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Rubrique A fonds perdus

Des droits et des libertés

L’Europe réagit énergiquement à l’endroit du vieil allié américain égoïste, imprévisible et prédateur. Elle veut protéger ses intérêts et ses libertés, deux volets indissociables.
S’agissant du premier volet, le Parlement européen a adopté ce 26 mars la nouvelle directive sur les droits d’auteur, après deux longues années de vifs débats.
Le texte se propose d’harmoniser le droit de la propriété intellectuelle dans l’Union européenne avec des incidences majeures sur le rapport à la création sur internet.
Les animateurs du débat se recrutent dans deux camps, mus par des intérêts bien divergents.
Dans le premier camp, nous retrouvons les organisations de défense des libertés numériques et les internautes qui s’opposent au texte de crainte qu’il n’instaure un filtrage généralisé du web. Des outils de filtrage et de censure automatique existent déjà sur YouTube ou Facebook, mais leur généralisation est énonciatrice d’une potentielle censure systématique des contenus en ligne.
L’autre camp regroupe les représentants des industries culturelles et des ayants droit, les créateurs et les artistes, en quête d’une protection contre le «pillage» des œuvres par les géants numériques. Ces derniers auront ainsi l’obligation de conclure des accords avec les ayants droit afin d’être en mesure de les rémunérer lorsqu’un utilisateur poste une œuvre musicale, écrite ou vidéo soumises à des droits.
L’enjeu financier est énorme. La création artistique européenne annuelle est estimée  à  536 milliards d’euros,    ce    qui    correspond   à  7 200 000 emplois, si l’on croit l’ancien journaliste de télévision Jean-Marie Cavada, aujourd’hui eurodéputé Modem et fervent soutien de la réforme.
Les éditeurs qu’on classe parfois maladroitement dans le premier camp semblent trouver satisfaction avec l’article 11 qui prévoit leur rémunération par les plateformes en ligne.
En plus des droits légitimes des créateurs, les deux plus grandes plateformes américaines (Google et Facebook) absorbent à elles seules aujourd’hui près de 80% des revenus publicitaires sur internet, soit des dizaines de milliards de dollars par an.
Certes les GAFAM (l'acronyme des géants du Web — Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), consentent à payer pour utiliser des contenus, mais ils le font dans le cadre d'accords au cas par cas.
Au-delà de la question des droits reconnus aux auteurs, le bras de fer témoigne de nombreux autres enjeux, notamment les libertés, de quelque nature qu’elles soient.
L’Europe est résolue à faire payer les géants américains du Net, les GAFA pour préserver son modèle concurrentiel, si l’on croit le Président français Emmanuel Macron. « Nos frontières doivent assurer une juste concurrence. Quelle puissance au monde accepte de poursuivre ses échanges avec ceux qui ne respectent aucune de ses règles ? Nous ne pouvons pas subir sans rien dire. Nous devons réformer notre politique de concurrence, refonder notre politique commerciale : sanctionner ou interdire en Europe les entreprises qui portent atteinte à nos intérêts stratégiques et nos valeurs essentielles, comme les normes environnementales, la protection des données et le juste paiement de l’impôt ; et assumer, dans les industries stratégiques et nos marchés publics, une préférence européenne comme le font nos concurrents américains ou chinois.»
La fermeté du propos a étonné les observateurs : « Une telle position est un discours nouveau dans une Europe qui n’a jamais osé brandir aussi explicitement cette menace, sans doute d’abord parce que sa culture libérale (au bon sens du terme) l’empêche de la formuler, et ensuite par crainte légitime d’être assimilée à la Chine et au côté obscur des régimes autoritaires. »(*)
Le paiement des droits dus aux créateurs va de pair avec les règles de protection des libertés. Avec l’entrée en application du Règlement général sur la protection des données (RGPD) le 25 mai 2018, les autorités en charge de la protection des données disposent de moyens légaux pour sanctionner lourdement les GAFA et autres entreprises soupçonnées de violer les règles européennes. Un plafond de 4% du chiffre d’affaires mondial menace ces dernières en cas de violation grave du RGPD.
La décision de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de France contre Google du 21 janvier dernier a retenu une sanction pécuniaire record, de 50 millions d’euros et, surtout, énuméré beaucoup de points fondamentaux que Google devra changer dans ses façons de faire s’il veut échapper à une nouvelle sanction plus lourde, en France ou ailleurs en Europe.
Pour la CNIL, les faits et manquements recensés justifient que soit prononcée une amende administrative à l’encontre de la société pour quatre grands motifs :
- Primo, la nature particulière des manquements relevés à la licéité du traitement et aux obligations de transparence et d’information.
- Secundo, les manquements retenus et les violations continues du Règlement : « Il ne s’agit ni d’une méconnaissance ponctuelle de la société à ses obligations, ni d’une violation habituelle à laquelle le responsable du traitement aurait mis fin spontanément.»
- Tertio, la gravité des violations, appréciée au regard notamment de la finalité des traitements, de leur portée et du nombre de personnes concernées. « A cet égard, le renforcement des droits des personnes est l’un des axes majeurs du Règlement. Le législateur européen rappelle que l'évolution rapide des technologies et la mondialisation ont créé de nouveaux enjeux pour la protection des données à caractère personnel. L’ampleur de la collecte et du partage de données à caractère personnel a augmenté de manière importante. Les technologies permettent tant aux entreprises privées qu'aux autorités publiques d'utiliser les données à caractère personnel comme jamais auparavant dans le cadre de leurs activités (…) Les technologies ont transformé à la fois l'économie et les rapports sociaux (considérant 6). Il souligne ainsi que ces évolutions requièrent un cadre de protection des données solide (…) assorti d'une application rigoureuse des règles, car il importe de susciter la confiance qui permettra à l'économie numérique de se développer dans l'ensemble du marché intérieur. »
- Quatro, les manquements mis en perspective « au regard du modèle économique de la société, en particulier de la place du traitement des données des utilisateurs à des fins publicitaires via le système d’exploitation Android ». Il est tenu compte de la place prépondérante occupée par la société sur le marché des systèmes d’exploitation, de la gravité des manquements et de l’intérêt que représente la décision pour l’information du public.
A. B.

(*) Guillaume Champeau, Faut-il menacer les GAFA de bloquer leurs services en Europe ? Les Crises, 24 mars. 2019 
https://www.les-crises.fr/faut-il-menacer-les-gafa-de-bloquer-leurs-services-en-europe-par-guillaume-champeau/

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