Actualités : INDUSTRIE AUTOMOBILE EN ALGÉRIE
Les non-dits d’une démarche
L’automobile s’est adjugée, au fil des années, une
place de choix dans les préoccupations du citoyen, dans les discours
officiels et aussi sur les unes de la presse nationale, tous supports
confondus. Loin d’être un produit de luxe, elle est surtout, pour
beaucoup, un moyen de mobilité efficace face à la faillite des moyens de
transport public. La demande a fini ainsi par prendre largement le
dessus sur une offre drastiquement revue à la baisse du fait de
l’imposition des quotas.
Et pour cause, le gouvernement, pour juguler l’hémorragie des devises,
décide de développer une industrie mécanique dans le pays. Pour cela, un
cahier des charges réglementant l’activité automobile fait obligation
aux concessionnaires de réaliser des investissements dans l’assemblage
de véhicules ou dans la fabrication de la pièce de rechange sous peine
de perdre l’agrément d’activité.
Le résultat ne s’est pas fait attendre, des unités sont déjà
opérationnelles, d’autres sont en voie d’achèvement alors que certaines
attendent le feu vert pour le lancement des travaux. La capacité de
production théorique de l’ensemble de ces installations atteindrait, dès
l’année 2020, les 350 000 unités assemblées.
Pertinence de la stratégie du gouvernement
Cependant, le procédé retenu dans une première phase par ces
investisseurs, en l’occurrence le SKD (Semi Knocked Down), autrement
dit, l’importation de véhicules en kit, compte tenu de l’absence d’un
tissu de sous-traitants aux standards internationaux, suscite des
interrogations. Serait-ce une alternative pour contourner la contrainte
des quotas ? Est-ce une phase inévitable pour hisser l’industrie
automobile naissante vers des niveaux de rentabilité et d’optimisation
acceptables ? Ou aurait-il été plus judicieux d’encourager, en premier,
le développement de la sous-traitance avant l’assemblage de voitures ?
L’ambition d’exportation serait-elle réalisable face à une concurrence
régionale et continentale qui a déjà pris ses repères et affiné ses
arguments ? Réussira-t-on pour autant à réduire la facture de paiement
en devise ?
Autant de questions que se posent aussi bien les citoyens, les
observateurs avertis que les intervenants dans le secteur. D’autant que
le ministre de l’Industrie vient, au cours de sa récente intervention
sur les ondes de la Chaîne 3, de lancer une véritable mise en garde aux
actuels assembleurs sur le non-respect des taux d’intégration
réglementaire et en les menaçant «de retrait de l’agrément».
Michel Khelifa, expert international rompu aux techniques de préparation
et de mise au point de projets d’usine d’assemblage, et un
concessionnaire automobile cumulant plus de 20 ans dans le domaine et
qui a préféré garder l’anonymat, apportent leurs éclairages sur ces
questions.
D’emblée, les avis convergent sur la pertinence de la démarche du
gouvernement et la nécessité pour l’Algérie d’avoir sa propre industrie
mécanique et pourquoi pas espérer s’élever au rang de plate-forme
régionale d’exportation.
Mises à l’écart et redistribution des cartes
Néanmoins, et dans sa mise en application, cette démarche a, au fil des
mois, pris les contours d’une cabale contre les acteurs historiques de
la scène automobile nationale, qui ont réussi tant bien que mal à
professionnaliser le secteur et à élever la qualité de ses prestations
aux standards internationaux.
Et toute la batterie de textes encadrant cette stratégie a été élaborée
en leur absence et, au final, en leur défaveur. En dépit de cela, ces
concessionnaires se sont vite adaptés à cette nouvelle donne en se
conformant aux exigences des cahiers des charges aussi bien en matière
d’équipements de sécurité des véhicules que des investissements avec des
projets ficelés d’unités de montage ou de fabrication de pièces de
rechange et qui attendent depuis presque deux années le quitus des
autorités concernées.
Une source proche du dossier nous avait même clairement signifié que
«l’objectif non avoué de cette reprise en main du secteur de
l’automobile était de défaire un grand nombre de concessionnaires de
leurs marques et de les attribuer à de nouveaux opérateurs». Cette
opération de règlement de comptes ne s’est pas faite, hélas, sans dégâts
collatéraux. En plus de l’étouffement des activités des concessionnaires
en titre, on signale la perte d’emploi pour des milliers de
travailleurs, l’assèchement des stocks de véhicules disponibles,
l’envolée des prix et plus généralement la clochardisation du secteur.
C’est la transparence qui manque le moins
Pendant ce temps, les premières et seules autorisations d’investissement
qui ont été attribuées, l’ont été en faveur d’opérateurs
extra-association des concessionnaires automobile AC2A (à l’exception de
Renault) et qui sont maintenant en phase de montée en cadence voire même
en extension d’activité.
Pour Michel Khelifa, expert international dans l’automobile, «il est
évident que cette opération de développement de l’industrie automobile
en Algérie ne s’est pas faite dans la transparence la plus totale et
avec un manque de visibilité sur le court et moyen terme. Il est aussi
clairement établi que tous les candidats à l’investissement ne sont pas
tous placés sur un pied d’égalité. On constate que certains multiplient
les projets et prennent de l’avance et d’autres attendent le feu vert».
Il rappellera que l’étude d’un projet industriel dans l’automobile
repose sur trois critères essentiels, l’optimisation des coûts pour être
concurrentiels, l’intégration locale pour réduire les importations et
améliorer la compétitivité internationale et les débouchés de
commercialisation et d’exportation.
1 emploi direct pour 18 emplois indirects
On précisera aussi qu’une industrie mécanique locale, c’est d’abord la
création de milliers de postes de travail avec un ratio universel de
l’ordre de 1 emploi direct pour 18 emplois indirects. C’est dire tout
l’intérêt pour la communauté qui enregistre, en revanche, un manque à
gagner en matière de taxes et droits de douane, estimés
approximativement à près de 30%. A cela s’ajoutent d’autres avantages
fiscaux accordés aux investisseurs.
Quant à la primauté de la sous-traitance sur l’assemblage de véhicules
ou inversement, les avis se rejoignent, encore une fois, pour souligner
que les deux doivent évoluer en parallèle car l’un dépendant fortement
de l’autre. Pour notre concessionnaire, «envisager le développement de
la sous-traitance en premier, c’est mettre la charrue avant les bœufs,
d’autant que le contexte actuel n’est guère favorable à une telle option
sachant que l’importation de la pièce de rechange est actuellement
totalement libre et n’est soumise à aucune taxation douanière, notamment
celle en provenance d’Europe. Autrement dit, rien ne saurait motiver le
fabricant algérien. Et c’est plutôt l’existence en parallèle d’une
industrie mécanique qui serait son faire-valoir et son débouché naturel
avant l’exportation. Et avec une production globale prévisionnelle qui
avoisinerait les 400 000 unités/an à l’horizon 2020, il est clair que
l’essentiel du business pour les sous-traitants se ferait inévitablement
en Algérie». Et il précisera également que cette fabrication locale de
la pièce de rechange permettra naturellement d’augmenter graduellement
les taux d’intégration des différents sites d’assemblage et de conférer
à l’industrie automobile nationale plus de rentabilité.
Véhicules assemblés plus chers que ceux importés
Khelifa renchérira de son côté qu’«il faut savoir que 30% seulement de
la production de la pièce de rechange est généralement absorbée par les
usines d’assemblage et 70% est orientée vers les services après-vente
pour les différentes opérations d’entretien et de maintenance».
En tout état de cause, l’investisseur doit bénéficier d’un bouquet
consistant d’encouragements divers, comme l’exonération de tous les
droits et taxes et autres avantages fiscaux, voire même l’arrêt de
toutes les importations de véhicules dès que les usines locales
atteignent leur rythme de croisière, ou tout au moins revoir à la hausse
les droits de douane pour ceux qui continueront à être introduits au
pays.
Pour cet expert, les usines actuellement en activité dans l’assemblage,
«exception faite de celle de Renault qui a réellement inscrit son projet
dans une perspective de montage avec un taux d’intégration évolutif et
pour des modèles d’entrée de gamme, ne sont ni dans le concept de SKD ni
encore moins de CKD. Sans trop m’étaler dans le détail, je dirais tout
simplement qu’il est inconcevable d’annoncer l’assemblage dans le
contexte actuel, de modèles de segments supérieurs bourrés de
technologies modernes et de dizaines de calculateurs».
Autant dire que dans l’attente du développement d’un tissu de
sous-traitants performants, certains continueront à importer des
véhicules en l’état, ou presque, qualifiés de produits assemblés
localement, bénéficiant d’exonérations de taxes et de droits de douane
mais qui coûteront à la vente plus cher au client algérien. Il y a lieu,
en effet, de relever que les véhicules actuellement assemblés en Algérie
affichent des prix de vente plus élevés que ceux des mêmes modèles
importés précédemment, alors qu’ils sont censés être commercialisés avec
une réduction d’au moins de 25%.
Quel avenir pour l’assemblage des véhicules «Premium» ?
Si le montage de véhicules entrée de gamme avec une technologie moins
complexe serait naturellement plus apte à intégrer rapidement une
production locale de composants divers, il n’en est pas de même pour
l’assemblage de voitures de segment supérieur où l’intégration de
sous-traitants locaux est nettement moins évidente, voire même
impossible en l’état actuel des choses. C’est notamment le cas du projet
pour le montage des véhicules BMW annoncé à Mostaganem qui ne laisse
guère indifférent. Michel Khelifa, tout en exprimant son étonnement,
soulignera que les marques premium ne permettent jamais l’intégration
sur leurs véhicules assemblés localement de pièces non issues de leurs
propres chaînes de production ou de celles ayant obtenu leur
homologation. Il citera, à ce titre, le cas de l’usine installée en
Égypte depuis plusieurs années et qui est à zéro intégration locale,
alors que des sous-traitants locaux ayant un savoir-faire, une longue
expérience et bénéficiant de la certification ISO n’ont jamais été
associés à cette usine. Il précisera que tous les composants de la
voiture arrivent d’Allemagne ou des usines de la marque en Europe ou en
Afrique du Sud. C’est aussi une constance chez ce constructeur de
s’interdire toute opération d’exportation à partir de ce type
d’installation. Alors qu’en sera-t-il de ce projet devant être piloté
par la société Luxury Motors, le représentant de la marque allemande en
Algérie et comment atteindre le taux de 40% prévu par le cahier des
charges ?
Le taux d’intégration, le talon d’Achille
Revenant comme un leitmotiv dans les textes réglementant
l’investissement dans l’automobile, mais aussi dans les discours
officiels, l’intégration et le calcul de son taux se présentent d’ores
et déjà comme le talon d’Achille de cette démarche industrielle. Si le
cahier des charges portant conditions et modalités d’exercice de
l’activité de production et de montage de véhicules précise dans son
article 9 que «par taux d’intégration, il y a lieu d’entendre, au sens
du présent cahier des charges, l’atteinte d’un taux minimum des
activités réalisées en Algérie concourant à la production du produit
final, soit en usine ou par la sous-traitance locale. Les achats locaux
sont comptabilisés en tant qu’intégration locale et concernent les
matières premières, les pièces de première monte, les composants
fabriqués localement y compris ceux de la sous-traitance locale, la
logistique et les prestations locales achetées».
De même qu’un échéancier détermine le taux de 40% à atteindre à la 5e
année d’exercice et au moins les 15% au bout de la 3e année.
C’est effectivement l’aspect le plus vulnérable dans le processus
d’émergence d’une industrie automobile locale, dès lors que le schéma de
calcul peut faire l’objet de manipulations diverses de la part
d’investisseurs malintentionnés. D’autant que les procédés de contrôle
et de vérification de la part des autorités compétentes ne sont pas
encore suffisamment et, du reste logiquement, éprouvés et en mesure de
détecter d’éventuelles infractions. Des chapitres particuliers dans le
processus de montage de véhicules sont difficilement vérifiables parce
que non quantifiables physiquement, à l’image de la peinture qui est
précisément créditée d’une importante note dans le calcul du taux
d’intégration, jusqu’à 25%.
Pour le reste, dans le système retenu par le ministère de l’Industrie et
des Mines, le taux d’intégration se base sur les coûts locaux (pièces
fabriquées par l’usine pour elle-même, salaires et formation) ; les
achats locaux (valeur des achats locaux, pièces fabriquées localement,
matière locale, logistique et prestations achetées) ; achats à
l’importation. La formule de calcul étant, en définitive,
CL+AL/CL+AL+AI.
Ceci étant, si le chemin vers une industrie automobile nationale reste
encore long et parsemé de surprises, il n’en demeure pas moins que les
départements de l’Etat chargés du suivi se doivent, dès à présent, de
faire preuve de vigilance et d’imposer des contrôles rigoureux à partir
des premiers exercices pour éviter des situations cocasses vécues sous
d’autres cieux.
Belkacem Bellil
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