Culture : Le coup de bill�art du Soir Lettres de Mouloud Feraoun et ses amis
Par Kader Bakou
En ce jour du 14 mars 1962, Mouloud Feraoun ne sait pas qu�il vient
d��crire la derni�re page de son journal et de sa vie : �A Alger, c�est
la terreur. Les gens circulent tout de m�me, et ceux qui doivent gagner
leur vie ou tout simplement faire leurs commissions sont oblig�s de
sortir et sortent sans trop savoir s�ils vont revenir ou tomber dans la
rue. Nous en sommes tous l�, les courageux et les l�ches, au point que
l�on se demande si tous ces qualificatifs existent vraiment ou si ce ne
sont pas des illusions sans v�ritable r�alit�. Non, on ne distingue plus
les courageux des l�ches. A moins que nous soyons tous, � force de vivre
dans la peur, devenus insensibles et inconscients. Bien s�r, je ne veux
pas mourir et je ne veux absolument pas que mes enfants meurent, mais je
ne prends aucune pr�caution particuli�re en dehors de celles qui, depuis
une quinzaine (de jours) sont devenues des habitudes : limitation des
sorties, courses pour acheter en �gros�, suppression des visites aux
amis. Mais, chaque fois que l�un d�entre nous sort, il d�crit au retour
un attentat ou signale une victime.� Le lendemain, il a une r�union au
centre social de Chateau- Royal, sur les hauteurs d�Alger. Le 15 mars
1962 � 10h45, un commando de l�OAS fait irruption dans la salle de
r�union. Les assassins font sortir six hommes et les fusillent. Les
victimes sont Mouloud Feraoun, Marcel Basset, Robert Eymard, Ali
Hammout�ne, Max Marchand et Salah Ould Aoudia. Le fils de Mouloud
Feraoun �crit � Emmanuel Robl�s : �Mardi, vous avez �crit une lettre �
mon p�re qu�il ne lira jamais� C�est affreux ! Mercredi soir, nous avons
� pour la premi�re fois depuis que nous sommes � la villa Lung �
longuement veill� avec mon p�re dans la cuisine, puis au salon. Nous
avons �voqu� toutes les �coles o� il a exerc� (�) C��tait la derni�re
fois que je le voyais. Je l�ai entendu pour la derni�re fois le matin �
huit heures. J��tais au lit. Il a dit � maman : �Laisse les enfants
dormir.� Elle voulait nous r�veiller pour nous envoyer � l��cole.
�Chaque matin, tu fais sortir trois hommes. Tu ne penses pas tout de
m�me qu�ils te les rendront comme �a tous les jours !� (�) Je l�ai vu �
la morgue. Douze balles, aucune sur le visage. Il �tait beau mon p�re,
mais tout glac� et ne voulait regarder personne.� Pour Jean El-Mouhoub
Amrouche, l�acte de l�OAS qui avait cibl� trois Fran�ais et trois
Alg�riens �tait bien calcul� : �Tra�tres � la race des seigneurs �taient
Max Marchand, Marcel Basset, Robert Eymard, puisqu�ils proposaient
d�amener les populations du bled alg�rien au m�me degr� de conscience
humaine, de savoir technique et de capacit� �conomique que leurs anciens
colonisateurs fran�ais. Criminels pr�somptueux, Mouloud Feraoun, Ali
Hamoutene, Salah A�t Aoudia, qui s��tant rendus ma�tres du langage et
des modes de pens�e du colonisateur, pensaient avoir effac� la marque
infamante du raton, du bicot, de l��ternel p�ch� originel d�indig�nat
pour lequel le colonialisme fasciste n�admet aucun pardon.� Apr�s ces
remarques am�res, Amrouche conclut : �Voil� pourquoi les six furent
ensemble condamn�s et assassin�s par des hommes qui refusent l�image et
la d�finition de l�homme �labor�es lentement � travers des convulsions
sans nombre parce qu�il faut bien nommer la conscience universelle.�
Mouloud Mammeri �crira plus tard : �Le 15 mars 1962, au matin, une
petite bande d�assassins se sont pr�sent�s au lieu o�, avec d�autres
hommes de bonne volont�, il (Mouloud Feraoun) travaillait � �manciper
des esprits jeunes ; on les a align�s contre le mur et� on a coup� pour
toujours la voix de Fouroulou. Pour toujours ? Ses assassins l�ont cru,
mais l�histoire a montr� qu�ils s��taient tromp�s, car d�eux, il ne
reste rien� rien que le souvenir mauvais d�un geste stupide et
meurtrier, mais de Mouloud Feraoun la voix continue de vivre.� Le fils
du pauvre repose du sommeil du juste.
K. B.
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