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Rubrique A fonds perdus

«Un avenir entremêlé»

Pour les enseignants de « la vieille école » comme moi, pétris à l’odeur de l’encre et du papier, la « politique zéro papier », portant numérisation des supports du savoir de notre tutelle, sonne comme une injure. Menée tambour battant, elle me paraît aller à contre-courant des bonnes vieilles choses. Ce pourquoi, je plaide plutôt pour ce que Karen Cayrat appelle « un avenir entremêlé » des livres papier et livres numériques.(*)
La filière économique du livre, qui constitue la première industrie culturelle de France, atteste d’une évolution plus lente qu’il n’y paraît avec une étonnante survie des livres papier à l’ère du numérique.  S’il est manifeste que l’apparition de l’internet et des nouvelles technologies semble impacter et concurrencer l’imprimé, le papier renvoie à un long héritage culturel, riche de plusieurs siècles.
Le livre conserve « un caractère symbolique ainsi qu’une autorité forte. C’est par sa publication que l’auteur advient. Son entrée dans un catalogue ou dans une collection spécifique l’inscrit dans le champ littéraire et sont pour le lecteur des marqueurs essentiels qui lui permettent d’identifier sa singularité ou d’éprouver sa notoriété et son prestige ».
Quels sont les effets de la révolution numérique ? « Elle démultiplie les pratiques de lectures et ses bouleversements touchent autant la technique, le support que les usages et la perception des discours », nous dit l’auteure de l’étude.
La lecture, quel que soit son format, séduit de plus en plus et sa pratique connaît une progression notamment dans les transports en commun.
Si l’ordinateur, les tablettes tactiles et les smartphones sont les supports privilégiés — la liseuse n’arrivant qu’en quatrième place —, l’imprimé et les livres audio n’ont, fort heureusement, pas complètement perdu de leur intérêt.
« Le codex n’a rien à envier au numérique, il développe un autre rapport avec le lecteur. Jeux de textures, animations, dispositifs sonores, les éditeurs rivalisent d’ingéniosité pour maintenir en éveil les lecteurs, en particulier les plus jeunes, grâce à l’imprimé. Les pop-up books, ces livres dont les éléments se déploient en volume ou en mouvement à l’ouverture des pages, sont de plus répandus. En 2017, ils représentaient près de 10% des livres jeunesse écoulés. Quant aux beaux livres, ils séduisent en intégrant les fac-similés de documents rares, d’archives, de manuscrits ou d’album de photographies. »
Voilà qui est fait pour rassurer les conservateurs que nous sommes.
Nous sommes également rassurés par le fait que « si les lecteurs restent attachés au livre papier, celui-ci devient bien plus qu’un simple support, il dépasse son rôle utilitaire pour se transfigurer en objet d’art (en témoignent les livres d’artiste, les sculptures sur livre ou en objet de collection ».
Hors du livre, de nombreuses interactions sont recensées : « Lectures musicales, performances, spectacles, pour ne citer que ces quelques exemples, contribuent largement à véhiculer une autre image des Lettres et à attirer un public toujours plus large. En ce sens, ces formes nouvelles qui mettent en contact autrement auteurs et lecteurs participent à la fois au rayonnement, à la valorisation et, ce faisant, à la survie de l’imprimé ».
Quel que soit son futur, le livre a donc encore de beaux jours devant lui.
Une autre lecture est venue me conforter dans mes convictions de vieux résidu réactionnaire du 20e siècle qui tient mordicus à son papier : celle de Sophie Gebell, maître de conférences en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université : « Archiver le Web, un défi historique .»(**)
En quête d’arguments à mes attaches « passéistes », je déguste son premier questionnement : « Comment, dans 50 ans, les chercheurs qui souhaiteront écrire l’histoire de la contestation des ‘’ gilets jaunes ‘’ à Marseille ou ailleurs auront-ils accès aux pages Facebook, aux tweets, aux blogs, aux articles de presse en ligne alors diffusés sur la Toile ou via les applications sur smartphone ? »
Elle met l’accent sur «l’instabilité des contenus diffusés en ligne qui sont des sources nativement numériques (et que) soulève de multiples difficultés d’analyse et d’exploitation ». Le problème ici est de se conformer à une discipline méthodologique partagée et bien établie.
« Depuis la fin du XIXe siècle, l’histoire s’est affirmée comme une science sociale centrée sur l’analyse méthodique des documents (critique interne et externe). L’administration de la preuve se fonde depuis sur l’analyse des traces du passé, en lien avec une problématique de recherche, à laquelle l’historien apporte une réponse à travers l’écriture. »
Dans le récit historique selon les termes de Marc Bloch dans Apologie pour l’histoire et le métier d’historien (1949) : « Une affirmation n’a le droit de se produire qu’à la condition de pouvoir être vérifiée ; et pour un historien, s’il emploie un document, en indiquer le plus brièvement possible la provenance, c’est à-dire le moyen de le retrouver, équivaut sans plus à se soumettre à une règle universelle de probité .»
Nombre de pays ont entrepris la mise en place d’une infrastructure de l’archivage du Web. Aux États-Unis, le logiciel Heritrix collecte et stocke des pages Web. Sur ces traces, la Commission européenne demande aux États membres, à travers la circulaire DADVSI, de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder les traces numériques.
En France, depuis 2006, la loi DADVSI instaure le dépôt légal du Web français : les contenus en ligne du Web national sont archivés par l’Ina et la BnF selon les conditions fixées par la loi et aucun éditeur ne peut s’y opposer ; en retour, ces archives du Web français ne sont pas en ligne, elles ne sont accessibles que dans les espaces dédiés à la consultation.
Ces dispositions, jugées « ambitieuses et salutaires », ne suffisent pas à rendre possible  un archivage exhaustif des « Web nationaux », et le recours aux versions archivées des sites Web n’est pas sans difficulté : «  Une page Web étant déjà le résultat d’une médiation de différents éléments ayant fait l’objet de traitements informatiques avant d’être publiés en ligne, la collecte, la sauvegarde et la consultation des archives du Web relèvent plus d’un processus de re-médiation, de re-création, que de la simple copie ou captation d’un flux. »
« Le processus peut entraîner des erreurs et il n’est pas aisé de savoir si la page Web telle qu’elle est archivée a bel et bien été réellement présente en ligne de façon identique à la même date. »
A. B.

(*) Karen Cayrat, Livres papier et livres numériques, un avenir
entremêlé ? , The Conversation, 2 juillet 2019
https://theconversation.com/
(**) Sophie Gebeil,  Archiver le Web, un défi historique , The Conversation, 7 juillet 2019,
https://theconversation.com/archiver-le-web-un-defi-historique-117854

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