Chronique du jour : LES CHOSES DE LA VIE
Quand la France fait comme l’Algérie
Par Maâmar Farah
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Malgré
les fortes dissemblances en termes de crédibilité démocratique, il est
des similitudes surprenantes entre l’actualité politique française et
celle de l’Algérie. A cette différence que près de trois décennies
séparent les deux. C’est à l’occasion des dernières élections
présidentielles, coïncidant avec les législatives en Algérie, que j’ai
pu mesurer combien certains événements marquants de notre vie politique
se reproduisaient là-bas sans que personne y prête attention. Et
d’ailleurs, à la moindre allusion, certains vous arrêteront net : il n’y
a aucune comparaison possible ! Certes, ce serait pure folie que de
comparer une autocratie poussive avec une vieille démocratie rodée, mais
honnêtement, quand je vois qui commande réellement çà et là, je reste
sceptique. Les pouvoirs ne sont qu’une interface d’un système
oligarchique où ce sont les plus riches qui façonnent la politique au
gré de leurs intérêts. Donc que l’on ne se méprenne pas sur le sens de
cette chronique un peu légère. C’est juste pour rappeler l’ordre
chronologique de certains événements nationaux et leur reproduction en
territoire gaulois quelques années plus tard…
En 1995, l’élection présidentielle algérienne, la plus propre de tous
les temps selon l’ensemble des observateurs et acteurs de la vie
politique, oppose Zéroual au candidat islamiste Nahnah. Toutes les
forces patriotiques et républicaines se rangèrent du côté de Zéroual et
un large front anti-islamiste se forma. La participation fut exemplaire
et les longues chaînes des électeurs émigrés eurent un profond impact
auprès de l’électorat local qui se porta en masse vers les urnes avec un
seul mot d’ordre : voter Zéroual, soit par conviction, soit par
«utilité».
En 2002 et en 2017, bien plus tard donc, la France connut le même
scénario avec un large front républicain, uni pour faire barrage à Le
Pen, puis à sa fille. Les mêmes arguments, le même discours entendus
chez nous en 1995, remplissent les médias…
En 1995, l’Algérie votait sous haute surveillance. Les islamistes ayant
menacé de s’en prendre aux électeurs, armée, gendarmerie, police et
patriotes furent postés devant les écoles avec un quadrillage
systématique des zones urbaines : patrouilles diurnes et nocturnes,
barrages renforcés, etc. L’Algérie votait sous l’état d’urgence…
En 2017, la menace terroriste pèse sur la France et l’opération de vote
mobilise la troupe. Le plan Vigipirate est porté à son alerte maximum.
Police et gendarmerie assurent la surveillance des bureaux de vote. La
France choisit son Président sous l’état d’urgence alors que ce n’est
plus qu’un lointain souvenir en Algérie !
Mais le fait le plus curieux est venu après le vote. Alors que l’Algérie
abandonnait le peu de pouvoir parlementaire qui restait de la
Constitution de 1996 au profit d’un système présidentiel autocratique et
que les partis ne sont plus que des faire-valoir, on n’entend plus
parler de programmes politiques de gauche ou de droite mais d’un
programme du Président qui devient la seule boussole du pays. Le contenu
démocratique du système politique algérien vole en éclats puisque le
chef du gouvernement ne sort plus de la liste du parti vainqueur aux
législatives mais du choix personnel du chef de l’Etat. D’ailleurs, ce
n’est plus le chef du gouvernement mais un Premier ministre ! Bouteflika
inventait un système unique avec des partis qui se battent pour leurs
programmes mais les abandonnent aussitôt le vote terminé pour n’endosser
que celui du Président.
Dix-sept années plus tard, la France semble en train de suivre le même
chemin avec un unanimisme inimaginable il y a quelques années. Certes,
Gauche et Droite traditionnelles se rapprochaient déjà dans leur style
de gouvernance et même dans leurs projets de société mais chacune avait
son identité et bien malin celui qui aurait imaginé la «tchekchouka»
actuelle ! Désormais, Gauche et Droite se mettent sous la coupe d’un
seul homme ! Comme en Algérie, le programme propre aux partis
traditionnels ne veut plus rien dire puisque ce nouveau camp – appelé
UMPS par les frontistes — va appliquer le programme de Macron ! Ainsi,
la France va faire exactement ce que fait l’Algérie sous Bouteflika. Il
restera le Front national et la France insoumise qui seront écrasés par
la machine du système et relégués aux extrêmes, un peu comme les
islamistes, le Parti des travailleurs ou les démocrates chez nous !
J’imagine la tête que font les démocrates chez nous ! Ils prenaient pour
exemple le système démocratique français et le voilà qui devient une
pâle copie du bouteflikisme, y compris dans ses excès médiatiques et un
culte de la personnalité en gestation ! Autre comparaison en corollaire
de ce qui précède : ce nouveau plan présidentiel attise les convoitises
en France, comme cela a été le cas en Algérie. Certains abandonnent
leurs partis pour rejoindre «La République en marche», d’autres restent
dans leurs mouvements mais affichent qu’ils se battent pour le programme
du nouveau Président. Situation cocasse : Gauche et Droite évitent de
présenter des candidats face à des ténors qui ont choisi de rejoindre le
camp du Président. On ne sait pas où cela va mener ni comment le système
s’en sortira de cet imbroglio politique mais avouons que cela vaut le
coup d’être suivi jusqu’à l’installation du nouveau Parlement. Et si les
prévisions des observateurs se réalisent et qu’une large majorité est
offerte à Macron, nul doute que la prochaine Assemblée française
ressemblera à notre APN avec des lois votées toutes sans obstacles
majeurs. Cet unanimisme qui empoisonne notre vie politique et nous
éloigne de la pratique démocratique telle qu’elle est connue
universellement, risque de s’installer durablement en France. Et encore,
ça aurait pu être une bonne chose s’il devait servir la cause des
démunis et des travailleurs, s’il devait combler le fossé qui sépare les
riches des pauvres et redonner un peu d’espoir à une société en panne,
éreintée par la crise et poussée au nihilisme par la désespérance… Non,
ces voix qui approuveront les nouvelles lois seront les complices d’un
plan de destruction des classes travailleuses et moyennes à qui
Mélenchon a promis de «cracher du sang» en cas de victoire d’un de ses
trois concurrents de tête. Et d’ailleurs, on le verra clairement avec la
loi du travail qui donnera le ton aux renoncements à venir. Cette loi du
travail 2 n’aura même pas besoin de la voix des parlementaires
puisqu’elle sera proclamée par ordonnance, un peu à la manière de
Bouteflika qui a utilisé cette méthode à plusieurs reprises !
Génie algérien ? Décadence française ? Hasard des calendriers ? En tout
cas, si ça continue, nous aurons des Ould-Abbès et des Ouyahia là-bas,
s’ils n’existent déjà ; des Sellal et des Louisa Hanoune tapis dans
l’ombre… Nous aurons des ENTV, des Chourouk TV et des quotidiens plus
royalistes que le roi… D’ailleurs, BFM TV et les autres sont déjà aux
ordres, bien plus que les nôtres et la mise à l’écart de ceux qui ne
plaisent pas au nouveau patron de l’Elysée est annoncée. David Pujadas
de France 2 est la première victime de cet ordre ancien/nouveau dont les
méthodes sont connues depuis la nuit des temps mais qui revient plus
fort avec les banquiers et les industriels de la guerre en renfort !
Mais ça, c’est leur problème.
D’une manière plus générale, on peut s’amuser à citer d’autres
événements qui ont fait de notre pays un précurseur. En 1988, une année
avant le départ des printemps d’Europe socialiste et la chute du mur de
Berlin, la jeunesse d’Alger inaugurait le cycle mondial des révoltes
contre les partis uniques. En 1980, trente ans avant le Printemps arabe,
le Printemps berbère colorait la Kabylie. En plus noir, c’est ici que le
terrorisme a montré son visage sanglant mais c’est ici aussi – en plus
rose – qu’il fut terrassé par la force du peuple et de son armée… Tout
nous arrive avant les autres et seul le pouvoir continue à ne pas le
savoir…
M. F.
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