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Rubrique A fonds perdus

«Capitalisme de surveillance»

Shoshana Zuboff est professeur émérite à la Harvard Business School et ancien collaborateur de la faculté au Centre Berkman-Klein pour l'internet et la société à la Harvard Law School. Le magazine Promarket vient de publier des bonnes feuilles de son ouvrage From the Age of Surveillance Capitalism : The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power (De l'ère de la surveillance capitalisme : la lutte pour un avenir humain à la nouvelle frontière du pouvoir). Il y traite de ce qu’il appelle «la main invisible du capitalisme de surveillance» à l’ère du «servage numérique».(*)
A ses yeux, le nouvel ordre se distingue de l’ancien de trois manières : primo, il préconise «le privilège de la liberté et de la connaissance sans entraves» : secundo, il élague «les recettes biologiques» qui ont prévalu de longue date et, tertio, il trahit «une vision sociétale collectiviste soutenue par une indifférence radicale dont Big Brother est l’expression matérielle».
Les nouveaux maîtres du jeu ont pour seule filiation avec le capitalisme originel qu’ils aspirent à se libérer de toute contrainte, conformément à deux assertions fondamentales : «Les marchés sont intrinsèquement mystérieux», d’une part ; «l'ignorance engendrée par cette lacune commande une grande liberté d'action pour les acteurs du marché», d’autre part.
La célèbre métaphore de la «main invisible» d'Adam Smith sacralise le marché avec cette foi divine que «les actions individuelles qui produisent des marchés efficients se mêlent à un schéma extrêmement complexe, un mystère qu’aucune personne ni aucune entité ne peut espérer connaître ou comprendre, encore moins commander».
Dans son prolongement, tous les libéraux «associent sans équivoque liberté et ignorance». Pour reprendre, Friedrich Hayek — notamment son monumental article, «l’utilisation de la connaissance dans la société», paru en 2011 — «le mystère du marché réside dans le fait qu'un grand nombre de personnes peuvent se comporter efficacement tout en restant ignorantes du tout». Dans cette logique, «la perception humaine» devient superfétatoire car les flux d'informations pertinents opèrent «hors de contrôle de tout esprit», la dynamique du marché permettant aux gens de fonctionner dans l'ignorance sans que «personne soit obligé de prescrire quoi faire».
La marge, le mystère qui se retrouvent dans cette «ignorance» nourrissent tous les rêves attachés au mythe de la concurrence «pure et parfaite» entre agents placés dans des conditions idéales de compétition hors de «toute ingérence réglementaire, législative, judiciaire, sociétale ou publique».
C’est compter sans Big Other et son «pouvoir instrumentaliste» remettant en question le principe classique de «la liberté par ignorance».
De nos jours, le «marché» n'est plus aussi invisible que l'imaginaient Smith ou Hayek : «Un capitalisme de surveillance remplace le mystère par la certitude, il a substitué révision, modification du comportement et prédiction à l'ancien modèle». Il s'agit d'un renversement fondamental de l'idéal classique du «marché».
Au cœur de la nouvelle économie de la surveillance, on retrouve le rôle économique grandissant des modes de surveillance de la population comme nouvelles sources de profit pour des secteurs variés de l'économie.
En 2013, on évaluait le secteur du courtage des données personnelles à 200 milliards de dollars pour les seuls Etats-Unis : c’est trois fois le budget annuellement alloué par le gouvernement américain à ses services de renseignement. Le marché européen est encore plus porteur : la valeur des données personnelles collectées auprès des consommateurs européens était estimée à 315 milliards d’euros en 2011.
Et les besoins semblent loin de connaître leur limite. Mark Zuckerberg nous promet que Facebook finira par connaître tous les livres, films et chansons que vous appréciez et que «ses modèles prédictifs vous indiqueraient le bar où aller lorsque vous arriverez dans une ville inconnue, où le barman vous accueillera avec votre boisson préférée».
Auparavant, l'ancien vice-président des Etats-Unis Al Gore déplorait, en 2013, de vivre «dans une économie de traqueurs», avec pour acteurs des «entreprises exploitant internet pour en extraire les informations concernant les habitudes de consultation et de consommation des utilisateurs, afin de cibler au mieux leurs publicités».
Le responsable de l’équipe scientifique Facebook est fier du résultat : «Pour la première fois, nous avons un microscope qui... nous permet d’examiner le comportement social à un niveau de finesse jamais atteint auparavant.»
C’est également l’avis d’Eric Schmidt de Google en 2010 : «Vous nous donnez plus d'informations sur vous, sur vos amis, et nous pouvons améliorer la qualité de nos recherches. Nous savons où vous êtes. Nous savons où vous êtes allé.»
Pour Satya Nadella de Microsoft, «tous les espaces physiques et institutionnels, les personnes et les relations sociales peuvent être indexés et consultés: tout cela est sujet au raisonnement automatique, à la reconnaissance de formes, à la prédiction, la préemption, l’interruption et la modification».
Ainsi, le capitalisme de surveillance se décline comme «une convergence sans précédent de la liberté et du savoir» et le niveau de cette convergence correspond exactement à la mesure du «pouvoir instrumentaliste».
«Les capitalistes de la surveillance réclament la liberté de commander le savoir, puis exploitent cet avantage du savoir pour protéger et étendre cette liberté.»
«Plus étonnant encore, le capital d’investigation provient de la dépossession de l’expérience humaine, concrétisée dans ses programmes de restitution unilatéraux et omniprésents : nos vies sont raclées et vendues pour financer leur liberté et notre assujettissement, leur connaissance et notre ignorance de ce qu’ils savent.»
«La combinaison de la connaissance et de la liberté contribue à accélérer l'asymétrie du pouvoir entre les capitalistes et les sociétés dans lesquelles ils évoluent. Ce cycle ne sera brisé que si nous reconnaissons en tant que citoyens, en tant que sociétés et en tant que civilisation que les capitalistes de la surveillance en savent trop pour être éligibles à la liberté.»
A. B.

Shoshana Zuboff, The Road to Digital Serfdom? The Visible Hand of Surveillance Capitalism, Promarket, 22 février 2019,
https://promarket.org/road-to-digital-serfdom-surveillance-capitalism-visible-hand/?mc_cid=cfc0120717&mc_eid=6b484f1c8e

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