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Commentaire du roman intitulé Irhabistan de Azzedine Mihoubi

Par Ilyas Wassim(*)
La lecture du roman de Azzedine Mihoubi nous fait rappeler l’excellent livre de Walter Laqueur, intitulé Terrorisme, qui se présente comme une vraie anthropologie du terrorisme et dans lequel la rétrospective est très instructive sur la longue histoire de la terreur. 

Néanmoins, on ne peut reprocher à l’écrivain Azzedine Mihoubi de ne pas en avoir fait autant ; on ne peut pas se demander sur la raison de ne pas avoir cité tous les régicides et tous les tyrannicides et les grands assassins, tels Brutus l’assassin de J. César ou James François Ravaillac l’assassin d’Henri IV, ni même les leaders Sophistes qui furent les principaux instigateurs de la mort de Socrates. 
En effet, en plus de sa qualité romancière, Irhabistan se veut ontologique. On y retrouve une réelle conception phénoménologique de la « chose » dite terrorisme. 
Une approche neutre qui tente de saisir le phénomène tel qu’il se présente dans l’esprit dans son apparition première. 
C’est pour cette raison d’ailleurs que la parole est donnée aux auteurs eux-mêmes, pour s’exprimer sur les motivations de leurs actes, qu’ils ne qualifient toujours pas de terrorisme, mais d’actions novatrices, un appel aux dialogues. 
L’objectif, tel qu’il se dégage de la lecture du roman, étant de redéfinir les notions de mal et de bien, à la nietzschéenne. Et de redistribuer les rôles, qui est réellement victime, qui est auteur et qui est provocateur ? Les personnages du roman qualifient la démocratie de vrai mirage !
La confusion entre résistance et terrorisme est, pour ainsi dire, la trame de fond qui relance le débat quant à la loi du plus fort. La guerre en Palestine et les assassinats perpétrés par les sionistes, le massacre du 8 Mai 1945, les bombes lancées sur Hiroshima et Nagasaki et tant d’autres méfaits historiques sont convoqués pour rétablir l’équilibre entre les deux discours divergents, l’un s’apparente aux exactions terroristes et l’autre aux guerres de libération. C’est ce qui explique que des révolutionnaires célèbres et des défenseurs des droits de l’Homme, tels que Che Guevara ou Luther King, sont mêlés aux criminelles les plus sanguinaires. 
Cette remise en question des discours justifiant la terreur est loin de remettre en cause les acquis civilisationnels procurés par le contrat social, mais au contraire, une alarme qui a comme vocation de prévenir contre l’éventuel retour à l’état de nature où tout un chacun avait le droit sur n’importe quoi.
L’illusion faite à « Sourate El Kahf » relate l’intemporalité de la question de la violence et également de sa justification.
Pour rendre intelligible la logique du crime ou du moins sa constitution en tant que langage, loin de la déraison qu’on lui attribue habituellement, le romancier a superbement illustré cet ordre par l’imagination de l’existence d’une Constitution, d’un hymne et d’une sorte de charte de la terreur et de l’absolution chez les promoteurs de la violence dans une société parallèle. 
L’autopsie de la psychologie de la terreur mène l’auteur à pénétrer les méandres des âmes criminelles, pour reprendre une expression du criminologue Etienne De Greeff, avec leurs particularités, leurs divergences dans la justification du crime, en mettant en exergue une sorte de démocratie immanente aux sociétés criminelles. Au fond, c’est le même processus de justification de l’acte délictueux mais qui s’exprime différemment d’une société à l’autre, en fonction des paradigmes socioculturels et religieux. Dans le même sillage de la psychologie criminelle, on pourrait se poser la question pour savoir pourquoi l’auteur a cité Abou Qattada et Abou Hamza qui n’ont, à aucun moment, participé directement à l’égorgement des enfants ni aux viols des femmes, et a omis de citer, entre autres, Djaâfar El Afghani ou Antar Zouabri tristement célèbres pour leurs pratiques macabres de l’égorgement ?
Le rôle des commanditaires dans l’endoctrinement des masses est rendu tangible par maintes études criminologiques et on insiste sur le désastre psychologique que cela génère dans la fabrication des bombes humaines.
Ces tueurs à distance qui s’identifient au divin font plus de mal que la main qu’ils arment de sabres pour passer à l’acte ignoble. Sans leurs fatwas criminogènes, les tendances agressives sont vouées aux refoulements ou, à plus forte chance, à la sublimation productrice de chef-d’œuvre.
« Qu’est-ce qui pousse une femme à se suicider ? si elle permet à un homme corrompu de placer dans son cœur une ceinture explosive. » p51
« Moi je ne m’en glorifie nullement mais c’est la loi d’Allah, » réplique Abou Qattada, plus loin .p 76.
La conviction par la force des armes, voici donc l’aspect langagier qui se dégage de la logique terroriste. 
Mais c’est parce qu’il y a eu rupture du contrat social et donc retour à la case départ pour redéfinir les nouveaux paradigmes, une sorte de consensus nouveau , faute de quoi l’on se retrouve à l’état initial de l’humanité. 
Car, au début était la parole, comme le rapportent les religions et les études anthropologiques mais également il y avait la violence, c’est la nature humaine. 
La civilisation est une violence faite à la nature humaine, dans ce sens, dans la mesure où cette même civilisation use de la violence pour imposer tel ou tel régime ou mode sociétal.  
On ne sait pas si l’auteur a sciemment fait référence à Darwin, en insistant à chaque fois sur ses théories, sachant que le positivisme criminologique s’en est amplement inspiré pour ses constructions théoriques dont certaines sont d’usage aujourd’hui.
César Lombroso, Enrico Ferri et Rafaele Garofalo ont bien fondé la science du crime sur un concept clé de Darwin, qui est l’atavisme criminel. Un concept sévèrement critiqué par les juristes au début, mais à en analyser la scène criminelle, surtout depuis l’avènement du terrorisme dans les temps modernes et ses pratiques atavistiques, on ne peut s’empêcher de rendre hommage à la théorie de la régression psychologique au stade primaire, des primates que nous étions. Une théorie darwinienne reprise par Lombroso en matière de criminologie.
Le même concept a été repris pas les psychiatres pour expliquer certains comportements psychotiques ou autistiques.
Que des terroristes tiennent leur congrès dans une société parallèle ne constitue guère une offense à la démocratie, car ils ont leur propre acception de la notion, mais c’est à la civilisation ou plutôt aux Etats civilisés de s’expliquer sur le comportement autistique qui a donné naissance à cette société parallèle. 
Dans sa conception de la sociologie de la civilisation, Ibn Khaldoun conçoit une évolution cyclique des sociétés, lesquelles une fois arrivées à l’apogée du progrès se décomposent de nouveau pour revenir à l’état initial. La civilisation porte en son sein les composantes de sa propre destruction.
Ainsi au-delà de la profondeur et de l’authenticité des idéaux qui ont animé la production de cette œuvre littéraire, il y a lieu de rendre hommage au courage et à la sincérité dont a fait preuve l’auteur, pour naviguer à contrecourant d’une logique dominante. Son empathie, par rapport à un discours diamétralement opposé aux réflexes automatisés dans l’inconscient collectif et qui dictent une allergie originelle à tout discours débordant les bornes imposées par une morale officielle, atteste de l’originalité de l’œuvre. 
I. W.

(*) Criminologue. Professeur de droit criminel, Université Paris II Assas. 

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