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Rubrique A fonds perdus

«Capitalisme prédateur»

L’ère du libéralisme économique adossé à une régulation qui jugule les monopoles, les abus de position dominante et laisse ouvertes les portes d’accès à la concurrence a vécu : «Les régulateurs américains sont essentiellement devenus des institutions à tout faire», nous dit Jonathan Tepper, auteur d’un livre à succès intitulé «Le mythe du capitalisme: les monopoles et la mort de la concurrence», dans une interview accordée à ProMarket.(*)
Le propos n’émane pas d’un militant marxiste mais d’un expert de la finance, fondateur de Variant Perception, une société de recherche en investissements spécialisée dans les fonds de couverture, les banques, les gestionnaires d'actifs et les family offices (des bureaux privés de gestion de patrimoine ou gestionnaires de grandes fortunes détenant et contrôlant le patrimoine d'une ou de quelques familles).
«Quelque chose a terriblement mal tourné dans le capitalisme américain (…) Les Américains sont aujourd'hui soumis à un système qui encourage et récompense les comportements prédateurs, dans lequel les monopoles et les oligopoles sont autorisés à faire saigner à blanc les consommateurs (parfois même littéralement) en toute impunité», constate-t-il d’emblée
Selon Tepper, le système en vigueur aux Etats-Unis n’a rien à voir avec le capitalisme car celui-ci repose sur la concurrence. Or, celle-ci n’existe pratiquement pas dans l’économie américaine : «L’économie américaine a été dépassée par une ‘’fausse version du capitalisme’’, des représentants du gouvernement autorisant (cultivant même) la concentration du pouvoir économique et politique entre les mains de quelques puissants monopoles qui influencent les régulateurs afin d’obtenir les règles qu'ils veulent et font des dons pour obtenir les lois qu'ils désirent.»
Résultat : l’économie américaine enregistre de nos jours «moins de concurrence, moins de productivité, des salaires plus bas et des inégalités stupéfiantes».
Dans sa version actuelle, qui affiche un niveau de perversion jamais atteint dans l’histoire, le marché récompense essentiellement les comportements oligopolistiques : «Bon nombre des entreprises sont non seulement trop grosses pour faire faillite, mais aussi trop grosses pour que leurs dirigeants soient emprisonnés. Il n'y a vraiment pas beaucoup de sanctions pour le mauvais comportement sur les marchés aujourd'hui.»
«Vous vous décrivez comme un capitaliste et défenseur des marchés libres. Et pourtant, vous prétendez que ce que nous avons aujourd'hui aux Etats-Unis est une ‘’version grotesque et déformée du capitalisme’’. Quelle est la différence entre le capitalisme, comme vous le voyez, et l'économie américaine d'aujourd'hui ? », demande le journaliste à l’expert.
«Le capitalisme ne consiste pas seulement à posséder des propriétés privées et à ne pas être communiste, mais bien à concurrencer. La concurrence est ce qui crée des signaux de prix clairs qui aident à stimuler l’offre et la demande. Donc, l'absence de concurrence, l'absence d’opposition, est troublante.»
L’ordre établi est qualifié de «capitalisme prédateur», même si tous les secteurs d'activité ne sont pas fortement concentrés. Toutefois, «il y a des industries importantes où il n'y a pas de concurrence ou très peu de concurrence, et il y a ensuite des entreprises qui ne créent pas de valeur mais qui sont essentiellement des extractrices de valeur».
Le libre choix qui avait été «la promesse fondamentale du capitalisme de marché libre» fait largement défaut de nos jours.
Au-delà du monopole, ce qui terrifie le plus l’auteur c’est l'oligopole : «La vérité est qu'il existe des secteurs de l'économie où opèrent des duopoles ou des oligopoles à trois, quatre, voire cinq joueurs. Ce qui finit par se produire, c’est que vous vous retrouvez avec une connivence tacite, dans laquelle les entreprises jouent à des jeux répétés les unes avec les autres et n’ont aucune raison de se faire concurrence.»
Citant Tim Wu, un juriste américain, professeur à la Columbia Law School, il lui emprunte la formule : «Nous savons comment lutter contre les monopoles, mais les régulateurs sont confus en ce qui concerne les duopoles et les oligopoles.»
A la différence du monopole (une situation dans laquelle un offreur se trouve détenir une position d'exclusivité sur un produit ou un service offert à une multitude d’acheteurs), l’oligopole se produit lorsqu'il y a, sur un marché, un nombre faible d'offreurs (vendeurs) et un nombre important de demandeurs (clients).
Ainsi, aux Etats-Unis, «de nombreuses entreprises ne veulent pas être concurrentielles et de nombreux investisseurs ne souhaitent investir que dans des monopoles».
Comment l’Amérique en est arrivée là depuis 40 ou 50 ?
L’origine de la perversion remonte aux années 1960 et 1970, lorsque Robert Bork - magistrat nommé à la Cour suprême par le Président Ronald Reagan en 1987 - et d’autres dénonçaient la rigueur avec laquelle les lois antitrust étaient appliquées, estimant que cela nuisait à l'efficacité et à certaines économies d'échelle.
40 ans plus tard, ce qui était au départ un effort louable pour autoriser un peu plus de fusions est finalement devenu «une politique du néant».
C’est ainsi que par «un effet de cliquet», chaque vague de fusion emportait de plus en plus de joueurs.
Le gouvernement a complètement et radicalement modifié la législation antitrust dont principalement le Sherman Act et le Clayton Act.
Le Sherman Anti-Trust Act du 2 juillet 1890 est la première tentative du gouvernement américain de limiter les comportements anticoncurrentiels des entreprises ; il passe généralement pour l’acte de naissance du droit moderne de la concurrence. Le Clayton Antitrust Act du 15 octobre 1914 fut voté pour remédier aux insuffisances du Sherman Anti-Trust Act.
Le verrouillage législatif néolibéral corrobore un maillage judiciaire qui fait que «dans de nombreux cas, les personnes favorables à la fusion ont également pris le contrôle des tribunaux et ont rendu le fardeau de la preuve si lourd qu'il était très difficile d'arrêter les fusions. Cela est en grande partie hautement idéologique, en ce sens que la plupart des études ou des modèles favorables à la fusion qui ont été réalisés avant les fusions se révèlent erronés rétrospectivement. 
La vague de fusions massives qui a eu lieu en 2014 et a culminé en 2015 a vraiment fait beaucoup de dégâts dans les domaines de la santé, de l'assurance et de l’industrie pharmaceutique.
La tendance s’est encore accrue sous la présidence Trump.
Un tel processus semble faire l’unanimité contre lui : «Je suis conservateur, mais je pense que ce n'est pas un problème de gauche ou de droite. Alors que la gauche peut être motivée par un plus grand désir d'égalité, la droite peut être motivée par le désir de libéraliser les marchés. En fin de compte, ce que nous voulons, c’est la même chose, c’est-à-dire une concurrence accrue et la garantie de ne pas avoir de fortes concentrations de pouvoir et une corruption du processus politique.»
A. B.


(*) Asher Schechter, “US Regulators Have Essentially Become Do-Nothing Institutions”
ProMarket, 6 décembre 2018
https://promarket.org/regulators-do-nothing/?mc_cid=07e93da192&mc_eid=6b484f1c8e

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