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Rubrique Constances

Coups de cœur : de la Madrague à Saint-Tropez

Coup de cœur d’ici : il vient de s’installer sur la petite hauteur qui surplombe le port de la Madrague. Entre deux véhicules en stationnement, il a installé sa logistique d’artisan racé. Oh, pas grand-chose, juste du gros fil dont il a soigneusement sélectionné les couleurs, une aiguille à la manière de celles qui «travaillent» les filets de pêche et un petit quelque chose en bois pour s’asseoir, la mer dans les yeux. L’aiguille on la devine mais on ne la voit pas, parce que les doigts de fée qui la manipulent ne vous laissent ni le temps ni l’espace à sa contemplation. Pour la contemplation, il va falloir vous résigner à regarder le filet à provisions qui prend forme dans «l’atelier» ou celui, déjà prêt, qui trône sur un barreau qui tient lieu de présentoir. Le Monsieur doit être sexa ou septua, allez savoir, mais ce n’est pas important. Ses bras et son souffle de pêcheur d’espadon qu’il a été dans l’essentiel de sa vie ne promettent plus de le porter si loin et si près en haute mer. Alors, il s’est assagi, certainement pas de gaîté de cœur, mais il n’a pas abdiqué. Le Monsieur, le visage buriné et les mains aériennes, coud des filets à provisions. Vous vous rappelez des filets à provisions ? Il y a un ancien marin-pêcheur qui en fait à la Madrague et ça a l’air de faire son bonheur, celui de qui les lui achète et celui de qui le regarde simplement manier l’aiguille.

Coup de cœur d’ailleurs : nous sommes à Saint-Tropez. Le sujet du reportage télé est censé reconstituer la reprise de l’activité après des mois de fermeture, de demi-ouverture et de déprime générale. Évidemment, le sujet ne peut rien changer. Depuis que le petit village côtier est entré dans la vocation que ses habitants de l’époque n’avaient jamais imaginée, Saint-Tropez ne peut pas évoquer, ne peut pas inspirer autre chose que le luxe souvent indécent, les fortunes inestimables de ceux qui y viennent, les demeures inaccessibles non seulement à la bourse des humbles mais aussi à leur vue, les restos chics, les histoires-chocs, les bateaux, les boîtes de nuit, les super et les méga-stars… le bling-bling dans ce qu’il inspire de moins généreux, quoi ! Mais comment, diable, un tel lieu peut-il inspirer un coup de cœur ? Voilà, une sommité de la gastronomie, consacrée «meilleur cuisinier du monde», qui tient un resto dans le coin a pensé à inviter le personnel médical de Saint-Tropez mobilisé contre le Covid-19 pour une soirée VIP. Il fallait les voir, les toubibs et les infirmières, presque gênés par autant de faste, émus jusqu’aux larmes par autant de considération, gauches à table et enfin heureux d’être applaudis par une haie d’honneur en… cuisine. Voilà, c’est aussi simple.
S. L.

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