffrés dans la brèche pour rappeler que le «Glaive (ébréché) de l'Islam» est marié avec une actrice israélienne, une certaine Aurélie Weizmann, une parfaite inconnue sur les moteurs de recherche. Ajoutons aussi, à propos de la Libye, que le premier pays arabe à dénoncer Kadhafi, est le Qatar, dont on connaît les relations tumultueuses avec le «Guide». C'est le Qatar qui a appelé à la réunion urgente de la Ligue arabe, qui a suspendu séance tenante la participation de Tripoli à ses activités. Ce qui n'était pas arrivé à la Ligue depuis la signature des accords de Camp David par Sadate. Il ne se passe encore rien au Qatar, et pour cause, les États-Unis ne vont pas saborder leur plus gros porte-avion dans le monde. A moins qu'ils n'aient aussi prévu un plan de repli pour la chaîne satellitaire Al-Jazeera, propriété de l'émir du Qatar, désormais consacrée porte-parole officieux des «révolutions» qui éclatent un peu partout dans le monde arabe. Rassurezvous, on ne craint rien, pour l'instant, en Algérie, puisque les Américains sont avec nous, ou plutôt avec lui.
A. H.
(1) Il est bon de rappeler que juste avant les émeutes de 1988, les deux régimes avaient engagé une union algéro-libyenne, déjà très engagée, à laquelle avait notamment travaillé notre spécialiste des «complots scientifiques», Abdelkader Hadjar.
(2) Ceci rappelle la pièce à succès de Ziad Rahbani (fils de la grande Faïrouz), Un long film américain, représentée en 1980 et inspirée de la guerre civile libanaise.
(3) Comme en témoigne l'agression policière contre un de nos confrères, samedi dernier, lors de la tentative de manifestation. Le ministre de l'Intérieur se serait excusé auprès du concerné, mais on a vu d'autres coups pas francs, notamment des pieds en avant qui méritaient au moins un carton jaune.

Pour Katia
«Katia Bengana a été froidement et lucidement assassinée, le 28 février 1994, pour avoir refusé de porter le voile. C’est dur d’évoquer ce symbole du refus d’obtempérer aux injonctions religieuses et terroristes, surtout en cette période. En ces temps de disette morale et sociale, où ce n’est plus le voile qui fait débat mais sa couleur et la façon de le porter. Je ne crois pas que Katia aurait fini, aujourd’hui, par mettre le hidjab si ses assassins lui avaient donné un sursis. Mais à voir comment nos femmes se précipitent aujourd’hui pour obéir aux bourreaux de Katia, sans avoir un pistolet sur la tempe, je m’interroge : cette Algérie-là, soumise et résignée, mérite-t-elle que Katia se soit sacrifiée pour elle ? Ces lignes ont été écrites le 6 février 2009, et elles sont toujours d'actualité, c'est pourquoi je les rappelle ici, juste pour ne pas oublier qu'il y a des sacrifices qui échappent à toutes les lois d'amnistie et à toutes les révisions doctrinales ou constitutionnelles.
A. H.

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