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Rubrique A fonds perdus

Le marché unique numérique

L’Europe est loin d’être une quantité négligeable dans la compétition qui traverse l’économie numérique. Paul-Jasper Dittrich, chercheur au Jacques-Delors Institut Berlin, rappelle ainsi que la Commission Juncker a placé la politique numérique européenne au cœur de ses priorités : «Entre 2014 et 2019, elle a supervisé les négociations finales et la mise en œuvre du Règlement général sur la protection des données (RGPD), conduit un examen approfondi de la domination des grandes plateformes technologiques américaines, et mis en place un ensemble ambitieux de politiques pour actualiser la réglementation de l’économie numérique via le paquet législatif du marché unique numérique. Parmi les 30 propositions législatives présentées sur le marché unique numérique, 28 ont été approuvées par le Parlement, le Conseil et la Commission, avant le terme du mandat de cinq ans en avril 2019».(*)
Loin d’être timorée, la stratégie européenne, bel et bien audacieuse, affiche «une assurance politique nouvelle», avec un accent particulier mis sur le respect de la vie privée et la concurrence loyale, «à travers notamment le RGPD et la lutte contre la domination des grandes plateformes en ligne sur le marché européen». 
Le ventre mou du marché unique numérique, renvoie à deux problématiques clés susceptibles de dominer le débat au cours des cinq prochaines années : «la réglementation des plateformes en ligne (concurrence, responsabilité, discours de haine, transparence des algorithmes)», d’une part ; «l’amélioration des dispositions concernant les start-up européennes et les industries en phase de transformation numérique, d’autre part.  Aussi, est-il attendu de la nouvelle Commission(**) qu’elle axe sa politique numérique sur deux principes fondamentaux :  
- protéger la souveraineté réglementaire de l’UE face aux grandes plateformes et aux gouvernements étrangers ;
- aider les start-up et les industries en cours de transformation numérique à mieux utiliser le marché unique. Sur le premier point, l’objectif de l’UE est de réaliser une «souveraineté technologique» adossée à une «souveraineté réglementaire» conforme à ses intérêts et à ses valeurs, avec notamment une gouvernance des grandes plateformes du secteur privé qui respecte ses valeurs fondamentales : «Au cours des cinq dernières années, l’UE s’est montrée capable d’instaurer un cadre législatif fondé sur des valeurs comme (le droit à) la vie privée tout en surveillant de près la domination des plateformes en ligne. Le RGPD, les initiatives législatives telles que la Réglementation des relations entre les plateformes et les entreprises (Platform-to-Business ou P2B) et les discussions en cours sur le pouvoir de marché des plateformes, les discours de haine ainsi que l’utilisation éthique des algorithmes, témoignent de la confiance et de la détermination nécessaires pour orienter et engager la transformation numérique dans le respect des valeurs et des intérêts européens.»  
L’Europe s’enorgueillit, à juste titre, de ce que son RGPD a déjà établi «des normes mondiales, reprises par d’autres pays comme le Japon et le Brésil», alors que, par ailleurs, «la règlementation de la transmission des données privées issues du marché unique occupe aujourd’hui une place centrale dans les accords commerciaux (comme le JEFTA, accord de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne) et a offert aux fonctionnaires européens un puissant levier dans les négociations commerciales». 
Sur le second point, il est jugé que les start-up comme les entreprises traditionnelles ont besoin de meilleures conditions-cadres pour se développer et elles accomplissent déjà «de réels progrès» : «Un nombre record de start-up technologiques européennes ont vu leur valorisation boursière dépasser le milliard de dollars en 2018 (ce qui leur vaut le surnom de ‘’licornes’’). Trois des dix plus grandes cotations boursières mondiales d’entreprises technologiques financées par capital de risque sont européennes, Spotify étant l’exemple le plus célèbre. En 2018, 23 milliards de dollars ont été investis dans la technologie, contre 5 milliards de dollars il y a cinq ans. Les chiffres ne cessent d’augmenter : au deuxième trimestre 2019 uniquement, la tech européenne a bénéficié d’un montant record de 9,3 milliards d’euros d’investissement en capital risque.»  
Cela reste toutefois insuffisant pour relever le défi face à la déferlante chinoise et au quasi-monopole américain. Le maillon faible des opérateurs européens est «un marché unique fragmenté», avec un nombre relativement faible de «licornes» et de start-up technologiques européennes, en particulier dans le secteur de l’Intelligence artificielle (IA). L’Europe souffre aussi en matière d’innovation et accuse un déficit d’investissement dans la recherche, même si «le déficit d’innovation de l’UE n’est pas dû à un manque de connaissances ou d’idées, mais au fait qu’elle ne les exploite pas». En effet, est-il rappelé, «le bloc européen accueille de grandes universités et ses recherches théoriques sur l’IA, financées par des fonds publics, comptent parmi les plus brillantes au monde. L’Europe (dont la Suisse et la Turquie) abrite la grande majorité des 100 meilleures institutions de recherche sur l’IA dans le monde. Paul-Jasper Dittrich recommande cinq questions-clés qui devraient faire partie des priorités pour 2019-2024 : l’intelligence artificielle (AI), une nouvelle stratégie de données, des écosystèmes d’innovation paneuropéens, un plan visant à restreindre le pouvoir excessif des plateformes et, enfin, une nouvelle approche en matière de financement et de développement de l’innovation dans l’UE. Qui a dit que les pays occidentaux étaient rétifs à la planification ? 
A. B.

(*) Paul-Jasper Dittrich, New Beginnings Défis pour l’Europe numérique et les politiques d’innovation, Institut Jacques Delors, 2 septembre 2019.
(**) Après avoir remporté le vote des députés européens le 16 juillet 2019, l'Allemande Ursula von der Leyen 
<https://fr.wikipedia.org/wiki/Ursula_von_der_Leyen> occupera cette fonction après le 1er novembre 2019.    

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