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Rubrique A fonds perdus

«Le peuple contre la démocratie»

«Si vous n’avez pas encore entendu parler de Yascha Mounk, cela ne va pas tarder», prédit Francis Fukuyama, l’auteur japonais de «La fin de l’Histoire», largement démenti par les dérives néolibérales du capitalisme qui ont trahi l’idéal libéral érigé par lui en issue incontournable.
Yasha Mounk, professeur de théorie politique à l’université Harvard, dresse un tout autre état des lieux dans un ouvrage traduit en français par les éditions de l’Observatoire en 2018, sous le titre «Le peuple contre la démocratie»(*).
La démocratie libérale, «un système de gouvernement qui paraissait immuable, donne l’impression de pouvoir soudain s’effondrer» sous l’assaut des «populaires autoritaires (qui) ont le vent en poupe tout autour du monde».
Le scénario résulte du divorce entre les libertés individuelles et la souveraineté populaire : le système naissant est réduit à une «démocratie sans liberté», par ailleurs qualifiée de «démocratie hiérarchique», de «démocratie antilibérale» ou encore de «démocratie sans liberté» qui donne libre cours à la «tyrannie de la majorité» sans aucun respect pour les institutions indépendante et les libertés individuelles, après une parenthèse néolibérale de «libertés sans démocratie» où milliardaires et technocrates imposaient leur volonté.
Partout, le libéralisme et la démocratie sont en conflit : «La démocratie libérale, ce mélange unique de liberté individuelle et de souveraineté populaire, qui a longtemps caractérisé la plupart des gouvernements d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale, craque aux entournures. A sa place, ce à quoi nous assistons est la naissance de démocraties antilibérales, ou démocraties sans liberté, et d’un libéralisme antidémocratique ou libertés sans démocratie.»
Cette mutation est imputée à trois facteurs jugés cruciaux :
- la baisse drastique du niveau de vie et l’accroissement des inégalités ;
- les migrations de masse qui ont effrayé le groupe racial, ethnique ou culturel dominant ;
- la perte du monopole des communications de masse par les élites politiques et financières et l’avènement des réseaux sociaux qui ont, par ailleurs, «redistribué les rapports de force entre professionnels et non-professionnels de la politique».
Deux conséquences sont attachées à ces mutations :
- la décomposition de la démocratie libérale, «donnant naissance à une démocratie antilibérale d’un côté et à un libéralisme antidémocratique de l’autre» ;
- «le désenchantement profond à l’encontre du système politique».
La crise de la démocratie libérale a enfanté deux nouvelles formes de régimes : «La démocratie antilibérale, ou démocratie sans libertés, et le libéralisme antidémocratique, ou les libertés sans la démocratie.»
La première «courra toujours le risque de se transformer en dictature pure et simple», tandis que «la capacité du peuple à influencer la politique s’est réduite de façon drastique» sous l’effet démesuré de la puissance octroyée à la bureaucratie, comme en témoigne le rôle joué par la Commission européenne (elle «conçoit, rédige et applique la majorité des lois européennes»), les banques centrales, le contrôle judiciaire et les traités et organisations internationaux.
Il en résulte des «niveaux stratosphériques d’insatisfaction à l’égard du système politique», des désillusions et du mécontentement qui rendent les citoyens, notamment les jeunes, «de plus en plus ouverts aux possibilités autoritaires» et favorables à un «leadership dur».
«La démocratie n’est plus le seul choix possible : elle est en cours de déconsolidation» et «ce sont les jeunes qui s’avèrent les plus critiques à l’égard de la démocratie», déplore l’auteur.
Le recensement des «conditions d’observation» du phénomène en fixe trois :
- l’amplification de mouvements et d’hommes politiques jusque-là marginaux grâce à la montée d’internet et des réseaux sociaux ;
- la détérioration continue du niveau de vie et l’accroissement des inégalités ;
-  la remise en cause de la «population monoethnique» par un groupe ethnique spécifique.
Internet et les réseaux sociaux ont «modifié de manière profonde nos conditions structurelles de communication» : «La communication d’un à plusieurs s’est désormais transformée en communication de plusieurs à plusieurs.» Aussi, n’étant «pas nécessairement bons ni mauvais pour la démocratie», les réseaux sociaux «suturent l’écart technologique existant entre ceux du dedans et ceux du dehors», entre les initiés politiques et les profanes.
Les technologies numériques ont ainsi redessiné le paysage politique des vieilles démocraties : en augmentant les capacités de ceux qui sont dehors, elles «déstabilisent les élites au pouvoir tout autour du monde et accélèrent le changement», elles contribuent aussi à «rendre le monde plus chaotique» à court terme.
Le facteur économique pèse également lourd dans l’évolution. Le progrès économique des pays développés s’est progressivement ralenti. Aussi, «l’effet combiné du ralentissement de la croissance et de l’augmentation des inégalités a conduit à la stagnation du niveau de vie de la majorité de la population.» Il se dessine «une nostalgie pour le passé économique» d’autant plus dangereuse qu’elle ne s’intéresse pas qu’à l’argent mais concerne aussi «l’érosion des espérances».
Aux USA, les 0,1% les plus riches ont autant de richesses que 90% de la population. Comme dans les années 30. Erosion des espérances : l’hypothèse est confirmée par une enquête réalisée par Ipsos pour le Secours populaire auprès des jeunes Européens et qui a paru le lendemain de Noël, le 25 décembre 2018. L’enquête montre en effet que 4 jeunes sur 10 estiment qu'il y a un risque important qu'ils basculent dans une situation de précarité ou de pauvreté dans les mois qui viennent. Ils sont même 44% à le penser en France, 56% en Italie où l'inquiétude est la plus élevée, bien plus qu'en Grande-Bretagne (32%) ou en Pologne (28%) **-.
La frustration que cela génère depuis un quart de siècle se mêle à des «réflexes d’exclusion».
Le facteur identitaire – incarné par de moins en moins d’homogénéité ethnique – révèle de «graves tensions» induites par l’immigration de masse. La démocratie multiethnique devient un leurre, y compris aux Etats-Unis. «Pour le meilleur ou (selon toutes probabilités) pour le pire, le nationalisme semble destiné à demeurer au XXIe siècle ce qu’il était déjà aux XIXe et XXe siècles : la force politique la plus déterminante de son époque.»
Le populisme ascendant au cours des dernières décennies «combine un engagement fort en faveur du nationalisme exclusiviste et une remise en cause antilibérale des institutions», signant l’arrêt de mort de «l’idéal de la démocratie libérale et multiethnique».
A. B.

(*) Yascha Mounk, Le peuple contre la démocratie, éditions de l’Observatoire, collection «la Relève», Paris 2018, 517 pages.
(**) Enquête réalisée par Ipsos pour le Secours populaire à l'occasion du Festival des solidarités, auprès de 2 500 jeunes âgés de 15 à 25 ans, interrogés par internet du 20 septembre au 8 octobre 2018. Dans chacun des pays sondés, un échantillon représentatif de la population des 15-25 ans a été interrogé (méthode des quotas): 1 000 personnes en France, 500 en Grande-Bretagne, 500 en Italie et 500 en Pologne.
https://www.huffingtonpost.fr/amandine-lama/4-jeunes-europeens-sur-10-ont-peur-de-tomber-dans-la-pauvrete_a_23566081/?ncid=other_twitter_cooo9wqtham&utm_campaign=share_twitter

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