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Rubrique Contribution

Covid-19 et pouvoirs de police : quelles limites ?

«Bon droit a besoin d’aide.»
(Molière, La Comtesse d’Escarbagnas)

Par Kamel Rahmaoui(*)
Précisons, de prime à bord, que le terme «police» utilisé dans cette contribution fait référence aux compétences reconnues à l’administration en matière de maintien et de sauvegarde de l’ordre public, de telles compétences lui permettent d’émettre des actes normateurs ou de décider d’opérations matérielles qui sont exécutées par les forces de l’ordre, parmi ces actes figurent les différents contrôles, le maintien de l’ordre, les réquisitions, les interdictions ainsi que les injonctions. En temps normal, de telles décisions ne peuvent être prises que dans le strict respect des lois et de la réglementation en vigueur, elles doivent, par ailleurs, concilier ordre et libertés et jugées nécessaires et non excessives.
Or, en période de crise, à l’instar de celle du Covid-19 à laquelle sont confrontées toutes les nations, les prérogatives reconnues par les lois et la jurisprudence à l’administration pour secourir les victimes et endiguer la pandémie qui menace toute une nation sont très larges et s’exercent dans le cadre d’une légalité particulière qui prime sur la légalité ordinaire.
L’administration, est-elle donc libre dans les circonstances dites de crise ou exceptionnelles de porter atteinte aux droits et libertés des individus ?
Répondre par l’affirmative à cette question serait ouvrir les portes toutes grandes aux abus de pouvoir ce qui pourrait nuire à la stabilité et à la tranquillité de la nation au lieu de la protéger, c’est pour cette raison d’ailleurs que l’exercice des prérogatives administratives en cas de circonstances exceptionnelles est entouré de garde-fous à même de protéger les individus contre tout excès de pouvoir, c’est ce pouvoir exceptionnel que nous examinerons en mettant en exergue son contenu ainsi que les règles de compétence et de forme qui l’encadrent.

Le contenu des prérogatives exceptionnelles : une extension particulière de l’usage des pouvoirs de police
Face à la pandémie de Covid-19, l’administration est tenue d’agir en urgence, et c’est cette urgence qui l’autorise à prendre toute décision qui serait considérée comme étant illégale ou comme voie de fait hors de la situation exceptionnelle que vit la nation.
C’est ainsi que les réquisitions des locaux, des denrées alimentaires, le confinement général ou partiel, la mise en congé spécial, l’exécution d’office ou l’interdiction des activités commerciales ou industrielles sont considérées comme des mesures légales, bien que portant atteinte aux libertés et droits des individus, car prises dans un seul et unique but : l’intérêt général.
Cette situation particulière que traverse le pays justifie non seulement l’extension des pouvoirs de police dont jouit l’administration mais la dispense également des règles de compétence. Les règles de compétence en temps de crise : le droit et l’obligation d’agir rapidement.
En temps normal, l’administration ne peut ignorer les règles de compétence sans faire exposer ses décisions à l’annulation par le juge qui les considère comme illégales.
Elle est tenue par ailleurs de réparer les préjudices subis par les administrés, les circonstances particulières, par contre, la dispensent du respect des règles en question, car non seulement elle a le droit d’agir vite mais elle est obligée de le faire, sa responsabilité pourrait être engagée en cas de retard dans la prise des décisions en temps opportun.
Ainsi, les responsables peuvent déléguer leurs pouvoirs en l’absence de toute disposition légale. Cette situation de nécessité et d’urgence permet même à des organismes dépourvus de toute compétence administrative de se substituer à l’administration et exercer des pouvoirs administratifs, c’est cette situation que les juristes qualifient de « fonctionnaires de fait ».
La jurisprudence va plus loin encore en reconnaissant à l’administration le pouvoir de prendre des actes par de simples circulaires.
L’élargissement des pouvoirs de police lors des circonstances exceptionnelles ne s’arrête pas aux frontières des compétences mais atteint aussi celui des règles de forme.

Les règles de forme : ne pas gêner l’activité de l’administration
Les règles de forme sont prévues dans le but d’éviter tout dérapage administratif et empêcher l’abus de pouvoir, les règles de forme sont donc un véritable ralentisseur de l’activité administrative et sont par conséquent incompatibles avec des situations d’extrême gravité comme celle du Covid-19 où l’administration doit agir en urgence, les règles de forme et de procédures sont donc écartées.
Les réquisitions sont ainsi exécutées sans consultation et sans l’accord au préalable, et les décisions peuvent être prises même verbalement. Le droit et la jurisprudence attribuent à l’administration en temps de crise de larges pouvoirs même en dehors de tout texte ce qui, il faut le reconnaître, bouleverse toutes les règles de compétence, de hiérarchie des normes de procédures et de forme. Cependant, cette extension particulière des pouvoirs peut s’avérer dangereuse et porter atteinte aux droits et libertés des citoyens, limiter de tels pouvoirs devient donc indispensable dans un État de droit.

Les limites de pouvoirs de police en temps de crise : prévenir tout abus d’autorité 
La nécessité de limiter les pouvoirs de police lors des situations dites exceptionnelles à l’instar de celle du Covid-19 est une question difficile à réaliser car en même temps que le droit reconnaît l’extension de ces pouvoirs, il cherche à les limiter. En effet, si la jurisprudence est parvenue à tracer des limites à l’exercice de tels pouvoirs elles restent, il faut le reconnaître, ambiguës.
Ainsi, les événements imprévus, suffisamment graves et qui arrivent brutalement comme celles du Covid-19, sont en mesure de permettre une extension exceptionnelle des pouvoirs de police, étant donné que de telles situations ne peuvent s’accommoder des procédures bureaucratiques usitées en temps de paix. S’il est admis que l’administration est dans l’obligation de prendre rapidement des mesures afin de faire face à une situation sanitaire extrêmement grave, ces décisions sont temporaires et doivent impérativement cesser une fois la situation exceptionnelle levée. En effet, si le droit — dans certains cas — et la jurisprudence reconnaissent en temps de crise l’existence d’une légalité spéciale, parallèle à celle des temps de paix, celle-ci doit être temporaire.
En outre, les mesures prises lors des circonstances spéciales doivent impérativement être proportionnelles à l’objectif recherché, dans notre cas empêcher la propagation du virus et porter secours aux victimes, elles ne doivent en aucun cas être démesurées et doivent être portées à la connaissance des citoyens par des moyens adéquats. 
Ainsi, autoriser le citoyen à vaquer à ses activités quotidiennes durant une plage horaire fixée par voie réglementaire et fermer les routes devant la circulation des véhicules durant la même plage horaire sans affichage au préalable de ladite interdiction est de nature à exacerber la tranquillité publique, même si de telles mesures sont de bonne foi et prises dans un but préventif. L’administration est tenue de concilier ordre et liberté. Cette obligation qui incombe à l’administration ne peut être              remplie que s’il existe une certaine cohésion entre  tous les organes chargés du maintien de l’ordre public.

Suggestions
Cette grave crise que traverse le pays devrait nous inciter à doter l’Algérie d’une loi spéciale relative aux libertés publiques, notamment durant les circonstances dites exceptionnelles. La Constitution ainsi que les textes relatifs aux procédures pénales, à la Wilaya, à la commune doivent incorporer de telles situations. Les attributions des différents ministres lors des circonstances exceptionnelles doivent être précisées autant que possible afin d’éviter les abus de droit.
En effet, il faut s’attendre à affronter, une fois le Covid-19 vaincu, un lourd contentieux notamment dans le domaine des relations de travail, on ne peut libérer le personnel administratif sans aucune décision écrite précisant sa situation administrative et faire pression sur les fonctionnaires autorisés à s’absenter verbalement à rejoindre leurs postes de travail sous peine de représailles sans tenir compte de leur situation personnelle et des dangers qu’ils encourent, étant donné que le confinement est toujours maintenu et le danger toujours présent. Des cellules d’écoute doivent être mises en place afin de recenser tous les abus constatés, ce qui permet à l’administration de mieux gérer de telles situations à l’avenir et éviter tout mécontentement.

Conclusion
S’il est reconnu que «dans les sociétés organisées au-dessus des intérêts individuels les plus respectables, au-dessus des intérêts collectifs les plus sérieux, il y a l’intérêt général, le droit supérieur pour une nation d’assurer son existence et de défendre son indépendance et sa sécurité», cette réalité ne doit pas permettre à l’administration d’abuser de ses pouvoirs de police, bien au contraire, la sécurité juridique des citoyens doit être sauvegardée en tout temps.
K. R.
(*) Docteur en sciences juridiques. Maître de conférences.

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