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Le dernier tour de manivelle

Par Boualem Aissaoui
Dans cet immense et merveilleux décor naturel qui accueille le dernier plateau de tournage d’une production cinématographique très attendue par les critiques pour les raisons que le développement de cette continuité littéraire laissera peut-être entrevoir par moments, toutes les équipes sont en place, à l’heure et à l’endroit précis, selon les instructions de la feuille de service distribuée la veille par le deuxième assistant réalisateur, à l’exception du metteur en scène retenu à la dernière minute dans sa chambre d’hôtel pour une réunion d’urgence avec son scénariste.
Le film, un mélange de fiction et de réalité, met en scène une famille aux apparences paisibles mais au pouvoir redoutable, qualifiée à voix basse, en raison de la peur qu’elle inspire, de véritable clan où les liens de sang et des intérêts puissants s’enchevêtrent à l’infini, ajoutés à des mœurs et à des pratiques qui feraient les beaux jours d’une série noire qui étalerait d’un épisode à un autre  des scandales à répétition.
Cette famille qui règne sans partage depuis des décennies sur les hommes, les richesses du sol et du sous-sol va cependant connaître un sort funeste et vite se désintégrer lorsque la maladie du patriarche autour duquel elle a vécu et prospéré entrera dans une phase irréversible, malgré les soins de dernière génération prodigués par les plus hautes sommités médicales mondiales et le recours intensif aux recettes traditionnelles les plus osées.
Que de fois avait-on cru que la dernière heure du patriarche était venue et le signal aussitôt donné pour la préparation d’obsèques dignes de son rang avant d’être rapidement annulé, au grand bonheur des gens de la cour qui n’ont cessé depuis d’implorer jour et nuit le Maître de l’Univers de différer d’au moins un an le rappel de son sujet, pour avoir sans doute le temps de se préparer à sa disparition. 
Il faut dire que notre patriarche, dont la générosité n’avait pas de limites avec les siens, s’était taillé dans le roc un statut de gouverneur sans rival et sans partage à la tête de ce pays méditerranéen au passé plusieurs fois millénaire et au territoire si vaste qu’il avalerait jusqu’à cinq fois au moins la superficie de la puissance coloniale dont il s’était libéré au terme d’un combat de légende, qu’il était habité depuis longtemps par une très haute idée de son propre personnage, jusqu’à espérer pouvoir commander à vie et mourir sur le trône. 
Sans doute pour être assuré de bénéficier d’obsèques nationales qui mettraient en grand nombre le peuple dans la rue pour saluer son cortège funèbre que sa famille et ses proches ont déjà juré qu’il sera tout naturellement plus imposant que les funérailles de ses prédécesseurs, sauf si un évènement inattendu de la force d’un raz-de- marée venait à frapper aux portes du palais. 
Le patriarche n’en pouvait plus d’attendre sa dernière heure… Puisant dans ce qui lui restait de ressources physiques et de parcelles de lucidité pour se prêter, le temps d’une image, à la mise en scène d’une apparition publique destinée selon les calculs de son conseiller spécial à entretenir l’illusion de sa présence personnelle aux commandes des affaires de la cité, craignant par-dessus tout qu’un nouvel accident cérébral, que les brochures médicales qualifient à juste titre de «tueur silencieux», ne vienne le surprendre dans ses rares audiences ou tout simplement dans son long sommeil, il caressa en secret l’idée de demander aux électeurs de le libérer à l’amiable, pourrait-on dire, du mandat dans lequel il s’était installé de gré ou de force il y a bien longtemps maintenant, sans que l’on sache vraiment si ses intentions étaient sincères ou si elles procédaient encore une fois du registre des manœuvres qu’il manipule avec délectation depuis ses premiers contacts avec le pouvoir. Lorsqu’il se résigna enfin à aborder le sujet, avec pourtant maintes délicatesses avec les collaborateurs les plus proches avec lesquels il partage une enfance ou un parcours au long cours, son projet était aussitôt écarté dans un florilège de louanges à la gloire de sa grandeur inégalée dans l’histoire contemporaine de la cité, au grand bonheur de sa famille rassurée ainsi dans son rejet de l’étonnante proposition de son patriarche. Embrassant sa photo officielle à défaut de pouvoir l’approcher selon les consignes strictes de son protocole et notamment de son conseiller spécial omniprésent sur scène et derrière le rideau, tous pressaient jusqu’aux larmes le patriarche de poursuivre la réalisation de son auguste programme dont personne n’a osé à ce jour prédire l’achèvement, sauf à prendre le risque, qui peut s’avérer coûteux en termes de carrière, de prescrire une date limite à une «présidence à vie» qui ne dit pas son nom, même si celle-ci donne apparemment tous les signes d’une fin prochaine.
Lorsqu’après de laborieux préparatifs il était mis enfin au contact de la population mais à une distance suffisamment respectable pour éviter que les traits de son visage n’alimentent davantage de commentaires désastreux sur les réseaux sociaux, et qu’il se hasardait à exposer sa demande d’une voix à peine audible, un lourd silence s’installait aussitôt dans l’assistance sans que l’on soupçonne un seul instant si celle-ci était prise au dépourvu par une démarche à laquelle elle n’était nullement préparée, ou si son mutisme cachait d’insondables calculs dont les peuples savent si patiemment cultiver le secret, l’horloge qui règle leur rapport à la vie et au pouvoir  n’étant pas forcément, notamment dans ce cas de figure, celle des gouvernants. 
Il avait beau mettre en avant son âge qui n’est plus celui que les images d’archives donnent à voir à l’occasion de rétrospectives, sa santé forcément fragilisée, les exigences physiques et morales de plus en plus fortes de la fonction suprême à laquelle il s’est fait réélire plus d’une fois en tordant, ce qu’il ne dit pas, le cou à la Constitution qu’il avait juré pourtant d’en respecter la lettre et l’esprit, rien, absolument rien n’avait réussi à défaire de sa posture muette  la population de ce territoire ancestral dont les murs racontent une histoire faite de luttes maintes fois recommencées contre l’injustice, l’oppression et l’obscurantisme, dans un monde où les forces du mal redoublent chaque jour de férocité pour assoir par la menace, la manipulation, le terrorisme et la guerre leur domination des esprits et la conquête de nouveaux espaces terrestres et lunaires, sans crainte d’allumer un jour, à force de nourrir le feu, un brasier apocalyptique qui emporterait la planète tout  entière.
Mais pourquoi donc cette population, au bonheur de laquelle il travaille depuis sa prime jeunesse, comme il se plaît à rappeler à ses visiteurs, lui refuserait-elle une demande somme toute légitime sur le plan humanitaire, et hautement responsable du point de vue de la bonne gouvernance qui a bien besoin de sang neuf, comme il l’avait lui-même proclamé publiquement dans un célèbre discours ?
Au moment où il se posait une nouvelle fois cette question existentielle à laquelle il ne trouvait toujours pas de réponse, dans certaines parties de la planète, des rois avaient abdiqué dans le faste sans qu’aucune force ni intérieure ni extérieure ne les y contraigne au profit de successeurs longtemps préparés à la tâche, des empereurs célébrés et adorés durant des décennies comme des divinités, par définition immuables, avaient annoncé,  sourire aux lèvres, à leurs sujets et au monde entier la fin prochaine de leur règne et donc la prochaine consécration de leur descendance directe à la tête de l’empire, devenue depuis une réalité, des présidents d’Etats républicains, naguère monarchistes et coloniaux, s’étaient passés solennellement les clés du pouvoir dans le respect d’une Constitution souveraine et dans la transparence indiscutable des urnes.
Faut-il rappeler également, qu’un dirigeant d’un parti-Etat pur et dur d’une ile de légende dont le peuple ne cesse de résister à un blocus affameur et criminel s’était invité, la tête haute, au podium de l’alternance, en rendant public son retrait volontaire de ses hautes fonctions bien avant la fin de son mandat, assuré et rassuré sans doute par la solidité et la qualité de sa relève qui s’est déroulée depuis dans un savant mélange de continuité et de prédisposition sincère à une nouvelle gouvernance.
Sans se soucier des effets en temps réel de ces évènements porteurs de bien d’enseignements sur une opinion publique attentive, quoi que l’on dise, aux questions de pouvoir, quels que soient les scénarios qui peuvent être imaginés pour l’en détourner, la démarche du personnage principal de notre fiction, qui avait réussi à placer en mode silencieux pendant longtemps ceux qui s’étaient précipités à convoquer des articles constitutionnels et parfois même à appeler à une course de chars pour tenter de raccourcir son mandat au motif que l’on sait, restait bien singulière au regard de ce l’on sait de son addiction au pouvoir, de préférence dans sa version absolue. 
Pendant qu’une armée de conseillers s’emploie sur la base d’indices récoltés auprès des différentes couches de la population à analyser les raisons de l’entêtement de celle-ci à refuser de donner satisfaction au chef de la communauté et à le libérer de ses fonctions pour les raisons humanitaires qu’il invoque maintenant, à observer de près l’actualité qui défile dans les journaux télévisés publics et privés aux heures de grande écoute, la vie quotidienne suivait paisiblement son cours, pourrait-on dire, alimentant les discours arrogants d’une multitude de courtisans toujours prompts à vanter à la face du moindre contestataire  les grandes réalisations de leur patriarche bien-aimé dont les jours, sans ingérence aucune dans les affaires intérieures bien gardées du Tout-Puissant, sont bel et bien comptés à voir simplement l’image qu’il renvoie de son état physique et mental malgré les maquillages sophistiqués et les mises en scène souvent grossières que le premier observateur du coin n’a aucune peine à démonter dès le premier regard.
L’administration courante, grande consommatrice de documents d’état civil établis si possible en plusieurs exemplaires, fonctionne, c’est vrai, jusqu’à une heure tardive de la soirée, au grand bonheur du citoyen qui, de retour chez lui après une journée de travail, passe souvent, l’air parfaitement détendu, au guichet de la mairie la plus proche pour se faire délivrer, parfois par «anticipation», une pièce susceptible de lui être exigée dans un prochain dossier, retirer un document de voyage ou une pièce d’identité établis maintenant en un temps record, grâce aux vertus de la biométrie. Cela suffit-il pour dissimuler les pesanteurs bureaucratiques et effacer les graves soupçons de corruption qui gangrènent depuis des décennies plusieurs étages de l’administration publique ?
Les écoles, les collèges, les lycées, les centres de formation, les universités fourmillent, certes, de citoyens de demain longtemps malmenés par les adorateurs de l’âge de la pierre à l’état brut, qui ont défiguré par des coulées le sang, des coups de massue et des destructions massives l’image de l’homme, des religions et de la civilisation humaine tout court. Les contenus des programmes de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, la formation des formateurs qui les dispensent préparent-ils pour autant la nouvelle génération à la maîtrise des défis et des enjeux du monde moderne et les préservent-ils définitivement de l’idéologie des ténèbres ? Des logements sont distribués à tour de bras dans des cérémonies qui rappellent la remise des prix scolaires d’antan en grand format, sous les youyous des bénéficiaires qui implorent, dans un élan de solidarité, face aux caméras, le Maître de l’Univers et les autorités locales de «servir», à bref délai, leurs voisins d’hier qui n’ont pas eu le bonheur de partager à leurs côtés la joie de serrer enfin dans le creux de leur main les clés d’un nouveau toit.
Ces constructions en masse sont-elles durables et respectent-elles dans leur conception et leur réalisation les symboles de l’architecture locale et les valeurs du vivre-ensemble avec tous les espaces et les services qui favorisent le bien-être du citoyen ? Ces barres d’immeubles qui s’élèvent au milieu des champs n’ont-elles pas sacrifié des étendues de terres agricoles fertiles au profit du béton dans une fuite en avant tendue par des calculs électoralistes et la quête au pas de course d’une paix sociale à tout prix ? Et si on s’attarde un peu devant son poste de télévision, on saura pêle-mêle que «l’arrivée du gaz» dans certaines régions du territoire est célébrée au son de la ghaïta, alors que le raccordement tardif des ménages à la flamme du progrès dans un pays gazier et de surcroît exportateur ne devrait pas inspirer des airs de fête mais bien de l’humilité face à des populations longtemps marginalisées qui ont souvent souffert le martyre durant les périodes rouges et noires traversées par le pays. 
Des usines privées de «montage automobile» «fabriquent», avant que l’arnaque à grande échelle ne soit débusquée, des voitures de marques internationales avec l’argent du contribuable. Leurs leaders qui ne sont pas connus pour la plupart d’entre eux  comme des ingénieurs de formation en la matière ou dans l’industrie la plus proche s’étant par ailleurs très vite enrichis à la fois du côté de l’Etat qui n’a pas été apparemment avare en facilités troublantes à leur égard, que du côté du citoyen en puisant jusqu’au fond de ses poches pour satisfaire à des marges bénéficiaires exorbitantes sur la vente des produits mis sur le marché.
Dans le registre des évènements culturels, à côté d’activités épisodiques où l’état des lieux du livre, de la musique, du cinéma, des arts plastiques, du théâtre  invite à la mise en place en urgence de programmes structurants et de mesures incitatives en rapport avec la grandeur du pays et les ambitions légitimes d’une nouvelle génération de créateurs ; des cérémonies officielles de faux premiers tours de manivelle de films destinées sans doute à forcer la main à des calendriers budgétaires à quelques heures de leur clôture au profit de proches ont occupé parfois le devant de la scène, alimentant de gros soupçons de favoritisme. 
Ces pratiques douteuses s’ajoutent à des actes de censure qui perdurent sous différents visages, accompagnés d’un double discours qui appelle, dans une langue taillée dans un bois de piètre qualité, à l’austérité et justifie, sans vergogne, au même moment, le recours à des interprètes et à des prestations techniques sur le marché extérieur, pour la réalisation sur fonds publics et en devises fortes de telle ou telle production cinématographique au détriment des ressources et des compétences locales, même lorsque le propos participe de l’intimité et de l’âme de notre patrimoine historique. 
Dans le chapitre des infrastructures de base, des autoroutes qui ont coûté des sommes colossales au Trésor public, ce qui a déclenché de légitimes enquêtes, ont reconfiguré, certes, la carte topographique du territoire et remodelé la sociologie de la population rurale et urbaine, rapprochant les gens et facilitant les échanges. Mais à quel prix ? Le contribuable est-il toujours condamné à payer chèrement le coût d’un ouvrage et davantage son surcoût, pour être autorisé à emprunter la route du progrès ?
Pour celui qui se lève tôt, cette population qui presse le pas aux aurores pour rejoindre son poste de travail, ces trains, ces bus, ces tramways et ces voitures de métro qui ont transformé la vie quotidienne des gens dans les grandes villes en y introduisant plus de confort, s’ils sont révélateurs d’une société qui avance, ne peuvent masquer en aucun cas les déficits chroniques qui impactent lourdement le progrès économique et social, le bien-être du citoyen sur l’ensemble du territoire. 
Dans de nombreuses régions, y compris sahariennes, des terres étalent leurs richesses à perte de vue apportant un cinglant démenti à ceux qui avaient douté de leur fécondité et oublié que c’est bien la terre, la reconquête de la terre avec toutes les valeurs qui s’y attachent, qui avait symbolisé hier la lutte pour l’indépendance. 
La terre nourricière a-t-elle été pour autant préservée au-delà du béton qui l’a défigurée en divers endroits, des prédateurs et des contrebandiers en costume-cravate qui ont détourné de leur destination première des aides publiques colossales pour s’assurer, dans la plus haute des trahisons, une retraite au-delà des mers et des frontières, le plus souvent aux côtés de ceux qui vouent depuis toujours une hostilité historique apparente ou déguisée au pays qui les a vu naître, mais devant lequel ils devront tôt ou tard répondre de leurs actes ? 
Et ces jeunes anonymes qui font dans la maîtrise en temps réel des technologies nouvelles, qui investissent dans l’innovation et l’invention, cette nouvelle génération de managers et de fonctionnaires hommes et femmes qui gèrent d’immenses régions, des entreprises complexes et des services de plus en plus exigeants, ces auteurs et ces artistes qui proposent des pistes inexplorées où la fraîcheur n’enlève en rien au rapport identitaire, ces journalistes qui savent que l’indépendance de leur publication repose avant tout sur leur capacité à assurer son existence et son développement par les propres ressources de sa vente, tous ces acteurs et bien d’autres qui façonnent la vie quotidienne n’apportent-ils pas la preuve que les temps ont bien changé, que l’immobilisme est de plus en plus le statut le moins partagé et que le passage à un autre mode de gouvernance a bel et bien sonné aux portes du grand palais ?Il n’y a pas que cela… Dans un contexte intérieur où l’aspiration à une gouvernance en bonne santé physique et morale, juste, démocratique et moderne peut mettre des millions de gens dans la rue ; les images fortes où l’élégance et la puissance font corps que donne à voir la télévision publique de la modernisation et des capacités des forces armées à faire face aux dangers, les performances des services de sécurité qui nourriraient bien un jour des scénarios de grands films d’intelligence et d’action sont fort heureusement, dans un territoire exposé depuis l’Antiquité aux risques extérieurs, autant une source de fierté nationale qu’un facteur de dissuasion face à ceux, proches ou lointains, dissimulés ou apparents, qui seraient tentés de passer de la provocation à l’acte hostile.
Sauf s’il s’agit d’une volonté non déclarée de retarder l’échéance ou de faire regretter le changement attendu, pourquoi donc chaque fois qu’il est question du pouvoir du moment, de son départ légal ou contraint, doit-on glorifier le bilan des réalisations matérielles et les inscrire à l’actif d’un seul homme comme autant de «faveurs» faites à «son peuple», en décrétant le silence sur les taches noires de sa gouvernance ? Quitter le pouvoir de sa propre volonté, de surcroît avec l’accord de la population,si celle-ci accède enfin à sa demande, comme le suggère notre récit imaginaire qui, avouons-le, se déleste de plus en plus des attributs d’une fiction, est-ce un signe de grandeur ou une marque de désaveu pour un gouvernant ? Dans tous les cas, le tableau des réalisations accomplies dans divers secteurs qui ont coûté des sommes colossales au Trésor public et enrichi corrupteurs et corrompus, à l’ombre du programme interminable d’un homme qui s’est accommodé d’un mélange à grande échelle de l’argent et de la politique dans le désir de conserver son trône jusqu’à sa mort, ne peut cacher, n’en déplaise aux courtisans qui rivalisent d’éloges à la gloire éternelle de leur maître associé ni plus ni moins à un messager de Dieu, des insuffisances, des erreurs et des délits, ni occulter les questions de gouvernance dont la conduite aurait dû accorder les règles d’un Etat de droit aux attentes légitimes des citoyens, au sommet desquelles s’inscrit en lettres majuscules l’exigence de dignité qui doit lui être due, en tous lieux et en toutes circonstances. Si le passage du pouvoir d’une génération à une autre suppose l’avènement d’une classe politique patriote, active et visionnaire à laquelle on aura donné, par la consultation permanente et le dialogue, les moyens de se préparer à la relève au lieu de chercher sans cesse à la détruire de l’intérieur et de l’extérieur, de nombreuses voix invitent à réformer en profondeur le système en place, à assainir la vie politique, économique et sociale, à éloigner l’argent des centres de gouvernement où il devrait être interdit de circuler, à conduire une lutte sans merci contre les corrompus et les corrupteurs qui gangrènent la société de l’intérieur et en donnent une affreuse image à l’extérieur, quels que soient leurs rangs et où qu’ils soient, à bannir le népotisme et le régionalisme dans l’accession aux postes de commandement des administrations et des entreprises, à s’imposer un code de l’honneur et de la dignité dans les nominations et les limogeages à tous les niveaux de responsabilité.
Comme elles appellent à lutter contre les inégalités et le gaspillage dans les institutions et les ménages, à promouvoir la vie associative où se construit et se développe la citoyenneté, à élever sans cesse la qualité des enseignements et de la formation, à soutenir davantage les projets de création culturelle et artistique structurants, à inscrire la mise en valeur, la protection et la promotion du patrimoine culturel historique matériel et immatériel au rang d’un programme spécial, à créer une académie des arts qui ne serait pas réduite à délivrer pompeusement des cartes professionnelles, à asseoir la primauté de la force du droit dans tous les domaines, à offrir à la jeunesse des projets et des chantiers porteurs d’ambitions dans lesquelles elle se reconnaît, à faire de la puissance publique une autorité juste, forte et exemplaire en garantissant en toutes circonstances et en tous lieux les libertés individuelles et d’expression dans le strict respect de la Constitution. Mais pourquoi donc la réalité devrait-elle nous extraire brutalement de l’imaginaire et nous ramener vers les choses d’ici-bas, chaque fois que nous empruntons les allées de la fiction pour tenter d’échapper à son emprise en s’essayant, l’esprit vagabond, à la construction d’une cité idéale ? Alors qu’il s’agit dans cette histoire du destin d’une communauté connue pour avoir de tout temps résisté à toutes les formes de domination et d’asservissement, et de sa relation avec un homme qui s’est renouvelé plus d’une fois à son poste de gouverneur et qui sollicite soudainement cette fois-ci ses suffrages pour se retirer des affaires de la cité, on serait tenté de croire, compte tenu de ce que l’on sait du personnage qui a élevé la ruse et la manipulation au rang d’un système de gouvernance, que tout cela est de la pure mise en scène, convoquée pour appeler en fait à un «dernier mandat».
En effet, interprétant le silence de la population comme un consentement à son renouvellement une fois de plus au poste qu’il occupe depuis bientôt deux décennies, malgré le poids des ans et les dégâts apparents du mal qui l’a foudroyé il y a plusieurs années de cela, il laissa, sous la houlette de son conseiller spécial, qui gouverne, dit-on, en son nom derrière les portes et les rideaux du palais, une armée de courtisans appeler à un nouveau mandat, avant de sous-traiter le dépôt officiel de sa candidature, tordant, encore une fois, le cou aux textes constitutionnels .
 A cet instant précis, comme si elle répondait à un ordre de mobilisation générale, s’élevant contre la suprême humiliation qui venait de lui être faite par un gouverneur qui avait perdu l’usage de la parole, la mobilité de son corps et probablement une grande partie de sa lucidité depuis plus de cinq ans et qui persistait à s’enraciner au pouvoir au détriment de l’intérêt national et international du pays, portée par une force qui avait grossi dans le silence des années durant, la population tout entière brandissant bien haut l’emblème national, prit possession des grandes places et des artères principales de la cité exigeant sa destitution immédiate et la mise hors d’état de nuire de son clan… Tous les évènements qui ont suivi l’irruption de ce mouvement populaire, dont le civisme et la détermination ont rayonné bien au-delà des frontières, ont concouru, semaine après semaine, à consolider l’aspiration à l’avènement d’une nouvelle République où nul autocrate ne pourra plus sévir, où le droit, la justice, les libertés démocratiques, la compétence et l’intégrité seront seuls au pouvoir, où l’armée au palmarès glorieux et le peuple qui a démontré une fois encore que son silence à certaines étapes de son existence ne doit en aucun cas être interprété comme une résignation ou une marque d’allégeance aveugle au maître du moment  feront toujours corps lorsque les idéaux qui ont conduit à la libération et à l’indépendance de la nation viendraient à être menacés par ceux-là mêmes qui ont le devoir de les défendre. Tous ces évènements, dont la ressemblance avec des faits et des situations réellement survenus n’est nullement fortuite, ont interpellé le metteur en scène et le scénariste qui n’avaient pas prévu que de tels bouleversements viendraient remettre en cause la dernière séquence où, selon leur script, le patriarche, usé par le pouvoir et la maladie, devait finalement renoncer à se présenter à un nouveau mandat. 
Le « dernier tour de manivelle » qui est lui aussi une pure invention, puisqu’il n’existe nulle part dans le lexique cinématographique, était reporté, séance tenante, à une date ultérieure, plus précisément jusqu’à la réécriture de la dernière partie du film.
B. A.

 

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