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Rubrique A fonds perdus

Les dangers du fichage

Les militants des droits de l’Homme sont inquiets. La plus grande démocratie du monde s’apprête à commettre l’irréparable : installer un immense système d’identification qui recense la quasi-totalité de ses habitants qui sont aujourd’hui environ 1,3 milliard de personnes.
« Fondation » (Aadhaar en hindi), c’est le nom du système en cause, représente en effet de multiples dangers pour les libertés publiques, soutient Samuel Durand, auteur d’une très belle étude sur le sujet.(*)
Il est carrément attendu du nouveau dispositif « une triple refondation de l’État indien » :
- réduire les coûts d’identification des personnes pour les entreprises et pour l’État ;
- « valoriser la population au sens des mercantilistes (comme source de richesse pour une nation), d’en faire un élément essentiel de la croissance économique du pays et donc de la force de l’État » ;
- « désigner chacune par un identifiant unique (UniqueIDou tout simplement UID) dans tous les domaines, autoriserait une surveillance généralisée de la population, dans une optique plus étatiste, nationaliste et autoritaire ».
L’organe en charge de la mise en place de projet, est l’Unique ID Authority of India (UIDAI).
La mise en place du système remonte à la décennie 2004-2014, lorsque le Congrès accéda au pouvoir à la tête d’une coalition avec « un enjeu électoral important (qui) réside dans le niveau de redistribution au profit des basses castes, qui représentent la grosse majorité de la population ».
Est en cause ici l’efficacité des transferts sociaux et autres subventions et soutiens des prix dans la lutte contre les inégalités sociales.
En réponse aux critiques de l’opposition, est esquissée l’idée de recours à « des transferts directs en espèces ciblant les bénéficiaires, et qui s’appuieraient précisément sur Aadhaar pour identifier les personnes, et transférer les sommes correspondantes à l’aide sur leur compte bancaire, passant ainsi d’une aide en nature à une aide en espèces. Ainsi, l’État voit dans Aadhaar une potentielle source d’économies budgétaires importantes. »
Rien n’oblige cependant une personne à se faire ficher si ce n’est que cela constitue une condition pour son accès aux aides.
Les personnes s’enregistrent massivement « car un flou important existe sur le caractère facultatif ou obligatoire du numéro pour accéder à toute une série de services courants », avant qu’une bataille juridique de grande ampleur entre l’État central et la Cour suprême aboutisse à un jugement de septembre 2018, selon lequel Aadhaar serait obligatoire pour l’accès aux droits sociaux.
« Quoi qu’il en soit, l’obligation pratique d’avoir Aadhaar pour accéder à toute une série de services a considérablement favorisé les enregistrements. Le projet a bénéficié à plein du pouvoir de marché des grandes institutions et de la capacité de contrainte de l’État. Pas de numéro d’identification, pas d’accès aux droits ou aux services, de sorte que les enregistrements ont finalement crû à un rythme soutenu, et qu’en novembre 2018, l’UIDAI revendique 1,2 milliard de personnes enregistrées, soit environ 92% de la population. »
Outre l’impact sur la réduction du niveau de corruption, une meilleure information ou le suivi en temps réel des approvisionnements aux différents intermédiaires, l’introduction d’Aadhaar permet de lutter « contre une petite partie de la fraude, celle qui nuit à l’État, pas celle qui nuit aux bénéficiaires ».
« On observe, selon l’étude, trois grands types de fraudes :
fraude à l’éligibilité, par laquelle une personne se présente comme éligible à une prestation à laquelle elle n’a pas droit en réalité, par exemple en sous-estimant ses revenus ;
fraude à la quantité, par laquelle la personne reçoit moins que ce à quoi elle a droit, l’intermédiaire gardant la différence ;
fraude à l’identité, qui donne lieu à l’existence des fameux « fantômes » (ghosts) et « doublons » (duplicates) qui ont beaucoup servi à justifier le déploiement d’Aadhaar ».
Les défenseurs des droits de l’Homme ne l’entendent pas de la même oreille et ciblent l’impact du système sur les libertés et autres droits de la personne : « Au-delà de ces dénis de droits, Aadhaar pose surtout problème en ce qu’il représente un danger pour les libertés publiques. Grâce à certaines fonctionnalités du dispositif, les États ont construit des bases de données sur leurs résidents, les State Resident Data Hub (SRDH), qui contiennent des informations beaucoup plus étendues que ce dont dispose l’UIDAI. La plupart des États y incluent des données sur les programmes sociaux. Certains disposent également des données de géolocalisation des personnes et de leur domicile. Dans le secteur privé, la même configuration doit exister, tant l’activité de vente et de revente des données est rendue lucrative par l’existence d’un identifiant unique, qui rend désormais toutes les bases compatibles. Il est vraisemblable que des méta-bases de données, obtenues par croisement entre ces différentes sources, existent, mettant à profit l’essaimage pour faire des profils détaillés des personnes. »
A. B.

(*) Samuel Durand, Ficher 1, 3 milliard de personnes. Le projet d’identifiant unique en Inde, La Vie des idées, 29 mars 2019. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Ficher-1-3-milliard-de-personnes.html

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