Culture : D’ici et d’ailleurs, nouvel album de Idir
Le cœur n’y est plus !
Le dernier album de Idir, Ici
et ailleurs, est arrivé chez les disquaires en Algérie. Composé de neuf
duos avec des chanteurs français dont les titres phares sont interprétés
en kabyle et en version originale, ce nouvel opus, tout comme Adrar inu
(2013), peine à convaincre.
Avec Francis Cabrel, Aznavour, Bruel, Lavilliers, Maxime Le Forestier,
Tryo, Henri Salvador, Grand Corps Malade ou Gérard Lenormand, Idir ne
parvient pas à se recréer, encore moins à mimer les beautés d’avant. Or,
avec une discographie comme la sienne, l’artiste ne peut échapper aux
réminiscences de l’âge d’or des années 1970-1990 lorsqu’il faisait
réellement parler le sang, la sueur et les parfums de sa terre natale.
Depuis, il s’est passé quelque chose qui ressemblerait à une extinction
de talent ou peut-être une rupture de ce contact à la fois charnel et
immatériel qui le maintenait enchaîné au cœur de la Kabylie. Idir semble
chercher sans cesse une astuce pour retrouver ses propres sensations
musicales et poétiques mais surtout la jeunesse radieuse de sa passion
pour la langue kabyle. Et c’est dans cette quête, désormais désespérée,
que se révèle le mieux l’impossibilité d’une nouvelle rencontre avec la
terre : le verbe est comme dévitalisé, la mélodie inerte, le mouvement
des mots et des notes ne font rien qu’un bruit passablement harmonieux.
D’où cette manie des duos et des collaborations transculturelles ; comme
si La Bohême chantée en kabyle par Idir mais aussi par Aznavour allait
faire oublier, par une originalité d’apparat, le fait que la création et
le cœur n’y sont plus ; comme si La Corrida interprétée en tandem avec
Francis Cabrel suffisait à compenser un manque de conviction perceptible
à chaque strophe… On avait l’habitude des musiques épurées et des textes
à la fois simples et hantés par des milliers d’années d’Histoire
frissonnante et luxuriante (grâce, en grande partie, à la belle
collaboration avec le poète Ben Mohamed) mais dans ce nouvel album, la
pureté cède la place au schématisme, l’inaccessible simplicité s’efface
devant une espèce de paresse bien-intentionnée… Et pourtant, le travail
d’adaptation, de composition et d’interprétation est plus que laborieux
: ça ne coule pas de source, ça n’est pas fluide et ça parvient
difficilement à franchir la barrière de l’oreille pour atteindre le
cœur.
D’ici et d’ailleurs dégage la même image livide que La France des
couleurs (2007) : tous deux sont des albums patchwork dont le
multiculturalisme devient un concept simpliste et définitivement dépassé
mais est utilisé en réalité comme simple alibi au manque tragique de
souffle et de substance. Nous sommes loin, en effet, des émotions
indicibles, à la fois accessibles au monde entier et si typiquement
liées à la Kabylie, qui nous inondaient à perdre haleine dans les
premiers opus du chanteur. On est également loin du génie régénérateur
dont Idir a fait preuve lorsqu’il s’est intéressé une première fois aux
duos dans l’album Identités (1999). De tout cela, il reste certainement
un amour sincère pour la terre natale, ses chants et ses mélodies
sauvages ; mais un amour fatigué !
Sarah Haidar
|