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Rubrique A fonds perdus

Mirage ou miracle allemand ?

World Economic Forum a mis en ligne une étude d’une actualité brûlante car elle touche à un véritable tabou : la remise en question du «miracle de l’emploi» allemand.(*)
L’Allemagne est considérée comme un «modèle» pour le reste de l’Europe pour deux raisons largement ressassées : elle affiche le plus important excédent commercial au monde et son niveau de chômage – moins de cinq pour cent – est au plus bas et en diminution régulière depuis la crise de 2008 (c’est le deuxième plus haut taux d'emploi dans l'UE après la Suède).
Un taux aussi bas et en constante réduction est présenté comme un «miracle de l'emploi».
Le modèle allemand est généralement applaudi pour sa règle de partage de l’emploi, quitte à passer sous silence l’épineuse question des salaires. Par ailleurs, le compromis institutionnalisé pour une répartition du travail n’a pas encore livré tous ses secrets sur la qualité des emplois ainsi préservés et l’ampleur des droits qui leur sont attachés.
La face cachée du modèle nous est brutalement rappelée par l’auteur de l’étude : «L’Allemagne abrite également l’un des plus importants secteurs d’Europe où les salaires sont bas, avec une insécurité croissante et une inégalité des revenus. Alors que l’Allemagne a enregistré son plus bas taux de chômage depuis la réunification, cette année, la pauvreté a également atteint son plus haut niveau depuis la réunification.»
Cet état des lieux contraste avec une longue tradition bismarckienne d’Etat-providence bismarckien qui a pris pour configuration finale une économie sociale de marché qualifiée d’ordolibéralisme.
La théorie ordolibérale, née en 1937 dans Ordnung der Wirtschaft, une revue publiée par des juristes qui mettent à la charge de l'État la responsabilité d’un cadre légal et institutionnel à l'économie, afin de garantir un niveau sain de concurrence «libre et non faussée», à défaut d’être parfaite.
C’était sans compter avec la nouvelle division du travail du nouvel ordre financier néolibéral à laquelle aucune entreprise ne pouvait échapper.
Au cours des années 1990, le capitalisme allemand a entrepris d’accroître ses capacités de compétition dans les nouvelles chaînes de valeurs mondiales, avec une préférence pour l’Europe de l’Est dans ses délocalisations.
Conséquence : en dépit de nombreuses concessions syndicales, le nombre de chômeurs double entre 1991 et 2003, pour atteindre le taux historique de 11,6%, 4,4 millions de victimes, avec une situation bien pire dans les régions héritées de l’ex-RDA nouvellement annexées.
L’arrivée du chancelier social-démocrate Gerhard Schröder(**) à la tête d’une coalition rouge (SPD) — Vert en 1998 a consacré une nouvelle vision du rapport capital/travail qualifiée de «Troisième voie/Neue Mitte» et mise en œuvre dans le cadre de ce qui a été appelé les «réformes Hartz» – du nom de Peter Hartz, directeur du personnel de Volkswagen, où il négocia des accords sur la flexibilité des horaires.
Celles-ci consistaient en quatre lois (Hartz I-IV) adoptées entre 2003 et 2005 destinées à accroître encore plus la flexibilité du marché du travail «en assouplissant les restrictions au travail temporaire, en réduisant les obstacles au licenciement des petits établissements et en instaurant des conditions de travail précaires».
«Ces réformes ont entraîné une réduction significative des allocations de chômage pour les chômeurs de longue durée et une réduction de la générosité de l'assurance-chômage. En conséquence, la réforme Hartz IV a également contribué à la croissance d'un secteur d'emploi peu rémunéré. Le nombre de travailleurs sous-traitants occupant des emplois temporaires est passé d'environ 288 000 en 2003 à plus d'un million en 2016 (près de 3% du nombre total d'employés).»
Le secret du miracle allemand tient à une règle simple : le partage du temps de travail, quitte à brider, à faire l’impasse ou à fermer les yeux sur les revendications salariales.
Le corollaire de ce compromis est une surexploitation du travail en contrepartie d’une modération salariale : «Selon les données d'Eurostat, le nombre total d'heures travaillées en Allemagne a augmenté de 3,3% entre 1996 et 2016. Ce chiffre est bien inférieur à l'augmentation de la même durée en France (9,2%) et dans l'UE-28 (7,7%). La performance optimiste de l'emploi en Allemagne a été rendue possible par la redistribution du même volume de travail entre davantage d'employés. Cela a été réalisé en créant environ 4,8 millions d'emplois à temps partiel dominés par les femmes et les travailleurs âgés au cours de la dernière décennie. Parmi les quatre plus grands pays de la zone euro, l'Allemagne détient la plus forte proportion de travailleurs à temps partiel dans l'emploi total, qui était de 27% en 2017.»
Un travailleur allemand sur cinq gagne moins de 10 euros par heure. Les revenus réels ont presque stagné pour de nombreux Allemands après deux décennies de croissance stable des salaires. Cette inégalité salariale a contraint l'Allemagne à établir un salaire minimum national obligatoire en 2015.
La précarisation durable du travail a fini par générer une pénurie de compétences dans une société qui vieillit.
L'arrivée de plus de deux millions d'immigrés – principalement des Syriens, soigneusement sélectionnés – est destinée à combler ces lacunes. En effet, l’Allemagne connaît depuis des décennies un taux de fécondité très bas et une dénatalité chronique et son regain de natalité observée depuis 2014 est surtout dû aux mères étrangères.
A. B.

(*) Ravi Kant Tripathi, Questioning the claim of Germany’s «employment miracle», 7 janvier 2019
https://theconversation.com/questioning-the-claim-of-germanys-employment-miracle-106895
(**) Il est, depuis septembre 2017, «directeur indépendant» chez Rosneft, société d'État russe spécialisée dans l'extraction, la transformation et la distribution de pétrole.

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