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Rubrique A fonds perdus

«Piratage de l’esprit»

Le Royaume-Uni n’est pas en marge de la guerre psychologique qui déchire les anciennes puissances et les nations émergentes de ce monde.
«Un programme d’influence psychologique de l’armée britannique a été contracté avec l’Université de Cambridge il y a deux ans. L’opération a été stoppée depuis mais révèle des recherches militaires de “manipulation psychologique des foules”», apprend Pascal Hérard de TV 5 Monde (*) qui reprend une révélation du quotidien étudiant en ligne *Varsity* relayée par le *Guardian.*
L’inquiétude vient de «l’intérêt croissant de nombreux acteurs pour l’utilisation des sciences sociales et de la cognition, croisées avec les outils numériques… à des fins d’influence psychologique».
Reprenant Tim Stevens, chercheur au Kings College London, spécialiste de la cyber-guerre, alors interrogé par The Guardian en 2016, il anticipe la relation entre les réseaux et la politique <https://www.theguardian.com/uk-news/2014/mar/16/mod-secret-cyberwarfare-programme> :
«*La cyberguerre du futur sera peut être moins axée sur le piratage des réseaux électriques que sur le piratage des esprits en façonnant l’environnement dans lequel se déroule le débat politique»*
Sont en cause ici les usages numériques de l’intelligence artificielle et du traitement des données en masse (*big data*) allié aux neurosciences par les laboratoires militaires, comme celui du ministère britannique de la Défense, en fassent partenariat avec des entreprises privées et des instituts publics de recherche.
En février 2019, le journal en ligne dévoilait le programme «*Capacité de recherche en sciences sociales humaines»* — en partenariat avec le ministère de la Défense — qui avait pour objectif «*la manipulation ciblée de l’information dans les domaines physiques et virtuels pour façonner les attitudes et les croyances dans le domaine cognitif*».
Le Laboratoire des sciences et technologies de la défense du ministère de la Défense britannique a donc travaillé au moins un an dans les locaux de l’université de Cambridge dans un local baptisé «Centre des stratégies futures».
«Plus d’une dizaine de chercheurs ont été séléctionnés dans des domaines aussi variés que l’architecture, la psychiatrie, les neurosciences ou la sociologie. Un document du ministère de la Défense indique clairement les grandes orientations du “laboratoire d’influence militaire”. L’approche globale stipulée dans ce document indique comme objectifs “la manipulation ciblée de l’information et l’utilisation coordonnée de tout l’éventail des capacités nationales y compris militaires, non militaires, déclarées et secrètes”.»
Les sciences cognitives sont au centre de l’influence recherchée, avec pour arrière plan les travaux du docteur Aleksandr Kogan, neuroscientifique à Cambridge… impliqué dans le scandale *Cambridge Analytica*, mettant en jeu des méthodes de “manipulation de l’information”.
Cet intérêt ne date pas d’aujourd’hui.  *The Guardian* révélait déjà en mars 2014 un “programme d’influence des esprits” développé par le ministère de la Défense britannique<https://www.theguardian.com/uk-news/2014/mar/16/mod-secret-cyberwarfare-programme>, sans qu’ensuite la légalité de telles pratiques soit mise en question (**).
Le programme secret de la cyberguerre devait examiner comment les utilisateurs d'internet peuvent être influencés par les médias sociaux et d'autres techniques psychologiques.
«Le ministère de la Défense élabore actuellement un programme de recherche secret d'une valeur de plusieurs millions de livres sur l'avenir de la cyberguerre, notamment sur la manière dont les technologies émergentes telles que les médias sociaux et les techniques psychologiques peuvent être exploitées par l'armée pour influencer les convictions de chacun », avait écrit le quotidien londonien.
Le programme avait mobilisé des sociétés d’armement, des universitaires, des experts en marketing et des groupes de réflexion sous la coupe d’un «centre d'excellence» géré par BAE Systems, une entreprise anglaise <https://fr.wikipedia.org/wiki/Angleterre> travaillant dans les secteurs de la défense et de l'aérospatiale, qui a reçu environ 30 millions de livres sterling de financement du ministère de la Défense de 2012 à 2014.  «Il vise notamment à comprendre le comportement des internautes de différentes cultures, l’influence des médias sociaux tels que Twitter et Facebook et l’impact psychologique de l’utilisation accrue de la vidéo en ligne sur des sites tels que YouTube.»
A l’époque, les personnes ciblées sont «des groupes de jeunes internautes jugés à risque», susceptibles «d’être incités ou recrutés en ligne à commettre des actes terroristes».
«Avec l'avènement de capacités de traitement de données sophistiquées (y compris les mégadonnées), les grands calculateurs de chiffres peuvent détecter, modéliser et contrer toutes sortes d'activités en ligne simplement en détectant les comportements qu'ils observent dans les données et en ajustant leur tactique en conséquence», avertissait déjà Dr Tim Stevens du Kings College de Londres.
«La cyberguerre du futur pourrait être moins le piratage de réseaux électriques que le piratage de l'esprit en façonnant l'environnement dans lequel se déroule le débat politique», avait-il ajouté.
Un porte-parole du ministère de la Défense a déclaré que l'examen de la défense stratégique et la stratégie de sécurité nationale reconnaissaient «la nécessité d’impacter le cœur des futures opérations militaires britanniques».
«L'objectif est de faire face aux risques de sécurité à la source, avant que les crises ne débouchent sur des conflits, par un engagement plus précoce et une utilisation plus efficace du «soft power» pour façonner le comportement et exercer une influence britannique dans les affaires internationales», ajoutait Tim Stevens.
«Ces innovations couvrent tout le spectre des opérations militaires - de l'alerte précoce à la prévention en amont, la sécurité et le renforcement des capacités après un conflit. Les avantages du travail se mesurent en fin de compte et les coûts - humains et financiers - des conflits résultant d'une meilleure prévention des conflits et d'une sécurité renforcée pour le Royaume-Uni et la communauté internationale."
«Cinq ans plus tard, les technologies émergentes sont matures. Et les techniques psychologiques dénoncées en 2014 par The Guardian ont été testées à grande échelle. Les sciences cognitives sont au cœur de l’activité de l’influence psychologique via les technologies numériques et sont en cours de structuration, voire d’industrialisation, tant par des groupes privés que des acteurs publics comme des structures militaires étatiques. L’élection kényane de 2017 a été elle aussi l’instrument de ces pratiques. Résumant l’enjeu, Pascal Hérard rappelle à juste titre que «ce que révèle l’affaire du programme d’influence de l’armée britannique est avant tout la volonté de faire émerger de nouvelles formes de gouvernance basées sur des techniques de propagande silencieuses et insidieuses, scientifiquement calculées pour orienter les populations. Modifier l’opinion publique».
«Cette capacité à la “gouvernance algorithmique d’influence” émerge alors que les populismes rencontrent un succès de plus en plus grand dans le monde. Que peut-il se passer, alors que les populismes sont accusés officiellement de remporter les élections et de gouverner grâce aux “Fake News”, à la désinformation et la manipulation de l’opinion, si les Etats les dénonçant se retrouvent pris eux-mêmes à tenter de manipuler leurs opinions de façon massive et… scientifique ?»
A. B.

(*) Pascal Hérard, «Royaume-Uni : l’université de Cambridge et le ministère de la Défense ont travaillé sur un programme de guerre psychologique», *TV 5 Monde*, 22 mars 2019.
(**) Revealed: the MoD's secret cyberwarfare programme », *The Guardian*, 16 mars 2014
https://www.theguardian.com/uk-news/2014/mar/16/mod-secret-cyberwarfare-programme

 

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