Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Yémen, patrimoine historique en poussière et catastrophe humanitaire


Par Hassane Zerrouky
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Finalement, l’Algérie a eu raison de se tenir à l’écart du conflit yéménite en refusant d’intégrer la coalition dite antiterroriste, mise sur pied par l’Arabie Saoudite. En effet, l’exécution vraisemblable de l’ex-chef d’Etat yéménite Ali Abdallah Saleh, 33 ans au pouvoir, par ses ex-alliés les «rebelles» houtis, va encore compliquer la donne.
Riyad pensait que la partie était gagnée quand, cassant l’alliance conclue avec les chiites houtis en 2014, l’ex-Président Ali Abdallah Saleh, dans une déclaration télévisée, s’était dit prêt à renouer avec les Saoudiens : un changement de posture qui lui a été fatal puisqu’il l’a payé au prix de sa vie. Habitué aux retournements de veste qui lui avaient si bien réussi en plus de 40 ans d’activisme politique dont 33 au pouvoir – dans les années 80 il s’était acoquiné avec les djihadistes de retour d’Afghanistan – l’ex-chef d’Etat yéménite, dont la fortune, selon un rapport de l’ONU, est estimée entre 32 et 60 milliards de dollars, a sans doute préjugé de ses forces. Il a surtout oublié qu’il avait mené entre 2004 et 2010 plus de six guerres, sans succès, contre les Houtis, et que ces derniers, en bons montagnards qu’ils sont, ont la dent dure contre ceux qui ne tiennent pas leurs engagements : ils l’ont vraisemblablement tué avant d’exhiber son cadavre face aux caméras.
Avec la mort d’Ali Abdallah Saleh et de son neveu Tarek, chef militaire des forces loyales à l’ex-chef d’Etat yéménite, l’Arabie Saoudite a perdu un atout peut-être majeur dans sa guerre par procuration contre l’Iran, soupçonné de soutenir les Houtis. Depuis mardi, ces derniers ont renforcé leur emprise sur la capitale yéménite Sanaâ, rapporte l’AFP, qui indique qu’ils «ont pris le contrôle de tous les sites qui étaient tenus par des partisans de Saleh quelques heures après sa mort».
La solution militaire sur laquelle parient Riyad et ses alliés est par avance vouée à l’échec. Le Yémen est un pays en grande partie montagneux, – on l’oublie souvent – avec des sommets culminant à plus de 3 600 mètres d’altitude. On voit mal les Saoudiens et leurs alliés, qui soutiennent à bout de bras les forces de l’actuel Président yéménite en exil, Mansour Hadi, venir à bout des redoutables montagnards houtis que ni les Ottomans, ni, plus tard, les Britanniques, n’étaient parvenus à soumettre. Pour l’heure, la guerre continue. Dans leur grande majorité, les Yéménites appréhendent la suite. Les appels à la vengeance ont commencé. Le fils d’Ali Abdallah Saleh, que les Emirats arabes unis, alliés de l’Arabie Saoudite, tenaient jusque-là en otage – il était officiellement en résidence surveillée – s’est dit prêt à conduire «la bataille jusqu'à ce que le dernier Houti soit chassé du Yémen». «Tous les moyens doivent être employés pour débarrasser le peuple yéménite de ce cauchemar», a renchéri la Ligue arabe.
Aussi n’est-ce pas sans raison que le Conseil de sécurité de l’ONU, à l’unanimité de ses membres, a appelé mardi «toutes les parties» à réduire le niveau de violences et «à se réengager sans conditions dans le processus politique conduit par l'ONU pour un cessez-le-feu durable». En trois ans de conflit, près de 9 000 personnes ont été tuées et plus de 50 000 ont été blessées. Plus préoccupant selon l’ONU, le pays, soumis à un embargo par les pays du Golfe, connaît «la pire crise humanitaire de la planète» : 17 millions de personnes souffrent de malnutrition et nécessitent de l'aide alimentaire, 7 millions risquent la famine, l’eau et les médicaments manquent alors que le choléra avance à grands pas.
Pays de vieille civilisation, le Yémen voit partir en poussière son patrimoine historique. L’hebdomadaire Marianne alertait en août 2016 : «Le Grand Barrage de Ma’rib, véritable chef-d'œuvre d'ingénierie construit vers 750 à 700 avant J.-C., a été sévèrement endommagé et il subit toujours des assauts. Le site de Sirwah, haut lieu religieux du royaume de Saba, est également le théâtre de violents combats, et la muraille extérieure de son remarquable temple Almaqah, jusqu’alors incroyablement préservée, a été endommagée. Dans Baraqish, ville fortifiée la mieux préservée du Yémen, le temple minéen de Nakrah, qui constitue l'un des plus beaux vestiges datant du premier millénaire avant J.-C., semble également avoir subi des dommages à la suite d'un bombardement aérien.» Des sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais qui s’en soucie encore ?
H. Z.



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