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Rubrique Contribution

Le Printemps Algérien et la communauté internationale Entre prudence et risque d’ingérence

Par Mostefa Zeghlache, ancien diplomate
«La soif de dominer est celle qui s’éteint la dernière dans le cœur de l’homme.»
(Nicolas Machiavel)

Alger, dimanche 10 février 2019. Mettant fin à un simulacre de suspense savamment entretenu, Abdelaziz Bouteflika, comme d’habitude à chaque consultation électorale présidentielle, annonce, la veille du délai légal de dépôt des candidatures, sa candidature pour un nouveau mandat présidentiel, le 5e, censé débuter au lendemain du scrutin prévu le 28 avril 2019.
Le président sortant et le régime qui le soutient, notamment les partis factices de ladite alliance présidentielle, étaient convaincus que la prochaine consultation électorale allait se dérouler comme celles qui l’ont précédée depuis 1999, date de l’accession de Bouteflika à la magistrature suprême, dans les conditions que l’on sait, c'est-à-dire par une simple formalité d’usage. 
Cette annonce a constitué la goutte qui a fait déborder le vase et le peuple, indigné, ne tarda pas à manifester clairement son opposition à une candidature «virtuelle» d’un président âgé et malade.
La protesta populaire entamée après la prière du vendredi 22 février 2019, sur l’ensemble du territoire national, à la suite d’un appel anonyme sur les réseaux sociaux, surprend par son ampleur, son organisation, son caractère pacifique et civique, et par la relative harmonie de ses slogans. 
La vague de contestation fait montre d’un niveau de conscience politique jamais atteint depuis l’indépendance. Le mouvement, en faveur duquel les réseaux sociaux jouent un rôle inédit dans la mobilisation de masse et la communication instantanée, est pacifique, organisé et majoritairement jeune. Le pouvoir comme l’ensemble de la classe politique, y compris l’opposition, n’ont pas vu venir la vague déferlante de la contestation pacifique qui a charmé le monde entier
La crainte que le choix du vendredi ne réveille le spectre de la récupération islamiste est vite écartée par le fait qu’«il n’y a pas de revendication idéologiquement spécifique en dehors d’une demande de départ du président et d’un changement du régime politique». Depuis, les vendredis de protestation se ressemblent dans le fond mais diffèrent dans l’ampleur qui ne cesse de croître au point où l’on a parlé de 19 à 20 millions de manifestants à travers le pays, le vendredi 15 mars, soit l’équivalent de l’électorat national. Ce qui fait dire à certains observateurs que ces manifestations équivalent à un véritable vote populaire contre le régime, sommé de partir tout de suite. 
Face à ce raz-de-marée populaire rassemblant des manifestants de tous les âges, des deux sexes et de toutes les catégories sociales, réunis dans un élan solidaire infaillible auquel se joignent les forces de l’ordre sous le slogan «Armée, peuple, frères», le pouvoir a joué, en vain, sur la peur du printemps arabe, notamment la situation en Syrie et en Libye (dixit Ouyahia). Même le départ du président Bouteflika, de ses proches et du gouvernement n’ont pas fait dévier la trajectoire de la revendication du départ de tout le système, à commencer par ses symboles. 
Ainsi, le  mythe de l’omnipotent président est tombé sous les coups de boutoir du peuple révolté et de l’armée qui le lâche définitivement. Mais le régime, lui, résiste encore.
Et pourtant, nombreux étaient ceux qui, en Algérie, dans l’opposition, et à l’étranger avaient mis en garde le régime contre la tentation d’un 5e mandat pour le président malade, surtout dans un climat politique, économique et social délétère. On peut en citer à l’occasion Ali Benflis, pour l’opposition, qui déclarait le 10 février 2019,  «s’il y a un 5e mandat, il ne sera pas pour le président, mais pour les forces non constitutionnelles qui ont pris le contrôle du destin de notre pays et ceci est un grand danger» et le 19 du même mois : «Jamais notre pays ne s’est trouvé dans une situation aussi délicate, porteuse d’un aussi grand risque de rupture de la paix civile, de la stabilité et de la sécurité nationale, comme aujourd’hui.»  
Pour sa part, le quotidien britannique du monde des affaires The Financial Times écrivait en novembre 2018 : «La perspective d’un nouveau mandat de 5 ans…, avec tous les leviers du pouvoir entre les mains d’un clan opaque et compacte qui gravite autour du président malade, est désormais une source d’extrême inquiétude dans cet immense pays d’Afrique du Nord… Pour un grand nombre d’observateurs…, il existe des signes avant-coureurs qui montrent clairement que le régime d’Alger est assis sur un volcan.»
Dans le premier cas, le pouvoir accusait l’opposition d’être au service de puissances étrangères. Dans le second, il qualifiait les voix étrangères d’ingérence dans les affaires internes. Et c’est de l’ingérence étrangère (main de l’étranger) qu’il est essentiellement question dans cette contribution.
A l’évidence, la difficile situation que traverse notre pays n’est pas l’objet de préoccupations des seuls Algériens. Les regards des capitales étrangères et de leurs ambassades sont braqués sur l’Algérie. Les puissances étrangères, notamment occidentales, et à leur tête les Etats-Unis d’Amérique et la France, suivent de près l’évolution de la situation en Algérie eu égard, non seulement à l’importance de leurs intérêts dans notre pays, mais également à l’impact que pourrait avoir le soulèvement populaire sur la stabilité et la sécurité de la région, tant dans l’espace  méditerranéen qu’au Maghreb et au Sahel, voire dans tout le Moyen-Orient. Afin d’exorciser la possibilité d’un nouveau printemps arabe au sud de l’Europe, en Algérie comme dans le reste du Maghreb, soumis à l’instabilité politique, la contestation sociale et les remous sécuritaires, tant Paris que d’autres capitales européennes donnaient l’impression, par leur silence, de croire que la contestation populaire en Algérie ne ferait pas long feu et que le «solide» régime, fidèle partenaire, notamment dans le domaine sécuritaire, tiendrait bon.
Au début du soulèvement populaire, ces capitales, à l’image du régime algérien lui-même, voire de toute la classe politique nationale, étaient loin de penser que le 22 février constituerait le début d’un processus de contestation citoyenne d’un genre nouveau et qui serait appelé à s’inscrire dans la résistance pacifique durable et tenace. 
La formulation, quoique différente d’un pays à l’autre, évolue vers l’espoir que la situation demeure maîtrisable et qu’une solution à la crise soit vite trouvée, dans le cadre du libre exercice par le peuple algérien de ses droits, notamment à la libre expression et de manifestation pacifique pour la satisfaction de ses revendications légitimes. Une opportunité que tentera d’exploiter le régime.
En effet, le régime s’est vite délesté de sa «phobie» traditionnelle de la «main de l’étranger» en pensant utile de charger son ministre des Affaires étrangères Lamamra d’une mission d’explication auprès de certains partenaires étrangers de la feuille de route de sortie de crise (transition) proposée par Bouteflika qu’il avait qualifiée lors d’un entretien avec la radio française RFI de «tournant le plus important de l’Algérie depuis l’indépendance». Le lendemain, dans un autre entretien, cette fois-ci avec la Chaîne III de la radio algérienne, il rassurait l’opinion publique nationale et internationale sur la situation de notre pays en confiant : «Nous sommes l’Algérie, nous avons notre histoire, notre peuple. La Libye et la Syrie ont fait des erreurs que nous ne faisons pas et nous ne ferons pas.» Une manière de brandir la menace des cas syrien et libyen et de faire croire qu’elle n’aboutira pas en Algérie parce que le régime est fort pour en prémunir le pays et ses alliés. C’est donc dans ce contexte que l’ex-nouveau ministre des Affaires étrangères avait pris son bâton de pèlerin pour visiter les capitales de l’Italie, la Russie et l’Allemagne. Auparavant, il avait rencontré, alors qu’il faisait fonction de conseiller diplomatique du président, la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité pour un «déjeuner d’entretien» dont rien n’a filtré, mais on devine ce que le ministre algérien a certainement évoqué à l’occasion. C’est dans ce contexte que le 18 mars 2019, le diplomate algérien a été reçu à Rome par le président du Conseil italien, Guiseppe Conte, qui a conseillé son vis-à-vis algérien «d’écouter (plutôt) les demandes de changement émanant de la société civile» et formulé le vœu que «l’Algérie soit en mesure de garantir un processus démocratique et inclusif dans le respect de son peuple et pour son propre          bénéfice…».
Le lendemain, Lamamra se trouvait à Moscou. A cette occasion, le ministre russe des Affaires étrangères, S. Lavrov, a déclaré lors d’une conférence de presse avec Lamamra : «Nous suivons avec intérêt les développements en Algérie et nous nous opposons à toute intervention extérieure dans ce pays.» Un message qui s’identifie à une sorte de «quitus» russe à un régime qui représente un pays client de premier ordre pour les équipements militaires et bientôt le blé russes. En fait, le message était destiné aux Occidentaux, notamment la France, pour éviter à la Russie de connaître le même sort que celui vécu en Libye, un autre pays jadis important et fidèle client. La déclaration russe a été critiquée par l’opinion publique algérienne, dont les manifestants qui la considéraient comme une ingérence dans les affaires internes de l’Algérie.
Le 20 mars, Lamamra a effectué une visite officielle en Allemagne. Il a alors été reçu par le conseiller en chef de la chancelière pour la sécurité et la politique extérieure et par le vice-chancelier et ministre allemand des Affaires étrangères La situation actuelle en Algérie a été passée sous silence au profit du «rôle de l’Algérie en faveur de la stabilité régionale» et la coopération bilatérale.
Certains observateurs considèrent que le choix de l’Italie et de l’Allemagne, parmi les pays membres de l’Union européenne, s’explique par le fait que ces deux pays ont été, par le récent passé, destinataires du plus grand flux de migrants vers l’Europe et que cette situation a eu un impact important sur leur situation interne et leurs relations avec les autres pays membres de l’Union. 
L’ex-ministre algérien aurait été chargé de rappeler à ses interlocuteurs le rôle joué par l’Algérie dans la stratégie d’endiguement du flux migratoire subsaharien, notamment du Sahel, et de solliciter compréhension et assistance de ces pays au régime algérien.

Par ailleurs, le risque de récupération du mouvement contestataire par le courant islamiste, qu’aurait brandi  le ministre algérien n’a pas été pris  au sérieux par ses interlocuteurs européens. 
L’Algérie est un pays pivot dans la région dont le risque de déstabilisation pourrait avoir des conséquences sur nombre de pays voisins en Afrique comme dans le monde arabe et en Europe. En ces temps d’incertitude et dans un contexte quasi insurrectionnel du peuple contre le régime, peut-on évoquer le risque d’une ingérence étrangère ?
Cette probabilité n’est jamais absente et concerne tous les pays du monde et en tout temps, y compris en temps de paix et de sérénité. Qui aurait pu imaginer que l’élection présidentielle d’une grande puissance comme les Etats-Unis serait, un jour, suspectée d’irrégularité par l’interférence — réelle ou probable — d’une autre puissance mondiale (Russie) ? Mais le risque est plus élevé en période de tension politique comme c’est le cas actuellement en Algérie. 
Le plus souvent, l’ingérence étrangère peut être une arme de propagande utilisée par les gouvernants en mal de légitimité. En Algérie, le régime de Bouteflika la présentait comme un alibi pour discréditer l’opposition accusée d’être manipulée par les «mains de l’étranger». Et pourtant, la tournée de Lamamra en Europe s’identifiait bien à une recherche de caution (ingérence ?) de l’étranger. Cette démarche a été condamnée par l’opinion publique nationale, notamment les manifestants et l’opposition dont on peut citer Benflis qui s’étonnait «de voir un régime politique qui stigmatise l’ingérence étrangère lorsque certaines voix dans le monde s’élèvent pour soutenir le droit des Algériens à manifester pacifiquement et qui prend lui-même des initiatives dans le sens de l’internationalisation de la crise lorsqu’il se sent menacé dans sa survie».
De même, l’ingérence étrangère est un moyen de dissuasion à l’égard du peuple. L’ex-Premier ministre Ouyahia évoquait le conflit syrien en rappelant qu’il a commencé par des fleurs et s’est achevé par le sang et les larmes. Ce qu’il évitait de préciser, c’est que le peuple syrien avait commencé à manifester pacifiquement contre le régime et pour la démocratie.
Son malheur a débuté lorsque ce régime a sollicité le soutien politique et l’intervention militaire de puissances régionales et internationales pour assurer sa survie. S’agissant de notre pays, est-il nécessaire de souligner que quand bien même la majorité des jeunes manifestants algériens n’ont pas connu les événements du «printemps arabe», pour craindre l’internationalisation de la crise, ils sont quand même unanimes à refuser toute forme d’ingérence étrangère. Donc, jusqu’à présent, toute comparaison avec la situation en Syrie, en Libye ou même le Venezuela est inappropriée.
Par contre, un des arguments qui pourrait être utilisé par les puissances étrangères pour justifier leur ingérence est le spectre d’une migration massive de jeunes Algériens vers la rive nord de la Méditerranée brandi par certaines figures politiques de la droite européenne. Heureusement, et à ce jour, cette probabilité est écartée considérant que ces jeunes entendent bien rester dans leur pays pour continuer à se battre pour la démocratie et le renouveau de l’Algérie.
Par ailleurs, la perspective de l’implication de l’ANP dans les opérations de maintien de l’ordre qui entraînerait l’allégement du dispositif militaire actuel aux frontières, en raison du risque d’expansion du flux migratoire subsaharien à destination du Vieux Continent, via l’Algérie, et des menaces terroristes à partir du Sahel et de la Libye est une autre source d’inquiétude des puissances étrangères, en particulier les Etats-Unis et la France. 
En effet, la situation en Libye avec le refus de l’Algérie de s’y impliquer militairement et directement comme l’avaient sollicité à plusieurs reprises les pays occidentaux, notamment la France, et le risque d’afflux importants de déplacés libyens vers la zone frontalière en l’Algérie et celui de l’infiltration en Algérie d’éléments armés extrémistes constituent véritablement un défi aux autorités du  pays actuellement préoccupées par les manifestations  en cours. 
L’autre préoccupation occidentale serait la récupération de la contestation par des forces extrémistes, notamment islamistes. Pour l’instant, cette éventualité est quasi nulle quoique des leaders de cette mouvance «essaient de surfer sur la colère des citoyens et de profiter de la crise pour reprendre du poil de la bête et s’imposer comme acteurs incontournables de la scène politique nationale» (Observalgerie du 23 mars).   Dans un cas comme dans l’autre, outre les organes officiels, les ONG, les médias, les réseaux d’internet et les services de renseignement étrangers travaillent de concert et s’attellent à positionner leurs pays pour influer sur le cours du processus révolutionnaire pacifique en cours et orienter la solution politique qui tôt ou tard verra le jour, mettant fin à la crise actuelle.
En France, les manifestations algériennes ont eu, fallait-il en douter, un impact évident tant sur la France officielle que le reste de la classe politique française, et la communauté algérienne solidaire et mobilisée pour la circonstance dans ce pays comme ailleurs en Europe occidentale. Le porte-parole du gouvernement français, cité par Le Figaro, démentait, à l’issue d’un Conseil des ministres, qu’il y ait un «malaise français» face à la situation algérienne. Le 5 mars, le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères déclarait que «c’est au peuple algérien souverain qu’il revient de s’exprimer, de choisir ses dirigeants et de décider de son avenir». Selon le Premier ministre français, Paris suivait les événements en Algérie «sans ingérence» mais «sans indifférence». Le président E. Macron avait réagi à la décision de Bouteflika de ne pas briguer de 5e mandat. Le 12 mars et à partir de Djibouti, il déclarait : «Je salue la décision du président Bouteflika qui signe une nouvelle page de l’histoire algérienne», et exprimait le souhait que la conférence nationale proposée par Bouteflika puisse se tenir «dans les prochaines semaines ou prochains mois». Et de conclure : «Nous ferons tout pour accompagner l’Algérie dans cette transition avec amitié et respect.» Ce qui lui vaudra des critiques acerbes tant de la part de la jeunesse algérienne révoltée que de la classe politique qui considèrent cette attitude comme hostile au pays. Ce qui l’a poussé à nuancer ses propos le 19 mars lors de son passage à l’émission «Grands Débats» de France Culture en répondant à son interpellation par B. Stora sur le soulèvement populaire algérien. A cet effet, il a eu recours au devoir de réserve en indiquant que toute attitude de sa part pourrait être interprétée comme une immixtion dans les affaires internes de l’Algérie, en ces termes : «mes interlocuteurs sont les dirigeants et je pense que si j’en venais à choisir mes interlocuteurs dans l’opposition ou dans la rue, d’abord je les condamnerai               au discrédit et j’ouvrirai le débat sur           l’immixtion.» Plus tard, le 2 avril, et à la suite de la démission du président Bouteflika, un communiqué du Quai d’Orsay considère que cette décision constitue «une page importante de l'histoire de l'Algérie qui se tourne et révèle la confiance des autorités françaises «dans la capacité de tous les Algériens à poursuivre cette transition démocratique dans ce même esprit de calme et de responsabilité». L’espoir de la France officielle que le régime algérien remonte la pente s’est enfin dissipé, laissant la place à la conviction que les Algériens sont capables de tracer seuls leur destin.
Par contre, de nombreux acteurs de la classe politique française et même les «gilets jaunes», avec une mention spéciale pour J.-L. Mélenchon et à l’exception des Le Pen, n’ont pas tari d’éloges à l’égard de la maturité politique, du civisme et de la non-violence des manifestations algériennes. Evidemment, l’extrême droite à tenté de ternir cette révolution en douceur en brandissant des slogans désuets comme celui d’une «prétendue déferlante migratoire algérienne». J.-M. Le Pen écrivait, dans un tweet le 9 mars : «Les évènements en Algérie laissent prévoir une déferlante migratoire colossale.»
Sa fille Marine lui emboîte le pas en prédisant «une déstabilisation de l’Algérie qui pourrait entraîner un flux migratoire considérable». Et pourtant, au grand dam de ces oiseaux de malheur, les Algériens ne sont rués, à ce jour, ni sur les visas pour la France ou ailleurs ni sur l’achat massif de devises. Mais le «torchon» brûle entre Alger –après Bouteflika — et Paris, comme le laisse penser la vive attaque du chef d’état-major algérien contre la France accusée d’ingérence. En effet, des officiers de sécurité se seraient réunis secrètement, le 30 mars, dans les environs d’Alger, avec l’ancien chef du DRS, le chef du DDS, limogé depuis par le chef d’état-major, et Saïd Bouteflika. Les intéressés ont été accusés d’avoir tenté de nuire à la stabilité du pays et à la réputation de son armée. Le 1er avril, l’ancien DRS démentait l’information. Ce fut aussi le cas de l’ambassade de France à Alger qui en a fait de même, le 8 avril 2019. Mais ces explications ne semblent pas avoir satisfait le chef d’état-major algérien qui est revenu à la charge le 10 avril à Oran.
A cette occasion, il a accusé des «parties étrangères» qui «partant de leurs antécédents historiques avec notre pays  poussent certains individus au-devant de la scène actuelle en les imposant comme représentants du peuple en vue de conduire la phase de transition». Quoiqu’il n’ait pas cité explicitement la France, l’allusion y est claire. Enfin, les autorités françaises ont compris comme un avertissement les mises en garde russes contre l’ingérence étrangère dans les affaires algériennes. Elles signifient, selon un diplomate cité par le quotidien français Le Figaro : «Nous ne voulons d’aucune interférence française dans le choix des futurs dirigeants algériens» (site Mondafrique du 6 avril 2019). C’est dire que la lutte d’influence étrangère en Algérie n’est pas une simple vue de l’esprit. Loin s’en faut… Dans le monde occidental, la position des Etats-Unis revêt toujours un poids particulier. Si durant les années du «socialisme spécifique» algérien, ce pays représentait dans le discours officiel algérien le symbole de l’impérialisme et du capitalisme mondial, depuis l’ouverture des années 1990 du siècle passé en Algérie, l’ancien «ennemi» est devenu progressivement un important partenaire politique, voire économique, dans le secteur des hydrocarbures. 
Le «gendarme» du monde ne pouvait rester insensible à ce qui se passe en Algérie, même si l’Administration américaine était satisfaite de la coopération sécuritaire avec le régime algérien considéré comme un élément très important dans la stratégie sécuritaire américaine en Afrique du Nord et au Sahel. 
Un partenaire que Washington aurait voulu voir se maintenir au pouvoir, même au prix d’importantes concessions au peuple à travers le sacrifice de certains éléments les plus représentatifs, y compris le président lui-même, considérés comme symboliques mais non indispensables au maintien du statu quo «amélioré» qui préserve ses intérêts en Algérie et dans la région. 
Dans ce contexte, la première réaction officielle américaine à la crise algérienne est venue du porte-parole de la diplomatie américaine, R. Palladino, le 12 mars, après l’annonce de Bouteflika de ne pas briguer un nouveau mandat.
Il a déclaré : «Nous soutenons les efforts en Algérie pour mettre en place un nouveau processus sur la base d’un dialogue qui respecte la volonté de tous les Algériens et leurs aspirations à un avenir pacifique et prospère.» 
Prudente, l’Administration américaine s’est, dès le début des évènements, retenue de toute manifestation de soutien, y compris nuancé, au président Bouteflika se contentant d’insister sur le «respect de la volonté de tous les Algériens», leur «droit à une élection libre» et «à manifester et exprimer librement leurs opinions».
C’est dans le même état d’esprit que ce porte-parole a réagi à la démission du président Bouteflika en soulignant que «le cadre de la future transition en Algérie après la démission de Bouteflika doit être fixé par les Algériens eux-mêmes».
Exprimée de la sorte, la réaction américaine n’a pas été considérée par les manifestants comme inamicale mais plutôt réaliste, contrairement à celle des autorités françaises, quand bien même les citoyens algériens sont «allergiques» à toute velléité d’ingérence étrangère, surtout américaine, en raison de la politique du Président Trump au Moyen-Orient, notamment envers la question palestinienne. 
Par ailleurs, et quoique que la presse américaine soit suffisamment puissante pour préserver son indépendance de l’Exécutif, son analyse et ses commentaires d’évènements internationaux comme la crise algérienne peuvent constituer un indice fiable pour «décortiquer» les non-dits sur la position de Washington. En guise d’illustration, deux quotidiens américains nous paraissent représentatifs de la perception américaine de la situation en Algérie. Il s’agit du New York Times et du Washington Post. 
Le premier a écrit dans son éditorial du 5 mars : «Les membres de la clique contrôlant l’Algérie, y compris Bouteflika, s’il est toujours lucide, ont conscience de ce qui est arrivé aux régimes voisins durant le Printemps arabe, et ce qui pourrait leur arriver s’ils refusent d’obtempérer.»  Le second, dans un premier article en date du 12 mars, estime que ce qui se passe en Algérie et au Soudan fait penser à «une deuxième vague de printemps arabe». Nous constatons que, pour les Américains, toute manifestation d’instabilité dans la région Mena est assimilée désormais à la résurgence du «fantôme» du Printemps arabe. 
Le Washington Post rappelait pourquoi le régime de Bouteflika trouvait grâce aux yeux de Washington en écrivant que «pendant des décennies, le gouvernement algérien s’est présenté comme un rempart contre les groupes islamiques radicaux en Afrique du Nord. De nombreux pays occidentaux ont fermé les yeux sur les restrictions contre la démocratie et le musellement de l’opposition parce qu’il leur paraissait comme le garant de la stabilité régionale…».
Dans un second article en date du 14 mars, ce journal mettait en garde sur les risques de la réédition en Algérie du scénario égyptien (qui a enfanté le dictateur Al Sissi). Il écrivait à ce sujet qu’«en Égypte et en Algérie, l’armée est la force la plus puissante dans les coulisses et le degré de centralisation du régime est essentiel pour comprendre la capacité de ces régimes à s’adapter et à surmonter les crises politiques». Il ajoutait que «le rôle dominant de l’armée et des élites politiques et économiques liées signifie que le ‘‘Deep State’’ (Etat profond) ne disparaîtra pas du jour au lendemain». S’agissant de l’adaptation du régime aux nouvelles donnes, le journal la considère «grande» pour conclure que le scénario égyptien est très probable à moins que, précise le journal, les manifestants n’aillent de l’avant et ne quittent pas la rue sans obtenir des résultats concrets.
Sans vouloir céder au scénario projeté par ce dernier article, il y a lieu de reconnaître que l’analyse comparative ne manque pas de réalisme quoique le rôle joué, à ce jour, par l’ANP dans le déroulement des évènements soit différent de celui joué par l’armée égyptienne en 2011-2012. Mais la prudence reste de mise tant que les revendications du peuple n’ont pas été toutes satisfaites et que la 2e République n’a pas vu le jour encore. De même, il faut garder à l’esprit que les Etats-Unis, à l’instar et plus que de nombreux pays industrialisés, disposent d’une diplomatie et de moyens d’information parallèles qui constituent un puissant levier d’influence, voire d’ingérence dans plusieurs pays dans le monde. Dans ce contexte, l’Algérie ne constitue pas une exception. De nombreuses ONG américaines exercent plus que leur mission d’assistance humanitaire ou de dispense de savoir, notamment lorsqu’il s’agit de «propager les vertus et méthodes démocratiques» à l’américaine.
C’est le cas du National Democratic Institute (NDI), affilié au Parti démocrate et soupçonné d’être une annexe de la CIA, de l’ONG Freedom House qui a recruté de nombreux «blogueurs algériens et les fait activer sur des sites de réseaux sociaux ou organisé des forums ‘’dénonçant un rétrécissement des libertés dans le pays’’ et le NED (National Endowment for Democracy) qui est très actif dans le monde pour promouvoir le ‘’modèle démocratique américain’’». 
A l’heure de la communication instantanée et de masse via les réseaux sociaux, la contestation populaire en Algérie est largement suivie et applaudie par la jeunesse arabe comme partout ailleurs dans le monde et redoutée par les régimes politiques en place. 
C’est dans les pays arabes que le fossé est le plus grand entre les autorités politiques et la jeunesse branchée sur les réseaux sociaux et subjuguée par le courage, la maturité politique et le civisme des manifestants algériens. Les autorités de ces pays restent silencieuses, à l’exception de la Tunisie et du Maroc qui ont réagi différemment, alors que la Toile grouille de commentaires de soutien de citoyens arabes, en particulier du Maroc et d’Égypte, au peuple algérien. 
Le président tunisien G. Essebsi a été l’un des premiers officiels étrangers à réagir à la contestation populaire en Algérie. Il a déclaré au Figaro lors d’un point de presse à Genève, le 24 février, que le peuple algérien est «libre de s’exprimer comme il l’entend sur sa gouvernance». Le politologue Youssef Cherif révèle que les «autorités tunisiennes considèrent l’Algérie comme une ligne rouge» et que «la dégradation de la situation en Algérie pourrait avoir un effet négatif sur l’économie tunisienne, notamment le tourisme». La Tunisie a tout à gagner à ce que la situation se stabilise vite.
Quant au Maroc, la réaction officielle est venue comme une mise au point à des informations diffusées par la presse algérienne ou étrangère sur l’attitude des autorités marocaines envers la situation en Algérie. Et c’est au ministre des Affaires étrangères qu’a été dévolue cette mission. Le 16 mars, il déclarait que «le Royaume du Maroc a décidé de s’en tenir à une attitude de non-ingérence…, et s’est abstenu de tout commentaire à ce sujet». Réagissant à un article publié par un journal électronique algérien (Algérie Patriotique, 13 mars) sur la base de «révélations d’un expert iranien» sur l’existence, au Maroc, d’une base militaire sophistiquée destinée à «provoquer le chaos (en Algérie) et d’engager la confrontation avec les forces de sécurité algériennes afin de créer les conditions favorables à la transformation du mouvement pacifique en affrontement armé», il a déclaré que «certains médias» ont «poussé le fantasme jusqu’à alléguer l’existence d’officines obscures agissant sur les événements» (à partir du Maroc). 
C’est une évidence que les autorités marocaines, à l’instar de celles d’autres pays de la région, craignent l’effet de contagion de la révolution pacifique algérienne qui a permis de débarrasser le pays d’un chef d’Etat autoritaire et réclame le départ de tout le système qui le soutenait. Le message de sympathie qu’aurait adressé le leader du mouvement de révolte populaire marocain «Hirak»  Nasser Zefzafi aux manifestants algériens est significatif de la solidarité entre les peuples. La reprise des manifestations de soutien à Zefzafi et ses trois camarades condamnés à 20 ans ferme par la justice du Makhzen est-elle une simple coïncidence ? L’avenir nous le dira. Par ailleurs, au moment            où l’Algérie connaît des difficultés,           l’armée marocaine organise, conjointement avec l’armée américaine, des manœuvres militaires destinées, selon les autorités marocaines à s’entraîner dans la lutte antiterroriste. La présence de forces américaines sur le sol marocain dans ce contexte précis n’est pas sans inquiéter les autorités militaires algériennes engagées depuis plusieurs semaines dans la conduite de la transition politique.
Un site algérien (Algérie Patriotique 8 avril) croit voir en le récent déplacement du chef d’état-major algérien dans les 2 et 3e Régions militaires pour superviser des manœuvres à balles réelles  une réponse des autorités algériennes à ce qui se déroule à la frontière occidentale. Le chef d’état-major algérien n’a de cesse de rappeler que les Algériens «sauront faire échec aux tentatives de déstabilisation venant de l’étranger».
Cependant, s’il y a bien un régime dans le monde arabe qui redoute son peuple et la contagion révolutionnaire algéro-soudanaise, c’est bien celui du maréchal-président Al Sissi, en Égypte. Tout comme Bouteflika et ses thuriféraires qui ont seriné durant 20 ans les leitmotive de «paix et sécurité», le président Al Sissi, dans une allocution télévisée, a mis en exergue la «stabilité» mise en danger, selon lui, par les manifestants en Algérie et au Soudan. «Tout cela a un prix. Le peuple, les jeunes et les générations futures paieront ce prix- là, celui de la stabilité», a-t-il averti.
Par contre sur le net, une mention spéciale est à décerner aux blogueurs égyptiens Matar Moatez et Mohamed Nasser pour ne citer qu’eux, qui soutiennent avec force et conviction le soulèvement populaire algérien comme ne pourraient le faire que des Algériens. Ils sont d’une efficacité redoutable dans leur engagement pour les peuples algérien et égyptien en lutte pour la démocratie. Contrairement à la Palestine dont les couleurs sont portées par les manifestants algériens, les Emirats arabes unis (EAU) et l’Arabie Saoudite sont vilipendés pour leur pouvoir de déstabilisation dans le monde arabe par le biais de moyens financiers considérables et leur implication dans des conflits, notamment en Syrie, au Yémen et en Libye. Ils ne souhaitent pas que ces pays tentent de jouer le même rôle en Algérie. De plus, l’émirat de Dubaï est considéré comme la «banque-refuge» de l’argent détourné par de nombreux pontes du régime algérien, faisant parfois partie du cercle rapproché de l’ex-Président algérien. 
Une analyse de la situation algérienne publiée récemment par un site spécialisé (Lobe Log) révèle que les monarchies du Golfe s’inquiètent de ce qu’elles qualifient d’«acte II du Printemps arabe» en Algérie et au Soudan notamment et qu’elles souhaitent voir échouer. La crainte majeure est la «contagion» des révolutions algérienne et soudanaise sur leurs peuples. 
La situation qui prévaut au Soudan n’est pas celle que connaît l’Algérie. L’armée a pris le pouvoir du dictateur Al Bachir privant ainsi le peuple d’une victoire qui devrait lui permettre de reprendre sa liberté de choisir librement le régime politique qui lui convient. Le cas du Soudan ne devra jamais constituer la référence pour le soulèvement pacifique en Algérie. 
Car la menace la plus importante qui pèse sur la révolte citoyenne algérienne et qui risquerait d’ouvrir la brèche à l’ingérence, voire l’intervention étrangère, serait le maintien du régime honni à travers la mise en œuvre d’une transition qui commencerait avec l’élection d’un nouveau président dans le délai court de trois mois, avec la Constitution, l’Exécutif, la loi électorale et les partis et autres clients véreux de ce régime. 
Le nouveau chef de l’Etat ou «intérimaire» a convoqué le corps électoral pour une élection présidentielle fixée au jeudi 4 juillet 2019. Est-ce raisonnable ? Est-ce possible ? Tous les doutes sont permis tant que la revendication du peuple d’un départ préalable du régime n’a pas été satisfaite.
Pour rappel, les différents appels de l’opposition à l’ANP, notamment celui du 24 mars, pour qu’elle «accompagne» le processus politique de changement ne signifient pas son implication directe dans la sphère politique. Car ce n’est ni la vocation ni la mission de l’ANP de s’occuper d’affaires politiques. Et si cette mission a fini par s’imposer momentanément à elle, c’est parce que le régime avait annihilé toute dynamique de fonctionnement démocratique des autres institutions de la République et qu’il avait «clochardisé» les partis (FLN, RND, Taj, MPA, ANR, Karama…), le syndicat officiel et nombre d’associations dont les zaouïas qui le servaient et se servaient à son ombre.  Les propositions de sortie de crise hors Constitution existent et sont nombreuses. Aux décideurs d’y répondre favorablement, après 8 semaines de protesta populaire. La répression n’est pas la solution.
La mise en œuvre de la volonté de la majorité des enfants de ce peuple magnifique irait dans l’intérêt suprême de notre pays et préserverait sa majestueuse révolution pacifique de toute déviation malheureuse. Le monde entier nous regarde avec admiration et envie, y compris dans le camp occidental. Nous pouvons réussir si nous le voulons tous, sans distinction entre civil et militaire, simplement en tant que citoyens évolués et fiers d’être algériens, pour une fois, depuis l’indépendance. Ce sera la meilleure défense contre… le risque d’ingérence étrangère et l’opportunité historique pour l’éclosion d’un véritable printemps authentiquement algérien.
M. Z.

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