Contribution : Que vaut la recherche algérienne ?
Par Ali Derbala, universitaire
«Si tes enfants ne sont pas meilleurs que toi, tu leur as donné la
vie en vain et tu as vécu la tienne en vain»
(Gorki)
La recherche se compte par le nombre de Nobel, de médaillés Field, du
nombre d’articles publiés, de brevets d’invention déposés, du nombre de
professeurs et maîtres de conférences actifs, du nombre de doctorants
qui poursuivent effectivement une recherche, d’articles cités
positivement dans les revues et non des articles critiqués ou cités
négativement, etc. La recherche étant une activité universelle,
internationale, ne peut être appréciée que par une entité scientifique
étrangère à notre pays. Il existe un moyen plus immédiat de jauger la
recherche menée dans un pays. Il s’agit du tableau croisé des
pourcentages d’articles publiés dans les 2000 meilleures revues
internationales, non forcément du bouquet Thomson Reuters, et des
pourcentages d’articles cités dans ces mêmes revues. Ces tableaux sont
tenus par l’Institut pour l’information scientifique aux Etats-Unis(1).
Il faut savoir qu’il existe au moins 8000 revues scientifiques dans le
monde.
1. Le classement des universités algériennes dans le monde
Avant le début de chaque année universitaire, un classement des
universités du monde est publié par l’université Jiao Tong de Shanghai.
Par leur manque d’expérience et au vu de leur création récente, nos
universités ne sont pas encore hissées au rang supérieur. L’écart
naturel dans l’expérience scientifique entre les universités du monde et
les nôtres est fourni par le tableau ci-dessous. Si on veut réussir dans
la vie scientifique, on doit marcher dans des sentiers déjà battus par
les Japonais, les Coréens, les Brésiliens, etc. Agissons au moins par
imitation. Il ne nous est guère possible de suivre bien exactement les
traces de ceux qui nous ont précédés, ou d'égaler le niveau scientifique
de celui qu'on entreprend d'imiter. Que des Algériens arrivent à monter
et démonter, par exemple, un moteur de voiture, d’avion, à le reproduire
exactement en le moulant dans un creuset dans une zone industrielle ou
un laboratoire d’une université. Au large de Rio de Janeiro, dans
l’océan Atlantique, les plateformes de forage offshore sont
confectionnées par un savoir-faire totalement brésilien. Pourquoi les
Algériens font appel à une main-d’œuvre étrangère sachant que le taux de
chômage élevé de nos jeunes a atteint son paroxysme ?
L'université de Californie Berkeley, qui existe depuis 1855, est située
en Californie, sur la rive est de la baie de San Francisco et donnant
sur le Golden Gate. Sur le campus travaillent 33 000 étudiants et plus
de 1800 enseignants. Elle est appelée indifféremment University of
California, Cal ou Berkeley.
Parmi les anciens étudiants, les professeurs ou les chercheurs associés
à l'université, on recense 65 prix Nobel, 19 Oscars et 11 prix Pulitzer.
Elle fait souvent partie des 10 meilleures universités mondiales et est
considérée comme une des universités les plus prestigieuses. (Voir
tableau)
Pour T. Kuhn, historien des sciences américain, la science ne progresse
pas par accumulation de savoirs, mais par rupture brutale ou révolution.
Une théorie en remplace un jour une autre, parce qu’elle est plus
efficace pour résoudre une question posée.
2. La situation matérielle du chercheur algérien et ses difficultés
dans la recherche
Le recrutement des chercheurs est un goulot d’étranglement. Il y a plus
de pistonnés que de places pour les vrais chercheurs. Le recrutement des
chercheurs doit se faire impérativement par les enseignants chercheurs
des laboratoires. Une perte de motivation de nombreux chercheurs se fait
sentir.
La recherche est réalisée sous forme de projets Cnepru et PNR. Les
rémunérations des PNR de l'année 2012 n’ont été virées qu’en août 2014.
Comme on a dénoncé la mauvaise gestion des anciens projets 2010-2012,
pour les nouveaux projets PNR, des avis négatifs non signés par un
responsable, nous ont été apposés sans aucune justification
scientifique. Même la composante de ces commissions d’études de projets
est anonyme, ces membres ne sont pas élus démocratiquement par leur
pairs. La bureaucratisation à outrance, la pléthore d'organismes de
tutelle rendent réfractaires aux idées scientifiques. Les organismes
dans l'orbite de la recherche sont le secrétariat d'Etat à la recherche,
la direction de la recherche scientifique et du développement
technologique qui financent les projets PNR dont le siège est à El-Madania,
une seconde direction de la recherche située dans l’enceinte du siège du
MESRS à Ben Aknoun, la direction des projets rétribués de type Cnepru,
la direction des accords-programmes entre les universités algériennes et
étrangères (projets de types Cmep) et le ministère de la Solidarité, par
son intérêt aux scientifiques algériens à l'étranger.
3. Le mythe de la pluridisciplinarité
La mathématique moderne a favorisé la hiérarchisation et l'esprit
d'élite au nom d'une science présentée comme intrinsèquement difficile,
accessible à quelques privilégiés. Les mathématiques sur du papier ne
donnent aucun «essor » à la recherche et cela depuis plusieurs siècles.
Tout s'élabore par des résolutions algorithmiques, telle l'équation de
Fermat qui date de plusieurs siècles et dont la résolution n'a été
possible que par l'utilisation de gros ordinateurs. Tout est devenu
calcul formel, un calcul fait par les ordinateurs.
Les fractales ne sont que la résolution d'une équation simple, itérative
ou récurrente. Cette résolution se fait par l'application d'un
algorithme et à l'aide des ordinateurs.
Les solutions aux problèmes mathématiques contemporains n'existent que
dans des cas, très lisse, idéal, parfait, chose qui est en général
impossible même dans la «nature». Faute de solutions analytiques
exactes, des chercheurs se lancent à la détermination de quelques
solutions, parfois même en se contentant d'une solution approchée.
Cette résolution approchée s'appelle détermination de solutions par une
heuristique ou une métaheuristique. Les départements de mathématiques
n’existent presque plus dans les universités du monde, sauf dans les
grandes universités où une recherche fondamentale en mathématique est
déployée. Les mathématiciens sont affectés dans les centres ou
laboratoires de recherche pour développer des modèles mathématiques et
résoudre les problèmes inhérents ou appliqués à l’informatique,
aéronautique, mécanique, électronique, automatisme, etc.
4. Rôle de la coopération scientifique
Le but de la coopération internationale est de favoriser la comparaison
entre pays, par le contrôle du facteur historique, institutionnel,
culturel, etc. L’universitaire Rachid Brahmi a relaté dans son
article(2) des difficultés dans l’accomplissement d’un séjour
scientifique lors de l’un de ses déplacements à l’étranger.
Les séjours en Europe sont subordonnés à l’obtention du visa du pays
d’accueil. En effet, dans le texte de la communauté européenne «Accueil
des chercheurs étrangers et provinciaux. Lettre de Science Accueil, mai
2010», les visas scientifiques de court terme sont gratuits. Même pour
ceux qui ont obtenu des visas pour les pays européens et à plusieurs
reprises, l'octroi de nouveaux visas se fait par la confection de
dossiers volumineux, lourds, faramineux et décourage parfois le plus
téméraire. Participer à une conférence scientifique en Europe est devenu
difficile ou décourageant pour beaucoup de professeurs d'université ou
de leurs étudiants. La présentation d'un ancien visa, la lettre
d'acceptation d'une communication et la demande de nouveaux visas sont
suffisants pour son octroi. Sous prétexte que communiquer un article
scientifique ou un poster dans une conférence internationale n’était pas
une relation scientifique ou n’était pas du séjour scientifique comme
stipulé dans ledit texte ci-dessus, certains consulats de pays
européens, comme celui du Portugal, continuent à faire payer ces visas
pour participation à une conférence à hauteur de 60 euros ou
l’équivalent de 6500 DA.
Dans le temps, les communicants de leurs travaux se faisaient payer pour
les exposer dans des séminaires hebdomadaires des départements
scientifiques ou au moins être exonérés de payement des frais de
participation à la conférence. Dans les participations aux conférences,
au moins deux problèmes sont à soulever. Faute de payement à temps avant
une date butoir des frais d’inscription à la conférence et
l’impossibilité de transférer des devises de l'Algérie sans autorisation
du ministère des Finances, les organisateurs des conférences font payer
des pénalités de retard, même si on est autorisé à payer cesdits frais
au moment de la conférence, on the desk. Les organisateurs des
conférences remettaient en général des actes de la conférence en papier
ou sur CD.
Ces actes ou proceedings des congrès contenaient le texte de tous les
articles exposés. Certaines conférences européennes n'impriment qu’un
recueil de résumés des articles appelé «book of abstracts». Les articles
des participants effectifs seraient publiés «on line» et on pouvait les
imprimer comme on voulait. Quant à l’assurance-voyage des enseignants
chercheurs en mission scientifique dans au moins les pays de la CEE ou
ceux du Maghreb, elle doit être prise en charge par la Cnasat. Cet
organisme social et médical a des relations ou conventions avec ceux de
la France et a fortiori avec ceux de la CEE. Pourquoi imposer une double
assurance aux enseignants chercheurs en mission scientifique à
l’étranger ?
Conclusion
Les directeurs de laboratoires de recherche ont pressenti le besoin
d’une recherche fondamentale et appliquée qui parfois demande des
projets à moyen et long termes et qui nécessitent des matériels lourds,
que seule la direction de la recherche, un organisme d’envergure
national peut fournir ou satisfaire. Les universités algériennes n’ont
pas encore une histoire de développement et de succès. Notre but
principal est d’orienter nos efforts de chercheurs vers des domaines
d’application à la vie sociale. Nos universités ne se sont pas encore
accommodées des contraintes de la bureaucratie. La direction de la
recherche a intégré et a agréé des laboratoires de recherche de
l’enseignement supérieur et des centres de recherche existants. Il est
du devoir de cette institution de recherche d'attribuer de vrais
pouvoirs financiers aux directeurs de laboratoires. Il faut libérer les
esprits et laisser les scientifiques réfléchir dans leur tête.
Les budgets votés et débloqués pour la recherche n'arrivent jamais entre
les mains des vrais chercheurs et s'ils arrivent ce n'est qu'en miettes.
Il faut exiger des enseignants chercheurs de mettre leur CV sur les
pages Web des laboratoires de recherche qui ont puisé et épuisé des
budgets. Pour éviter les soupçons ou les usurpations, toute publication
doit être munie de son adresse URL.
A. D.
Références
1. Jean Heyras. Chercheur cherche emploi stable, Science & Vie.
Politique Scientifique, n°820, janvier 1986, pp.6-13 & p.155.
2. Rachid Brahmi. De la coopération universitaire entre pays amis et
frères. Le Quotidien d’Oran, Actualité autrement vue, jeudi 2 octobre
2014, p.15.
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5204126
In : http://www.lematindz.net/news/15297-de-la-cooperation-universitaire-entre-paysamis-et-freres.html
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