Actualités : LES PARTIS FACE AUX DÉPENSES DE LA CAMPAGNE
ÉLECTORALE
À armes inégales
On le considère comme l’un des sujets les plus
controversés, tabou, car le plus souvent passé sous silence par les
parties concernées : le financement des campagnes électorales est un
thème qui fâche y compris les formations politiques peu enclines à
fournir les détails voulus. Les voix qui s’expriment ici révèlent que la
problématique s’est accentuée dans le contexte particulier où
interviennent ces législatives.
Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Mercredi 15 février. La Radio
nationale Chaîne 3 rappelle aux candidats aux législatives
l’interdiction formelle d’utiliser les moyens de l’Etat dans le cadre de
la campagne électorale. L’information diffusée dans les premiers
journaux de la matinée précise que les contrevenants à cette
interdiction se verront soumis à des sanctions sévères. Les partis
politiques, toutes tendances confondues, n’ignorent pas cette règle.
Aujourd’hui, ce rappel offre aux formations politiques le prétexte
idoine pour revenir sur le «déséquilibre flagrant entre les moyens des
partis» pour affronter une échéance que beaucoup considèrent comme
primordiale pour continuer à exister sur le terrain. «De quelle manière
financez-vous la campagne électorale ?» Le sujet vaste n’est pas simple
à aborder avec les concernés. Certains tentent cependant d’y répondre en
fournissant un maximum d’éclairage.
Le RCD n’y va pas par quatre chemins : «Nous puisons dans le fonds du
parti. Nous comptons naturellement sur les cotisations des militants et
bien sûr les contributions des candidats.» Ici comme ailleurs, on
affirme que la campagne se fera à «hauteur des finances» dont dispose le
parti tout en respectant le seuil fixé par le texte qui régit
l’activité. Combien coûtera cette campagne ? Le RCD affirme être dans
l’incapacité de fournir une réponse à cette question pour le moment. La
préoccupation est ailleurs. Comme bien d’autres partis interrogés, ce
dernier estime que les candidats à ces élections partent à armes
inégales dans la course. «Nous regrettons en effet que certains
utilisent les biens de l’Etat, il s’agit surtout d’élus, des députés qui
s’en vont déjà avec une longueur d’avance puisqu’ils ont à leur
disposition des facilités que nous ne détenons pas.» Lesquelles ? «Des
véhicules de l’Assemblée, des bureaux, des portables par exemple, tout
ceci constitue des inégalités puisque nous, nous devons puiser de notre
propre budget pour avoir tout cela, et ce ne sont que des exemples. Il
faut aussi et surtout prendre en considération la somme qui est allouée
par l’Etat aux partis qui siègent à l’APN et au Sénat.
Ils perçoivent 400 000 DA annuellement et cette somme est naturellement
versée dans la trésorerie des partis politiques, cela leur permet
d’avoir un fonds déjà tout prêt pour les élections. Quant à nous, nous
ne siégeons pas dans ces institutions, nous devons donc nous débrouiller
par nous-mêmes.»
Au MSP, même son de cloche. «Pour financer cette campagne, nous
comptons, comme toujours, sur les cotisations des adhérents. Les
candidats apportent des sommes ou partagent leur salaire, c’est en
fonction de leurs finances. Nous n’avons pas d’autres choix, d’autres
issues. Les hommes d’affaires vont vers les partis où ils investissent.
Les partis au pouvoir, les autres formations ne les intéressent pas.» Là
aussi, impossible d’obtenir des informations sur le montant du budget
alloué à un tel évènement. «Ce ne sont pas des présidentielles. Dans ce
cas, il y aurait eu étude du budget à un niveau national et on aurait
été fixé. Il s’agit de législatives, tout se déroule à un niveau local.
Les finances sont gérées au niveau des wilayas en fonction des listes.
Les sommes déboursées varient en fonction de plusieurs paramètres. Sur
le plan médiatique, affichage, édition du programme… les prix varient.
Mais il faut débourser plus pour la surveillance des élections. Les
personnes que nous mobilisons dans les centres de vote pour surveiller
le processus doivent être payées elles aussi, ne l’oublions pas, et cela
nous demande beaucoup. Il y a aussi le problème du transport, des
déplacements, tout ceci pose parfois problème sur le plan financier.»
Dans les textes, poursuit notre interlocuteur, M. Laâouar, «il est dit
que l’Etat peut aider un parti, mais nous ne voyons rien hormis
l’allocation annuelle délivrée aux formations qui siègent à l’APN ou au
Sénat. Nous nous interrogeons sur les subventions distribuées aux
organisations de tous genres, associations… alors que les partis
politiques peinent pour financer des élections. Nous voyons aussi et
surtout des élus animer des meetings qui leur reviennent à 1 million de
DA. Cela nous ne pouvons pas le faire par exemple. C’est une manière
indirecte d’étrangler les partis et de les pousser à se mettre au
service de la chkara. Aujourd’hui plus qu’avant, ces élections vont
enrichir les grands partis et appauvrir et endetter les autres».
Mais il y a encore plus grave. Des partis interrogés dans le cadre de
cette enquête affirment détenir des informations sur «la présence de
l’argent dans ces élections». «Nous avons des informations qui attestent
que, dans certaines régions, des candidats versent 2 000 à 4 000 DA pour
une signature», déclare Taâzibt du Parti des travailleurs (PT).
Explications : «Pour certains politiques, des élections de ce genre sont
des occasions d’investir dans les listes, les personnes… et ils
attendent le retour de cet investissement. Nous avons déjà tiré la
sonnette d’alarme et alerté sur les dangers du mélange de l’argent et de
la politique, cela a mené à la ruine de certains Etats, de la politique.
Acheter des voix rend l’acte de vote insignifiant et risque de produire
une Assemblée dominée par l’argent, par des ambitions personnelles et
non pas par des programmes ou des idées. Nous avons vu comment des
lobbies ont agi et continuent à agir pour imposer des lois et des textes
qui protègent leurs intérêts. Pour nous, la fraude a commencé car il
s’agit d’une concurrence déloyale. Les prochaines élections doivent
déterminer si nous allons vers une rupture, une décantation ou une
aggravation de la crise avec le risque de chaos qui pourrait en
découler. Pour l’instant, nous constatons que les gens sont aveuglés par
leurs intérêts personnels, par des objectifs mercantiles. Pour eux, la
fin justifie les moyens. Le risque est de s’acheminer très vite vers
l’exemple égyptien ce qui nous mènera droit dans le mur.»
Le dernier point de vue est celui du RND. Considérée comme l’une des
grosses pointures du système partisan algérien, cette formation au
pouvoir affirme cependant ne compter que sur les subventions des
candidats dans le financement de cette campagne. «La subvention de
l’Etat se fait en aval, déclare Chihab, en expliquant qu’un
remboursement de 20% s’effectue après obtention de 5% sur les listes.
Nous allons évaluer le budget nécessaire et travailler en conséquence.»
A combien s’élève ce budget ? Chihab n’hésite pas à répondre. «Il faudra
environ 5 à 6 millions de DA pour les dépenses en affiches, publicité,
édition des programmes, distribution. En général, pour la campagne, il
faut compter 15 à 20 millions de DA. Pour financer tout cela, c’est la
débrouille.»
A. C.
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