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Jean-Yves Le Drian à Alger : «L’Algérie est une puissance d’équilibre»

Venant directement de Paris, Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, a débarqué hier matin à Alger. Il a été reçu par le Président Abdelmadjid Tebboune et à son arrivée par son homologue Sabri Boukadoum. Le diplomate français a eu également un entretien avec le Premier ministre Abdelaziz Djerad.
Ces contacts de haut rang montrent clairement l’importance de ce déplacement français en Algérie qui plus est intervient dans un contexte chargé de sujets d’intérêt commun. En effet, la visite des officiels français n’a rien de routinier entre deux pays qui entretiennent un faisceau très dense de relations qui vont du politique, à l’économique et au culturel. Et d’ailleurs, ces derniers profitent de chaque opportunité pour rappeler leur importance aux yeux de la France. Du reste, Le Drian à Alger s’efforcera de baliser le terrain miné par des tensions récurrentes entre Alger et Paris – autant de pages de désagréments que l’on veut tourner d’un côté comme de l’autre mais dont l’actualité reste vive. Il y a donc, pour cette nouvelle année, à renouer le contact en suspens depuis la visite éclair d’une journée du jeune Président français le 6 décembre 2017 qui rappelle le mémorable bain de foule auquel il s’est livré à Alger. Depuis, c’est silence radio, ponctué par de brèves déclarations tout aussi pleines de non-dits dans les mois qui ont suivi le déclenchement du Hirak, le 22 février 2019. « Pas d’ingérence, pas d’indifférence .» Ce type de déclaration, suivie d’autres jugées maladroites dans un climat de grogne populaire, n’a fait qu’envenimer des rapports à la recherche d’un équilibre dans les relations entre les deux nations. Que de pages tournées pour une embellie souhaitée mais force est de constater, des pages qui feraient tout un volume.
La Conférence de Berlin intervient à point nommé pour être l’occasion de dissiper les malentendus, ce à quoi s’est attelé le ministre français en réunissant Emmanuel Macron et le nouveau Président algérien. La poignée de main échangée serait-elle le prélude à une réactivation des rapports multiples entre l’Algérie et la France qui ne sauraient rester sous le boisseau ? Une nouvelle impulsion aux rapports algéro-français pourrait se dessiner pour peu que les intentions soient sincères quand bien même le chemin est semé d’embûches. Mais il faut voir dans le profil du jeune Président français des points forts et positifs dans sa volonté d’appréhender la proximité de la France avec l’Algérie.
N’a-t-il pas fait le voyage d’Alger avant son entrée à l’Elysée et que là, il a exprimé une volonté de rupture avec les legs du passé de la classe politique française où certains de ses membres ne pouvaient se départir de leur attitude néocoloniale ? Il dira notamment qu’il ne veut pas être « l’otage du passé » et pour enfoncer le clou, il déclarera que la colonisation est un crime contre l’humanité, soulevant un formidable vent de contestation dans la droite et les nostalgiques de l’Algérie française.
A mettre ainsi les pieds dans le plat lui vaudra des ennemis, y compris dans son propre camp. Il ne veut pas céder aux pressions et affirme que le candidat à la présidentielle et le Président élu ne changera pas de position sur ces sujets. Alger prend acte positivement de ce volontarisme. Il fera le voyage officiel en tant que Président peu après et viendra, dira-t-il, « en ami ». Macron ami de l’Algérie, voilà qui ne fera que prodiguer un souffle fort aux relations entre les deux pays, d’autant que le marché algérien attire les entrepreneurs français désireux d’investir dans le pays. Dans cet esprit , il a exprimé son vœu d’un « axe fort franco-algérien en Méditerranée et qui se prolongera jusqu’en Afrique ». Mais cela ne l’a pas empêché de parler de « freins à l’investissement » et que le « marché algérien doit s’ouvrir davantage ».
A noter que 180 entreprises françaises activent en Algérie dans les domaines alimentaire, bancaire et autre avec en particulier Danone, Nestlé, Waters, BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et dans l’hôtellerie Accor, Mariot, voire Renault (sur la base de la règle 49-51). Ces entreprises profitent d’un marché juteux qui leur a permis de se renflouer pour certaines menacées de faillite. Les malentendus pourraient fondre comme neige au soleil dans le respect des intérêts bien compris de chacune des parties. Le haut fonctionnaire français en visite mardi à Alger a tenu à dire, dans un point de presse, que l’Algérie est « écoutée et respectée et sur cette base, nous allons avoir une relation extrêmement forte » d’autant, selon lui, qu’il y a entre les deux pays une « convergence de vues » susceptible d’être un atout dans la « concertation sur des questions régionales et internationales d’intérêt commun ». « Puissance d’équilibre » reconnue par ses pairs, la Conférence de Berlin sur la crise libyenne a été l’occasion pour les participants, dont Emmanuel Macron, de suivre sans intermédiaire le discours du chef de l’Etat algérien dans lequel il a fort à propos réitéré la position de l’Algérie pour un règlement pacifique de la guerre fratricide grâce au dialogue entre les protagonistes, et au mieux en terre libyenne. Ainsi l’appel lancé, de la tribune de la Conférence de Berlin, a déjà trouvé un écho enthousiaste chez la partie libyenne du Gouvernement d’union nationale d’El Serraj.
Les dossiers libyen et malien, dans le traitement qu’en feront Paris et Alger, la coopération signifiée, auront valeur de test pour la suite. Une entreprise qui va impliquer les décideurs des deux pays, Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron. C’est marcher sur des œufs tant le chemin d’entente est semé d’embûches car en France, le lobby anti-algérien est actif. Emmanuel Macron a tout à gagner en n’écoutant pas le chant des sirènes et en résistant aux pressions d’agendas prédéfinis. A son insu ? Difficile d’effacer l’image d’une France responsable de l’éclatement d’un pays souverain, et dont les conséquences des déchirements qui s’en sont suivis n’ont pas fini de montrer toutes leurs horreurs. Paris aura du mal à se prévaloir d’une crédibilité dans cet épineux dossier quand l’Algérie se voit sollicitée parce que ne prenant partie ni pour l’une ni pour l’autre partie ? Pari difficile en tout cas d’imaginer une entente complète s’agissant également de la question du Sahel livré aux groupes terroristes et aux crimes organisés. Alors qu’Alger œuvre pour les moyens pacifiques à désamorcer ce qui va s’avérer être une bombe à retardement, c’est le choix des armes que privilégie Paris. Aujourd’hui, les conséquences sont là pour prouver l’échec total de la France à travers l’opération Barkhane, tandis que les manifestations contre la présence des troupes françaises s’amplifient. De là à crier au complot comme l’a laissé entendre Emmanuel Macron himself… Sourcilleux en matière de bienséance diplomatique, les officiels algériens ont signifié leur courroux à qui de droit que la première visite du Président français l’a été pour le Maroc, et la veille du Sommet de Berlin, c’est avec Mohammed VI, roi du Maroc, qu’il s’est concerté et c’est les thèses de la monarchie marocaine à propos du Sahara Occidental qu’il défend mordicus…
Brahim Taouchichet

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