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Rubrique Contribution

La femme palestinienne dans la résistance Dalal Maghrabi, héroïque et légendaire

Par Amar Belkhodja(*)
Destin très particulier, destin très spécial, que celui d’une jeune fille qui n’a pas encore accompli ses vingt ans et qui aura choisi de mourir et de se sacrifier pour la Palestine, elle, la jeune Palestinienne. Pour Dalal Maghrabi, se battre pour la Palestine n’était pas uniquement un devoir, s’acquitter d’un devoir pour une patrie spoliée, martyrisée était plus qu’un devoir. C’était aussi, et surtout, une passion, qui, comme une flamme, la consumait partout dans son cœur, dans son corps, dans son être. Tout était fébrile en elle. Éveil patriotique précoce, éveil patriotique inné ?
C’est assurément ce dernier aspect qui va la prédestiner à se lancer, de toutes ses forces, de toutes ses convictions dans le combat contre toutes les injustices, contre toutes les conspirations, contre toutes les trahisons, contre tous les abandons.
Dalal Maghrabi est belle, aussi belle que la légendaire et historique Palestine. Une beauté que les démons sont venus souiller, altérer, abîmer. Un immense verger qui exhalait ses mille parfums dans une contrée, dont elle était la parure, le joyau et l’étincelante étoile qui ne s’étiolait jamais jusqu’au moment où sont venues les forces du mal et des ténèbres pour l’abattre et la plonger dans le deuil et les malheurs.
Dalal Maghrabi, c’est la rose qui se confond dans le verger. C’est la militante palestinienne, toute fraîche, toute envoûtante qui plonge tout droit dans le cœur, dans les flancs et dans les tréfonds de la Palestine, la Palestine grande et fière, digne et humble, courageuse et forte, princière et royale, patiente et engagée.
Dalal Maghrabi, c’est l’étoile filante et scintillante à la fois. Filante par son passage bref et furtif, mais si glorieux dans l’Histoire, dans une grande résistance, exemple de bravoure, de gloire et de sacrifice. Scintillante parce qu’elle aura semé sur son passage des milliers de paillettes d’or lumineuses, illuminant le ciel menacé d’être assombri par les bourreaux, s’acharnant à terrasser le supplicié qui résiste farouchement aux assauts meurtriers, lâches et honteux, vils et déshonorants, cruels et inhumains.
Dalal Maghrabi, c’est cette comète qui plonge dans le cosmos, essaimant sur son passage une longue masse de particules luisantes et reluisantes, illuminant les nuits sombres et incertaines, semant l’espoir dans le cœur et dans les esprits, et traquant les délinquants semeurs du mal et de l’effroi.
Dalal Maghrabi, martyre dans une Palestine martyre, tu es venue poser ta belle et frêle silhouette sur le sublime registre du martyrologe du peuple palestinien. Patriotisme inné, précoce et passionné ? Certes, puisque tu es née l’année 1959 dans un camp de réfugiés palestiniens, greffé dans la capitale libanaise, Beyrouth.
Il s’appelle Sabra. Tu ne pouvais penser qu’un jour un morceau de «ta patrie humaine» s’inscrive, avec Chatila, dans la tragédie la plus ignominieuse où les phalanges chrétiennes libanaises, sur injonction et sous la protection de l’ignoble assassin Sharon, vont commettre les plus odieux des massacres. C’était le 18 septembre 1982. Deux milliers de morts. Des femmes, des bébés, des vieillards, des adultes, surpris dans leur sommeil, sont égorgés et mutilés sans pitié.
Quatre ans auparavant, tu as trouvé la mort dans une opération contre les occupants israéliens. Est-ce que tes parents, les tiens, tes copines, tes voisins furent-ils eux aussi exterminés ? Les massacres nocturnes, massifs, acharnés n’ont épargné personne.
Dalal Maghrabi, tu es née dans un camp de réfugiés au Liban, d’où mille et une interrogations qui ont taraudé ta tendre enfance et façonné ton esprit patriotique, provoqué ton insurrection morale puis t’ont projetée totalement dans l’action contre ceux qui t’ont volé ta patrie, tes rêves et ton adolescence.
Tu as vu le jour dans un camp de réfugiés, à Sabra, dont le sang de ses martyrs ne séchera jamais. Il dégoulinera, jusqu’à la fin des temps, sur la conscience des assassins, en vie ou disparus, sur la tête aussi de ceux qui ont gardé un silence coupable sur l’un des plus honteux crimes contre l’humanité, contre le peuple palestinien, partie indissociable de cette même humanité.
Ils sont venus, dans cette nuit infernale et inattendue dans un camp endormi, lacérer des corps, tourmenter les âmes. Ils sont venus, voraces comme des fauves, lâches comme des hyènes, raser ta maison, si fragile, piétiner des roses rescapées des vergers d’antan, écrabouiller tes poupées que tu as cachées comme de précieuses reliques, dans l’espoir de les emporter avec toi au moment tant espéré, celui du retour sur la terre des ancêtres, si rayonnants dans leur fierté, si nobles dans leurs vertus que l’histoire a magnifiés à travers les époques et dont les souvenirs dramatiques seront éternisés dans les temps à venir.
Quand nos premiers sourires se dessinent au fond d’un berceau suspendu dans la précarité d’un camp de réfugiés éternels, quand notre enfance est en quête de jeux et de jouets, quand notre adolescence s’égare dans les méandres des rêves incertains, à quoi pourrait-on penser ? Penser à notre misérable existence, vidée de ses droits et de ses ambitions, privée de sa liberté et scellée mortellement dans un présent englouti dans le tourbillon du désespoir ?
Quand on naît dans un «camp de réfugiés», offrande honteuse d’un monde hypocrite et malveillant, sournois et comploteur, à quoi doit-on penser et que doit-on apprendre ? Sinon ramasser toutes les déceptions, trébucher et s’affaler sur le constat d’amertume parce que nos parents furent chassés de leurs maisons et dépossédés de leurs biens.
Et pourtant, ma chère Dalal, Sabra, morceau hypothétique d’un territoire sans continuité, qui trouve sa réplique dans plusieurs autres camps plantés le long des frontières incertaines, Sabra n’est pas ta patrie, n’est pas le quartier qui faisait autrefois l’orgueil de tes parents et de tes ancêtres. Ta patrie n’est pas si loin, n’est pas très loin. Elle est juste à côté, à portée de main, mitoyenne avec d’autres pays, plaquant sur les figures indignes, jusqu’à l’étouffement, une mauvaise conscience qui les poursuivra jusqu’en enfer.
Dalal Maghrabi, ta véritable patrie, l’authentique, c’est la Palestine. Malheureusement on te l’a dérobée. Des étrangers sont venus s’y installer au nom de toutes les supercheries, de toutes les mascarades et de tous les mensonges. Alors, tu n’avais pas d’autre choix que d’exprimer ta colère et ton indignation, face à tant d’affronts et d’injustices.
Avant les agressions des milices juives en 1947 et 1948, le père de Dalal vivait avec sa famille à Jaffa, en Palestine, avant d’être contraint de résider dans un camp de réfugiés à Beyrouth, qu’on appelle Sabra, qui, en 1982, sera le théâtre, avec Chatila, d’une horrible hécatombe. C’est à Sabra que naîtra, d’un père palestinien et d’une mère libanaise, en 1959, et grandira Dalal Maghrabi.
Infirmière, Dalal, n’a que 16 ans lorsqu’elle décide de s’impliquer dans le combat politique aux côtés de ses compatriotes d’exil. Elle vit les moments tragiques de la guerre civile au Liban et adhère aussitôt au mouvement armé palestinien Fatah. On lui confie des missions dans le service de communication. Propice à l’action, l’adolescente est au cœur du combat qui oppose les résistants palestiniens aux forces syriennes, dans le sud-est de Beyrouth, venues soutenir les phalangistes libanaises. C’était en 1976.
En 1977, Dalal Maghrabi n’a que 18 ans lorsqu’elle est affectée à suivre une formation de trois mois. Son engagement, sa fibre patriotique aiguë, ses prédispositions à l’action lui confèrent de souscrire, dès lors, au grade de lieutenant. Un exemple assez remarquable dans la participation de la femme palestinienne à la résistance.
Ses responsables remarquent chez cette jeune fille un esprit et une intelligence vifs. Le Fatah, assuré de ses compétences et du rôle qu’elle est capable de jouer dans la propagation et de la vulgarisation des idéaux du combat des Palestiniens, s’empresse de lui proposer une fonction politique au sein du bureau de l’OLP implanté en Italie. Cependant, pour cette énergique et exemplaire jeune fille, ce poste est assurément une «sinécure» par rapport à ce «bouillonnement patriotique» qui la propulse dans l’action, plutôt que d’assumer une permanence dans une représentation diplomatique. À la surprise de ses responsables, elle refuse une nomination qui, en vérité, est une promotion méritée parce que Dalal Maghrabi a révélé des qualités précoces qui lui ont permis d’assumer des tâches dans une aile d’avant-garde.
Sur le terrain, une mission intrépide l’attend. Dalal Maghrabi est à la tête d’un groupe de 10 fidayyine. L’action se fixe plusieurs objectifs afin de faire échouer les pourparlers entre les Israéliens et les Égyptiens, dont les aboutissements constitueraient à abandonner et à sacrifier la cause palestinienne. Des actions d’éclat étaient projetées : frapper et atteindre le ministère de la Défense israélien et la Knesset et exiger la mise en liberté des prisonniers palestiniens.
Néanmoins, l’opération se limitera à un assaut donné le 11 mars 1978 sur la route côtière menant à Tel-Aviv. Sur le parcours, des occupants d’un taxi sont tués. Ensuite, un bus est détourné avec ses occupants, tenus en otage. Les forces israéliennes interviennent et bloquent le véhicule. Une fusillade éclate, suivie d’une explosion. Bilan : 38 morts et 72 blessés israéliens. Dalal Maghrabi et ses compagnons trouvèrent la mort à l’issue de cette opération. Toutefois, pendant l’affrontement, la jeune fidayya a eu le temps de hisser tout haut le drapeau palestinien, proclamant fort l’instauration d’un État palestinien. Voici une version avec davantage d’éléments d’appréciations sur l’opération, version rapportée par Abou Ayad, responsable dirigeant de la résistance palestinienne. Des événements imprévus et autres circonstances n’avaient pas permis à l’opération de suivre son cours projeté initialement.
Cela n’exclut en rien le sentiment de patriotisme et de sacrifice élevé de Dalal et son groupe qui n’avaient d’autre choix que d’improviser une action, espérant contraindre les autorités israéliennes à libérer des prisonniers palestiniens contre des otages.
(…) «À l’origine, l’attaque que nous avions projetée avait un caractère strictement militaire. Une quinzaine de fedayyine devaient débarquer clandestinement sur une plage de Tel-Aviv, où devaient les accueillir des membres de la résistance intérieure. Le commando se serait dirigé vers un camp d’entraînement de l’armée, dans la proche banlieue, et aurait tenté de s’emparer des soldats du contingent afin d’obtenir, en échange de leur libération, un nombre équivalent, en décida autrement. Une tempête empêcha les deux embarcations qui transportaient nos guerilleros d’atteindre le lieu du rendez-vous ; l’une d’elles devait rebrousser chemin, tandis que l’autre était déportée par la houle à une quarantaine de kilomètres au nord de Tel-Aviv, non loin du port de Haïfa. Et c’est avec trois ou quatre jours de retard sur la date prévue que les feddayine purent, enfin, atteindre le rivage de l’État sioniste.
«Le commando, composé de onze personnes, était dirigé par une jeune militante, Dalal El Maghrabi, une rescapée de l’enfer de Tel Zaatar. Agée d’une vingtaine d’années à peine, boute-en-train parmi ses camarades, elle respirait la joie de vivre et l’optimisme. Elle n’évoquait l’épreuve qu’elle avait subie que pour exprimer l’horreur qui lui inspirait la guerre. Mais elle n’était pas moins convaincue de la nécessité de porter le combat en territoire occupé. Confrontée à une situation imprévue, il lui revint d’assumer la responsabilité d’improviser un plan de rechange pour l’action que devait accomplir le groupe qu’elle commandait. Je n’ai pas de jugement à porter sur les décisions prises dans des circonstances exceptionnellement difficiles, mais je peux témoigner, sur la base de renseignements précis que nous avons reçus, que Dalal Maghrabi et ses compagnons voulaient éviter toute effusion de sang. Ils savaient parfaitement que la mort de civils serait, ainsi qu’à l’habitude, exploitée par Israël pour présenter la résistance comme une ‘’bande d’assassins’’. Croyant, cependant, naïvement que les sionistes n’oseraient pas tirer sur leurs propres compatriotes, ils s’étaient emparés d’un autobus et de ses passagers pour s’assurer un sauf-conduit jusqu’à Tel-Aviv.
«La presse mondiale a fait largement état de la suite des événements : les services de sécurité israéliens érigèrent des barrages sur la route de Haïfa à Tel-Aviv avant d’ouvrir le feu froidement sur l’autobus, tuant certains de ses passagers, ainsi que des automobilistes circulant dans le sens opposé. Ils provoquèrent ainsi la bataille, et, en conséquence, le carnage : Dalal El Maghrabi et huit de ses camarades furent abattus au prix du massacre d’une trentaine d’Israéliens.
Le tragique épilogue de l’aventure ne m’a guère surpris. Dans toutes les entreprises analogues qui avaient précédé celle de Tel-Aviv — par exemple aux Jeux olympiques de Munich en 1972 —, l’État sioniste a toujours préféré sacrifier ses propres citoyens plutôt que de nous laisser enregistrer un succès politique.
À l’époque où elle dirigeait le gouvernement, Mme Golda Meïr expliquait la motivation de ce comportement inhumain en déclarant que, si elle devait céder même une fois au chantage des Palestiniens, rien n’empêcherait ceux-ci d’exiger un jour que le Premier ministre d’Israël fût livré en échange de la libération d’un groupe d’otages.
«On pourrait à la rigueur comprendre, sinon approuver, ce calcul sans scrupules. Mais le cynisme des dirigeants israéliens atteint des hauteurs vertigineuses quand ils nous accusent à cor et à cri d’être les seuls responsables de la mort d’innocents civils. Ou quand ils exigent, comme ils l’ont fait après l’affaire de l’autobus de Tel-Aviv, que tous les gouvernements occidentaux qui ont reconnu l’OLP rompent toute relation avec nous. Ou encore quand la Knesset adopte à l’unanimité, moins les voix communistes, en mars 1978, une résolution autorisant les services israéliens à tuer des Palestiniens à travers le monde, et cela sous le couvert de la ‘’lutte contre le terrorisme’’. La légalisation et l’institutionnalisation de l’assassinat d’ennemis politiques, voire de membres d’une communauté nationale adverse, sont sans précédent dans l’Histoire, même, sauf erreur, sous les régimes fascistes.
«L’attentat du 11 mars fut, de même, pris comme prétexte pour lancer trois jours plus tard l’offensive de grande envergure contre le Sud-Liban. Je dis prétexte, car nous avions reçu deux mois auparavant un rapport de nos amis aux États-Unis faisant déjà état du projet de M. Begin de détruire nos infrastructures militaires et politiques au cours d’une guerre éclair qui devait durer de vingt-quatre à quarante-huit heures. L’opération était conçue pour infliger aux Palestiniens une débâcle aussi totale que celle qu’Israël avait imposée aux États arabes en juin 1967». (Abou Yad - Patriote sans patrie - pp.322 à 32 - Entretien avec Eric Rouleau -Fayolle - 1978).
En 2008, des négociateurs palestiniens, sur des échanges de prisonniers, ont exigé que les restes de Dalal Maghrabi soient exhumés et renvoyés au Liban. Les autorités israéliennes, qui avaient pris l’habitude d’enterrer les dépouilles des combattants palestiniens dans des cimetières spéciaux, et sous des numéros en guise d’identification, ont prétexté que le cercueil de la résistance fut déplacé par le flux d’eaux souterraines. Le cercueil envoyé aux parents ne contenait pas les restes de la martyre, mais uniquement des pierres et de la terre.
En hommage à l’héroïne, l’Autorité palestinienne a donné son nom à plusieurs sites et institutions (places publiques, écoles, centre d’informatique). «Al-Mughrabi est un personnage populaire, considéré par le public palestinien comme un héros majeur de leur lutte, avec de nombreuses légendes liées à son nom au fil des ans.» En outre, sa mère avait déclaré : «Dalal ne sera jamais oubliée, car elle restera un symbole admirable de la lutte des femmes palestiniennes et un exemple à imiter par de jeunes hommes et femmes palestiniens qui poursuivront la lutte armée jusqu’à la libération de la Palestine.» (Source :https.//translate.geogle.fr/translate ?hl=fr§u=wikipédia.org/wiki/Dalal_Mughrabi§prev.=search).
Cependant, l’événement qui a suscité la controverse, c’est la baptisation d’un centre au nom de Dalal Maghrabi en 2017 dans la ville de Burqa. Ce qui n’a pas trop plu ni convenu au gouvernement norvégien, le centre étant financé par ce même gouvernement qui, considérant Dalal Maghrabi comme une terroriste, exigea le remboursement du financement et le retrait du logo du bâtiment en question. Le ministre des Affaires étrangères norvégien a déclaré que «la Norvège ne se permettra pas d’être associée à des institutions qui prennent ainsi le nom de terroristes». Les Nations unies ont réagi dans le même sens en condamnant «la glorification du terrorisme» et en exigeant, à leur tour, le retrait de la baptisation de l’édifice.
Israël, qui a persisté dans le meurtre individuel et collectif des Palestiniens, des décennies durant, n’a jamais été qualifié et accusé d’État terroriste. Les colons implantés illégalement en Cisjordanie n’ont jamais été inquiétés, ni accusés de terroristes pour les meurtres commis, à longueur d’année, contre des enfants, des femmes et des vieillards. Pour l’histoire et la mémoire, il est utile et nécessaire de rappeler que le 16 mai 1974, 36 Phantom et bombardiers israéliens ont bombardé les camps de Nabatiyé et Aïn Helouch, faisant 50 morts, 160 blessés et privant 523 familles de leurs maisons.
«On ne saurait imaginer une gestion plus désastreuse de la planète sous la domination du pire ennemi de l’humanité : les dirigeants américains, de Reagan à Clinton, qui sont, avec leurs mercenaires israéliens et anglais, les pires terroristes du monde. Alors que, dans un langage commun à Hitler, à Clinton et à Netanyahou, on appelle terroristes les résistants à une occupation étrangère». (Roger Garaudy - Avenir mode d’emploi - p.307 – Vent du Large – 1998).
Dans la terminologie occidentale, les résistantes et les résistants palestiniens, on se plaît à les désigner sous le vocable de «terroristes» et les fidayyine et fidaiyyate, qui commettent des opérations contre Israël, sacrifiant leurs vies, d’être les auteurs d’«attentats-suicide» ou de «kamikazes, en les comparant aux aviateurs japonais dans leur guerre contre les États-Unis.
J’essaye d’analyser le phénomène pour tenter de différencier le fiday et la fidayya palestiniens des kamikazes japonais, parce que ni les situations historiques ni les causes du sacrifice ne sont les mêmes, et surtout tenter de «libérer» ces honorables résistants palestiniens du qualifiant ignoble et hypocrite de «terroristes». Car, en vérité, deux pays dans le monde endossent légalement la perfide identification «terroriste», ce sont assurément Israël et les États-Unis. Les arguments les plus probants, les plus incontestables sont contenus dans le magistral ouvrage du philosophe érudit Roger Garaudy Le Terrorisme occidental (Éd. El Ouma – Alger – 2002).
Voici d’abord une opinion sur le sujet : «En Palestine, qui sont d’abord ces nouveaux terroristes ? À 95%, ils ont entre 15 et 25 ans. Ceux qui s’engagent dans les opérations-suicide viennent de tous les milieux. L’âge, pas l’origine sociale, est le facteur critique. Autour de 20 ans, on dispose d’une incroyable énergie, d’une capacité de sacrifice démesurée. Le refus de la mort, la peur sont absents, ou individualisés, pas liés à des responsabilités. L’idée de carrière, de construction de sa propre vie ». (Sylvain – Les Emmurés – La Société israélienne dans l’impasse – p. 319 – La Découverte – 2006).
En dépit du rouleau compresseur qui écrase et broie tout sur son passage, la résistance palestinienne est implacable, dans une passion et un enthousiasme qui ne laissent pas de place au sentiment de la peur, du recul, d’abdication, d’abandon, même si l’on sait ce que cela va coûter en sacrifices, compte tenu justement des forces asymétriques entraînant des pertes considérables que celles de l’ennemi. Qu’importe. Les actions armées et les attentats des fidayyine fusent jusqu’à la capitale Tel-Aviv, sévèrement quadrillée et rigoureusement surveillée.
Pour semer la panique dans le camp de l’ennemi, les jeunes Palestiniens, filles et garçons, qui, pour la plupart, n’ont pas encore vingt ans, vont se porter «volontaires de la mort», en sacrifiant leur vie dans des attentats-suicide qu’on qualifiera sous le vocable de «kamikaze, en référence aux aviateurs japonais qui piquent leurs engins sur les cuirassés et porte-avions américains dans la guerre du Pacifique. Cependant, quand on aborde cette question, on est tenu de mettre en avant que ni les motivations ni les circonstances ne nous commandent de faire état de comparaisons entre les uns et les autres.
«Les volontaires de la mort», tels qu’ils sont définis par Mohamed-Cherif Sahli, remontent à l’époque du soulèvement de la Kabylie (Algérie) sous une bannière féminine, fièrement et héroïquement portée par Fatma N’Soumeur en 1852.
Il s’agit d’un corps formé par de jeunes gens qui vont joindre le front du combat non pas avec la sensation et l’espoir de survivre, rescapés d’une bataille, blessés ou fait prisonniers, mais pour mourir.
On les appelait les moussebiline, terme qui désigne cette catégorie de volontaires qui ont fait le serment de périr pour défendre la patrie contre les envahisseurs français.
Il ne viendra jamais à l’esprit de ces jeunes gens, candidats à la mort, de déserter ou de se faire capturer par l’ennemi. Chaque village choisissait un nombre parmi les plus jeunes, les plus courageux, les plus vigoureux. Leurs familles, si fières et si nobles, adhéraient pleinement et avec enthousiasme au choix qui a été porté sur leurs enfants, fières de leurs «offrandes», sachant qu’elles ne vont plus revoir le fils bien-aimé qui a grandi dans leurs bras, entouré de leur amour et de leur affection. Le moment est solennel, bouleversant quand, sur une place publique du village, les jeunes sont présentés aux villageois qui sont venus assister aux cérémonies de leur enrôlement. Ils sont debout, l’un à côté de l’autre, sereins et paisibles, heureux d’aller mourir pour le pays, font des adieux aux parents, aux amis d’enfance, aux voisins, sans pour autant prononcer la moindre parole. Seul l’imam du village vient expliquer leur acte et leur devoir. Puis vint l’instant le plus crucial de cet émouvant rassemblement. C’est l’imam qui va donner le signal d’officier la prière des morts en hommage à ceux qui vont mourir et qui n’auront peut-être aucune chance d’être enterrés selon les usages ancestraux, c’est-à-dire la dernière prière qui précède immédiatement la mise sous terre de la dépouille ; alors autant accomplir la prière des morts par anticipation. Sublimes et pathétiques moments sur la légende des moussebiline de Lalla Fatma N’Soumeur, qui méritent aujourd’hui qu’on élève un mémorial qui perpétuera le souvenir du combat et du sacrifice.
Mémorial également en hommage aux moussabilate et moussebiline palestiniens qui, en se portant «volontaires de la mort» ou «volontaire au sacrifice» de la vie, ont troublé toutes les institutions de l’État d’Israël. «Les volontaires de la mort», dans leurs attentats dits «suicidaires», donnent des signaux probants, des leçons d’une haute signification, sur deux aspects essentiels. Premièrement, le mépris de la mort parce qu’il s’agit de mourir pour une grande cause : la Palestine meurtrie, polluée, lacérée, morcelée et humiliée. Une cause qui vaut toutes les vies et tous les sacrifices.
C’est prouver à l’opinion publique internationale que mourir pour la Palestine, lui offrir une existence qui totalise à peine vingt ans, c’est refuser que cette Palestine meure à «petit feu», de souffrances décennales et de lui proclamer haut et fort qu’elle ne mourra pas tant que ses enfants acceptent de périr pour elle.
«L’attentat suicidaire» de la moussabila ou du moussebel palestinien n’a rien de commun avec les fanatismes sécrétés par des sectes religieuses, ethniques, politiques ou idéologiques. L’acte réfléchi et décidé par «les volontaires de la mort» est un acte qui incite à admirer le sens que l’on donne au sacrifice pour une patrie, un acte qui et porteur d’un sentiment élevé du patriotisme. Ce n’est pas non plus l’expression d’un acte de désespoir pour dire «à quoi bon vivre» pour une cause perdue d’avance. C’est un appel où s’entremêlent colère et détresse pour bousculer l’inertie du monde et des peuples sur l’une des plus grandes et inacceptables injustices commises au vu et au su de tous, un défi infligé non seulement aux Palestiniens, mais à l’humanité tout entière.
L’acte de la moussebila ou du moussebel veut intimer à la conscience universelle de se réveiller de sa mortelle torpeur et crier haut et fort sus aux «professionnels du mal», sus aux assassins des valeurs humaines et humanitaires, sus aux étrangleurs de la paix universelle. Voilà pour ce qui est du premier aspect.
Le second aspect, aussi essentiel que le premier, s’adresse toujours à la conscience de la communauté internationale pour faire de l’asymétrie flagrante entre les forces colossales de l’État d’Israël et les moyens de la résistance palestinienne, effroyablement réduits, révélant ces images qui ont fait le tour du monde représentant des enfants palestiniens lançant des cailloux sur un char pendant les intifadhas historiques. Le comble dans cet affrontement, c’est lorsque les chefs militaires juifs supplient les dirigeants palestiniens de supplier «les enfants de la pierre» de cesser le feu. Condition préalable pour que l’armée israélienne cesse à son tour les exactions et faire taire le crépitement des balles contre les jets de pierres.
Par voie de conséquence, l’attentat suicidaire devient en quelque sorte cette arme, produit de la clandestinité et de l’habileté, qui est susceptible de provoquer un maximum de pertes aux envahisseurs de 1948 et de 1967. Ce n’est guère un acte de défaitisme et de désespoir, mais l’innovation d’une stratégie de combat destiné à percer les mailles et semer la panique et la peur dans le camp ennemi. Les années 2001 et 2002 ont comptabilisé une série d’attentats-suicide.
L’attentat du Night-Club a fait 20 morts et 120 blessés. Celui du Park-Hotel de Netanya 30 morts et 140 blessés.
En mars 2001, pour venger 32 civils tués au cours de l’intifadha d’El Aqsa, 343 Palestiniens furent assassinés.
La violence déclenchée par l’armée israélienne pour «traquer» les «terroristes» se distingue, comme à l’accoutumée, par de sanglantes représailles et «au prix de lourds dommages collatéraux dans la population palestinienne» (René Bachmann – Un Mur en Palestine – p. 53 – Fayard – 2006), est-il souligné dans les milieux des forces israéliennes qui reconnaissent que les attentats-suicide entraînent automatiquement une vague de représailles. On arrête n’importe qui et on tire sur n’importe qui.
Quant à l’idée que les Israéliens négligent les «kamikazes», décrite par un général de l’armée israélienne, un certain Ben-Eleizer qui, cynique et décidé à anéantir la résistance palestinienne, déclare à ses pairs : «Le problème, voyez-vous, c’est que nous avons toujours mis du temps à comprendre ce qui se passait chez les Palestiniens. Quand j’étais ministre de la Défense, je suis allé à plusieurs reprises dans les prisons pour rencontrer les kamikazes que nous avons réussi à capturer avant qu’ils ne déclenchent leurs bombes. Ce ne sont pas des idiots. Plusieurs de ceux avec qui j’ai parlé avaient un très bon niveau d’études, beaucoup étaient passés par l’université de Bir Zeit. J’ai même rencontré une jeune femme de Bethléem qui avait un diplôme d’informatique et qui semblait avoir un avenir professionnel brillant. Avec des gens comme ceux-là, mus par le désir profond de mourir, vous ne pouvez pas sortir… (illisible) et vous contenter de dire ‘’Arrêtez, ou je vous tue’’, comme vous le faites avec n’importe quel terroriste. Mourir, c’est ce qu’ils veulent. C’est ce qu’ils attendent. Contre des gens comme eux, notre science de la guerre, notre arsenal F.16, nos Apache, nos Merkava ne peuvent rien. Il n’y a qu’une parade : les empêcher d’arriver jusqu’à nous. C’est-à-dire construire un mur.» (Cité par René Bachmann – Un Mur en Palestine – p.60 – Fayard – 2006).
Ainsi naquit l’idée de construire la fameuse « barrière de sécurité » contre les incursions de fidayyine, mais qui va aussi provoquer de très graves conséquences sur la vie de tous les jours des Palestiniens, ruiner leurs commerces et leur agriculture et plonger leurs emplois dans la précarité et la contrainte. (Dans mes travaux sur la Palestine, je réserve un chapitre intitulé «L’Apartheid» dans lequel j’évoque la construction du mur de la honte).
Dans ce même contexte, nous négligeons le rôle de la propagande qui, par la mainmise des lobbies juifs sur les médias (presse, télévision, cinéma…), parvient assez souvent à faire passer le bourreau pour la victime. Opinion qui a persisté et qui persiste encore, qui exprime et reflète l’image d’Israël, un pauvre petit pays pacifique, entouré de fauves prêts à le dévorer. Et quand cet État réagit par des représailles dévastatrices, on pense toujours que c’est sa sécurité qu’il assure, face à une menace permanente qui angoisse tant la société israélienne si docile et perméable à toutes les manipulations, à part, nous n’oublions jamais de le signaler, ces rares étincelles d’indignations qui proviennent d’âmes généreuses et révoltées juives en intra-muros et extra-muros de l’État d’Israël.
Cette manipulation, si puissante, a fait dire à une personnalité américaine, il y a une quarantaine d’années déjà, qui déplore les faiblesses du monde arabe dans la pratique de la propagande, que ces médias, dans leur variété, ont fait croire que Begin est palestinien et Arafat polonais.
«Le réseau sioniste de propagande et de désinformation, à travers le contrôle des principaux ‘’médias’’ aux États-Unis, et dans tous les pays occidentaux, est si puissamment organisé et centralisé, que, par la presse, la radio, la télévision, les films, il peut, dans l’opinion occidentale, faire passer pour blanc ce qui est noir et pour noir ce qui est blanc.»
A. B.
(*) Journaliste - Historien
 

 

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