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ABDALLAH HEBOUL, AVOCAT ET ANCIEN MAGISTRAT : «La violation de l’article 177 de la Constitution fera d’Ahmed Ouyahia une victime»

Entretien réalisé par Tarek Hafid 

L’avocat Abdallah Heboul relève le caractère anticonstitutionnel de la convocation de l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia devant le tribunal de Sidi-M’hamed. L’homme de loi souligne la quasi-impossibilité d’appliquer l’article 177 de la Constitution pour installer la Haute Cour de l’Etat, seule juridiction apte à traiter des crimes commis par le chef de l’Etat et son Premier ministre. Heboul plaide néanmoins pour l’instauration d’une «justice transitionnelle» dans le cadre «d’une solution politique à la crise», pour juger les responsables politiques de l’ère Bouteflika.
Le Soir d’Algérie : La procédure de convocation au tribunal de Sidi-M’hamed de l’ex-Premier ministre est-elle légale ?
Heboul Abdallah
: L’opinion publique a pris connaissance de la convocation d’Ahmed Ouyahia et de l’actuel ministre des Finances, Mohamed Loukal, lors du journal télévisé de samedi soir. Selon l’information lue durant le 20 h, ils sont convoqués dans le cadre d’une enquête sur la dilapidation de deniers publics et octroi d’avantages illégaux.
Il faut avant tout relever que cela intervient dans le sillage du mouvement citoyen qui a pris forme le 22 février, parmi les slogans scandés par les manifestants figure celui appelant à juger tous les responsables politiques de l’ère Bouteflika (it’hassbou gaâ).
La population exige également la restitution des fonds détournés. Il est important de souligner que dans ses deux derniers discours, le chef d’état-major de l’armée, le général Gaïd Salah, avait demandé la saisine de la justice à l’encontre de certains responsables. Le vice-ministre de la Défense nationale avait cité en exemple plusieurs dossiers de corruption, notamment les affaires du « Boucher », Khalifa, Sonatrach et celle de l’autoroute Est-Ouest. Soyons clairs, le général Ahmed Gaïd Salah ne dispose pas de prérogatives pour actionner la justice dans des faits de corruption ni-même pour rouvrir des dossiers. Ses déclarations sont une atteinte au principe de séparation des pouvoirs et au principe d’indépendance de la justice. La lutte contre la corruption doit se dérouler de façon pérenne et continue dans le cadre de l’application du droit.
Pour ce qui est de la convocation de l’ex-Premier ministre devant le tribunal de Sidi-M’hamed, je pense que cela intervient dans le cadre d’une enquête préliminaire décidée par le procureur de la République. Ce dernier dispose du statut d’officier de police judiciaire. Si cela se produit, Ahmed Ouyahia devrait être auditionné en qualité de suspect car il n’a pas le statut juridique de prévenu. Il faut s’attendre à ce que les bénéficiaires des fonds soient eux ausi auditionnés.
Ahmed Ouyahia peut-il être entendu par le procureur de la République en qualité de témoin ?
Contrairement au droit français, le statut de témoin n’existe pas dans le droit algérien.
Si l’on s’en tient à l’information rendue publique samedi soir par la télévision publique, j’en conclu qu’il est impliqué dans les affaires citées, il sera donc auditionné en qualité de suspect.
Pourtant, l’ex-Premier ministre ne devrait être auditionné et jugé que par la Haute Cour de l’Etat…
Parfaitement, poursuivre Ahmed Ouyahia pour des faits commis lorsqu’il était Premier ministre est du ressort exclusif de la Haute Cour de l’Etat. Cette haute juridiction a été instituée dans le cadre de la Constitution de 1996 (article 177) pour connaître des actes de haute trahison commis par le président de la République ou de crimes commis par le Premier ministre. Il se trouve que la loi organique régissant cette Haute Cour de l’Etat n’a toujours pas été adoptée, bloquant ainsi son installation.
Nous sommes face à un vide constitutionnel et légal sans précédent. Cette juridiction n’a aucune existence en l’absence de l’adoption de la loi organique prévue dans l’article 177 de la Constitution. Cette option est actuellement impossible, puisque le chef de l’Etat par intérim ne dispose pas des prérogatives pour faire adopter cette loi.
Ahmed Ouyahia s’en tire à bon compte puisqu’il est impossible de le juger. Cela est également valable pour ses prédécesseurs ?
Non, il existe une solution. En cas de gel de la Constitution pour permettre au pays d’entrer dans une phase de transition, il sera possible de traiter les grandes affaires de corruption dans le cadre d’un processus de justice transitionnelle. Personnellement, je suis pour que l’Algérie se dirige dans cette voie.
Mais nous devons rester vigilants, la violation de l’article 177 de la Constitution fera d’Ahmed Ouyahia une victime. Le faire juger par le tribunal de Sidi-M’hamed finira par tourner à son profit. Pour l’heure, nous devons nous en tenir à la légalité. Il ne faut surtout pas donner d’alibi à Ouyahia ou à tout autre responsable suspecté de corruption.
Je reste convaincu qu’une solution politique à la crise ouvrira de nouvelles possibilités avec l’instauration d’une justice transitionnelle.
T. H.

 

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