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Rubrique A fonds perdus

Un hybride inédit

Le Parti communiste chinois célèbre, en ce mois de décembre, le 40e anniversaire de la politique de «réforme et d'ouverture» qui a transformé la Chine de fond en comble. C’est l’avant-dernier rendez-vous, avant celui de 2049 qui fêtera le centenaire de la fondation de la République populaire de Chine comme première puissance économique, selon les sources les plus crédibles.
Dans un pamphlet bien documenté, Philip P. Pan, rédacteur en chef du Times pour l’Asie et auteur de «A l’ombre de Mao : la lutte pour l’âme d’une nouvelle Chine», désespère de voir un jour l’Occident prendre le dessus et il le dit d’une si belle manière : «L'Occident était sûr que l'approche chinoise allait foirer et qu’il fallait juste attendre. Il attend toujours.»
Philip P. Pan revient sur des événements largement ignorés du grand public, plus précisément à ce jour de l’automne 1984, lorsqu’un groupe d'étudiants érudits en sciences économiques s’isola près de Shanghai, dans les forêts de bambous de Moganshan, pour trouver réponse opérationnelle à «une question pressante: comment la Chine pourrait-elle rattraper l’Occident ? ».
Tard dans la nuit, les étudiants et les chercheurs participant à ce qu’ils présentèrent officiellement comme un symposium académique parvinrent à un consensus : les usines devaient respecter les quotas imposés par l’Etat, mais pouvaient produire, à leurs prix, toute quantité supplémentaire.
«C’était une proposition intelligente, discrètement radicale, visant à saper l’économie planifiée (…) La Chine est désormais en tête du monde en ce qui concerne le nombre de propriétaires, d'internautes, de diplômés universitaires et, selon certains, de milliardaires. La pauvreté extrême est tombée à moins de 1%.»
Depuis ce temps, «à Beijing, la question qui se pose jusqu’à nos jours est moins de savoir comment rattraper l’Occident que de prendre de l’avance — et comment le faire dans une nouvelle ère d’hostilité américaine».
La compétition entre la Chine et l’ancien empire américain est ainsi décrite : «Les historiens connaissent le schéma : une puissance émergente défiant un pouvoir établi, avec une complication familière ; pendant des décennies, les Etats-Unis ont encouragé et aidé l'essor de la Chine, collaborant avec ses dirigeants et son peuple pour bâtir le partenariat économique le plus important au monde (…) Pendant ce temps, huit présidents américains ont supposé ou espéré que la Chine se plierait finalement à ce que l'on considérait comme les règles établies de la modernisation : la prospérité alimenterait les revendications populaires en matière de liberté politique et amènerait la Chine dans le giron des nations démocratiques. Ou alors, l'économie chinoise s'effondrerait sous le poids d'un régime autoritaire et d'une pourriture bureaucratique. Mais rien de tout cela ne se produisit. Au lieu de cela, les dirigeants communistes chinois ont défié les attentes encore et encore. Ils ont embrassé le capitalisme alors même qu'ils continuaient à se réclamer du marxisme. Ils ont eu recours à la répression pour se maintenir au pouvoir, mais sans étouffer l'esprit d'entreprise ni l'innovation. Cernés d’ennemis et de rivaux, ils ont évité la guerre, à une brève exception près, alors même qu’ils attisaient le sentiment nationaliste chez eux. Et ils ont présidé pendant 40 ans de croissance ininterrompue, souvent avec des politiques non orthodoxes qui, selon les manuels, échoueraient.»
De l’expérience soviétique et de son échec, les communistes chinois ont tiré deux leçons : le parti devait adopter la «réforme» pour survivre — mais la «réforme» ne devait jamais inclure la démocratie libérale, formelle.
«Craignant de s'ouvrir politiquement mais ne voulant pas rester immobile, le parti a trouvé un autre moyen. Il a évolué progressivement et a suivi le modèle du compromis de Moganshan, qui a laissé l’économie planifiée intacte tout en permettant à l’économie de marché de s’épanouir et de la dépasser.»
Les économistes américains étaient sceptiques. Après une visite en Chine en 1988, Milton Friedman, prix Nobel de la paix, a qualifié la stratégie du parti «d'invitation ouverte à la corruption et à l'inefficacité».
Il n’avait pas perçu le nouveau mode de gouvernance qui se mettait en place : la limitation des mandats, l’âge de retraite obligatoire, la destitution des fonctionnaires incompétents au vu de fiches de rendement internes utilisées pour évaluer les promotions et les primes des dirigeants locaux.
«La Chine a créé un hybride unique», (…) une autocratie aux caractéristiques démocratiques», soutient YuenYuen Ang, politologue à l'Université du Michigan.
«Une vague de fonctionnaires a abandonné l'Etat et s'est lancée dans les affaires. Au fil du temps, l'élite du parti a amassé une grande richesse, ce qui a renforcé son soutien à la privatisation d'une grande partie de l'économie qu'elle contrôlait autrefois. Le secteur privé produit aujourd’hui plus de 60% de la production économique du pays, emploie plus de 80% des travailleurs dans les villes et crée 90% des nouveaux emplois.»
A. B.

(*) Philip P. Pan, The land that failed to fail, New York Times, 18 novembre 2018,https://www.nytimes.com/interactive/2018/11/18/world/asia/china-rules.html?smtyp=cur&smid=tw-nytimes

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