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Rubrique Contribution

Éléments pour la «numérisation» du pays (2e partie)

Par le Pr Baddari Kamel(*)
(Note : Dans la première partie parue dans le même quotidien, nous avons abordé les points suivants : la nécessaire réforme systémique, le rôle de l’État dans la numérisation).

Les infrastructures et les capacités institutionnelles
Il s’agit de deux pivots qui président à toute mise en œuvre des technologies du numérique dans le pays. 
a) Au niveau des infrastructures : Pour être efficace, toute stratégie numérique doit permettre à sa population sans distinction de disposer d’un accès internet haute vitesse. On peut, à cet égard, élaborer une planification visant à : -Cibler les régions non desservies en internet et offrir à l’administration locale un appui financier et des incitations fiscales pour les opérateurs privés afin que ces régions puissent lancer elles-mêmes des projets d’infrastructures ; - développer des réseaux de fibre optique à très haut débit opérant sur des routeurs performants sur tout le territoire national ; - développer les télécommunications mobiles (4e, 5e générations et autres plus tard) dans toutes les régions du pays. 
b) Au niveau des capacités institutionnelles : Pour établir des conditions favorables à l’instauration d’une économie numérique, des capacités institutionnelles correspondant à des critères tels que le repérage, l’organisation, la compréhension et l’évaluation, la création et la diffusion de l’information par l’intermédiaire des outils de la technologie numérique sont indispensables. On peut, à cet égard, décliner les points suivants : - Tous les citoyens doivent être en mesure d’utiliser les TIC (pour apprendre, enseigner, acheter en ligne, etc.) et se familiariser avec les risques auxquels ils seront exposés ; - élaborer et implanter le plan numérique pour l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique ; - instituer une tradition liée à l’utilisation par la population de l’internet du type «le numérique pour tous», afin de former des jeunes au moyen de méthodes pédagogiques innovantes ; - offrir des services pour la communauté des malvoyants et malentendants ; - revoir sinon élaborer le programme scolaire d’informatique pour les écoles et les lycées. L’informatique doit être un outil de travail dès le jeune âge.

Numérisation des entreprises
Les entreprises ont beaucoup de mal à s'adapter à la numérisation. Cette lacune pourra leur être fatale si elles ne prennent pas le train assez tôt, ou si elles choisissent la mauvaise voie pour se numériser. L’entreprise Kodak en est l’exemple type. Leader mondial du marché de la photographie, la société a déposé son bilan en 2012, bien qu'elle ait inventé le premier appareil photo numérique en 1975. 
Kodak a échoué car elle n'a pas choisi de poursuivre systématiquement la technologie numérique de peur de mettre en danger son activité fondée sur des produits analogiques. L’impact des changements a eu raison d’elle. Alors, pourquoi tant d'entreprises algériennes restent-elles répulsives à la transformation numérique ? Il faut préciser, à cet égard, que les entreprises ont du mal à suivre le volume et le rythme des changements. Les causes sont dues à leurs personnels qui ne sont pas formés à la transformation numérique, à la rigidité de leurs structures, au manque d’intégration commerciale, au manque de concurrence et à l’absence d’une vision stratégique de développement du pays pour la plupart d’entre elles. 
Si l’entreprise algérienne est appelée à se transformer et à repenser systématiquement son fonctionnement, l’État est appelé à plus de régulation du numérique des entreprises au niveau national. On peut, à cet égard, retenir les points suivants : - Favoriser la conception de nouveaux sites de commerces et permettre l’amélioration de ceux existants, les intégrer par secteur d’activités dans des plateformes numériques en ligne ; - mettre à la disposition des entreprises un outil d’autodiagnostic et de formation de son personnel ; - élaborer des stratégies numériques pour les petites et moyennes entreprises et aux start-up puisqu’elles sont un moteur de développent économique du pays. 

Visibilité et internationalisation des TIC
En plus de son implication dans les affaires internes en permettant la réalisation de la numérisation de la relation administration-usager et des entreprises, le secteur des TIC doit être solide et concurrentiel sur la scène mondiale, car l’exportation de produits est désormais liée aux capacités avancées des TIC du pays. Ce secteur est aussi un facteur d’externalisation des entreprises car les capacités des TIC permettent à tous, quel que soit l’endroit où l’on se trouve, de capturer les offres et les demandes en ligne et réaliser des transactions. On peut, à ce propos, décliner les recommandations suivantes qui concourent toutes à un meilleur échange d’information plus rapide et de meilleure qualité : - Favoriser la recherche-développement collaborative ; - favoriser l’implantation sur le territoire national de centres de données et d’entreprises, étrangers ou nationaux, de haute technologie.

Difficultés
L’organisation et les compétences nécessaires pour porter ces chantiers sont souvent problématiques à réunir. Elles se heurtent à des défis tels que : les compétences à développer au sein des administrations ; les partenariats pour contribuer à des solutions simples et économiques ;  la garantie de sécurité des infrastructures et des applications ; le stockage et la recherche de l’information avec le recours au Cloud : la résistance aux changements... Ces défis sont récurrents et il convient de les éviter ou de leur apporter des solutions lors de la phase de conception afin qu’ils ne deviennent structurels une fois le système mis en place. Beaucoup de ces problèmes peuvent être facilement surmontés en s’appropriant de manière raisonnée une technologie adaptée et des méthodes les plus avérées. 
Si ce processus de numérisation est bien déroulé, les institutions et les entreprises peuvent alors parvenir à faire adopter leurs politiques et stratégies et les utiliser autant que possible pour être au service du citoyen. Ce n’est qu’avec ces conditions sur «les objets et les sujets» que l’on pourra créer maintenant le monde de demain. La numérisation ne tient pas tant à des innovations technologiques qu’à l’appropriation de technologies existantes et de leur utilisation efficace au service du citoyen.

Conclusion
Une nation branchée est une nation qui exploite pleinement les TIC pour sa compétitivité dans l’économie numérique mondiale. L’Algérie peut profiter des enseignements des pays ayant déjà fait leur transition numérique en élaborant des politiques et des stratégies ajustées à ses besoins et adaptées à son contexte, à l’image des pays comme la Corée du Sud et le Singapour qui ont pu s’affranchir des étapes intermédiaires et s’adapter rapidement pour devenir aujourd’hui de véritables incubateurs de l’innovation. Le Rapport mondial 2018 sur les technologies de l’information du Forum économique mondial présente l’indice NRI (Networked Readiness Index) et classe 139 pays selon leur capacité à intégrer les TIC dans leur développement économique et social sur la base de 10 catégories : environnement politique et réglementaire, environnement d’affaires et d’innovation,  infrastructure et contenu numérique, simplicité d’utilisation, compétences institutionnelles, utilisation des TIC par les individus, les entreprises et par l’État, impacts économiques, impacts sociaux. Si l’on se fie à ce rapport, l’Algérie n’occupe pas une place à la mesure de son rang et de ses influences politiques et économiques dans le monde.
La lecture de cette contribution peut susciter auprès d’une catégorie de lecteurs une appréhension sur cette réforme systémique indispensable à « la numérisation » du pays ; autrement dit, le pays possède-t-il les capacités institutionnelles pour prendre en charge et mener à terme cette réforme ? La présente contribution n’a pas pour ambition de convaincre tout en sachant que le pays possède une forte potentialité en ressources aptes à porter ce projet. Cette proposition s’accommode certainement à un débat d’idées. Quels que soient les positionnements des uns et des autres, nous devons savoir que, compte tenu de l’important avantage concurrentiel procuré par cette innovation, une transition numérique tardive ou incomplète serait dommageable, voire préjudiciable au pays, à ses institutions, à son industrie, à ses citoyens... Une réponse stratégique à ces défis est devenue indispensable et urgente. 
B. K. 

(*) Professeur des universités en physique et en mathématiques. Expert de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Expert en conduite de changement, université de M’sila.

Lectures :
1/L’Estonie : modèle d’un Etat plateforme e-gouverné – juillet 2018. Institut Sapiens (Think Tech France).
2/Stratégie numérique du Québec, 2016.
3/How developing countries can get ehead. The final report of the Pathways for Prosperity Commission.
4/Network Readiness Index 2019 Algeria. Institutes Portulans. Washington.
5/Classement et indices mondiaux : http:// reports. weforum. org/global-information-technology-report-2016/

 

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