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C’ÉTAIT LE VENDREDI 13 SEPTEMBRE 1957 Les héros de Bouhandès

Par Mohamed Rebah
Vendredi 13 septembre 1957, à l’aube, à Bouhandès, à quelques kilomètres au sud-ouest de Chréa, dans le massif blidéen, les moudjahidine des commandos des zones 1 et 2 de la wilaya 4 de l’Armée de libération nationale (ALN) unissaient leurs efforts pour livrer à un ennemi fort de l’appui de l’Otan, en matériels et en techniciens, un combat héroïque, luttant pied à pied jusqu’au bout. 

Le douar Bouhandès était jusque-là peu connu. «Nous ne connaissions pas les lieux. Nous traversions la zone pour la première fois», dira un survivant. C’est ce douar que les responsables de la wilaya 4 ont choisi pour y faire converger des sections des commandos des zones 1 et 2 composés majoritairement d’étudiants et de lycéens qui, eux-mêmes, étaient assimilés dans les rangs de l’ALN à des «étudiants». 
Noureddine Rebah, étudiant à l’Université d’Alger, en faisait partie. Avec son groupe, ils étaient arrivés la veille au soir à Bouhandès, douar accroché au flanc sud du djebel Béni Salah qui fait comme une sorte de mur d’une hauteur de 900 mètres, face au santon Lalla M’sennou, élevé sur un monticule des Béni Messaoud. Ils venaient de Tiberguent, hameau perché sur le djebel Béni Messaoud, où ils avaient passé la journée du 12 septembre. Partis de l’ouest de l’Atlas blidéen, où ils avaient franchi le col de Mouzaïa, traversé la coupure de La Chiffa et pris, à partir de Camp des Chênes, un sentier muletier à travers la forêt de Takitount.
Alors qu’il se trouvait dans le refuge à Tiberguent, dans la partie supérieure de la vallée encaissée de l’oued Djir, boisée de chênes et de pins, fortuitement, Nour Eddine vit venir Hamid Allouache, son compagnon d’armes des maquis de l’Arba et de l’Ouarsenis. De passage dans la contrée, Hamid Allouache eut la surprise de le trouver au commando. «Omar Oussedik m’a proposé de suivre des études à l’Académie militaire de Baghdad, j’ai refusé d’y aller. J’ai demandé à intégrer le commando de la zone où je me sens en sécurité», lui expliqua Nour Eddine. «Je me trouve à l’aise parmi les jeunes lycéens et collégiens et d’autres jeunes qui n’eurent pas la chance d’apprendre à lire et à écrire. Tu vois devant toi ces jeunes paysans analphabètes, ils sont tellement conscients de l’enjeu, qu’ils ont un moral à toute épreuve», lui dit-il. Nour Eddine lui parla, avec beaucoup de fierté, de la dernière opération à laquelle il a participé. C’était le 3 septembre 1957, par une matinée brumeuse. Les paras croyaient surprendre le commando, mais la riposte fut telle que six appareils d’aviation ont été détruits : un hélicoptère Sikorski, un piper club, deux Morane et deux T6. L’ennemi abandonna le combat, emportant ses nombreux blessés et laissant sur le terrain ses morts dont un colonel. Nour Eddine parla aussi d’un autre accrochage, intervenu à Hannacha, juste avant la traversée de la route Berrouaghia-Médéa, qui s’est soldé par de lourdes pertes en hommes et en matériel dans le camp français.
Avant de quitter Tiberguent, dans la nuit, Nour Eddine prit avec son groupe une photo-souvenir qui s’avèrera être la dernière. 
Arrivée à Bouhandès, sa section fit la jonction avec l’autre section du commando de la zone 2, qui était sur les lieux depuis le jeudi matin. Elle avait pris le départ de Hayouna, un hameau du douar Bouhelal, perché au sud de Gouraya, sillonna le djebel Tamezguida, traversa de nuit la route de La Chiffa, dans la superbe et magnifique contrée de Tazerdjount, riche en eau, puis fit une halte autour du douar de Sidi Fodil, au milieu des chênes-lièges. Un douar, situé au nord-ouest de Bouhandès, où une SAS (Section administrative spécialisée), chargée de surveiller les mouvements de la population, était en place depuis plusieurs mois.
Regroupés dans la vallée d’oued Merdja, les commandos des zones 
1 et 2 de la wilaya 4, venus l’un de l’est, l’autre de l’ouest, devaient récupérer des fatigues de leur marche, longue et pénible, entrecoupée d’accrochages avec l’ennemi. Mais, dans la nuit de jeudi à vendredi, les sentinelles, postées par le chef des renseignements et liaisons du secteur, observèrent un mouvement de troupes ennemies sur les crêtes du djebel Béni Salah. Des blindés tous feux éteints étaient passés par le chemin qui monte de Camp des Chênes vers koudiat Lalla M’sennou (1 065 m.), au sud de la vallée d’oued Merdja. Les sentinelles en informèrent aussitôt le lieutenant-militaire Ould Terki/ Si Tewfik. L’ennemi observait le mouvement des maquisards depuis la nuit, à partir de Djamaâ Draâ et du pic Abdelkader, point culminant de la montagne de Blida, qui domine oued Merdja de toute sa hauteur (1 629 m). Il avait mis en place un dispositif de bouclage comprenant d’importantes forces. Les éléments de la compagnie de marche du 65e régiment de Chréa avaient reçu en renfort les soldats de la zone du sud-algérois : les parachutistes coloniaux du 6e RPC, commandé par le colonel J. Romain-Desfosses, les tirailleurs algériens du 9e BTA et les fantassins du 6e Régiment d’infanterie.
Installé en force depuis deux mois dans le massif de Blida, le 6e RPC connaissait le terrain. Il engagea dans le bouclage de la zone quatre compagnies : la première à Amchach en haut de la vallée, la deuxième, au nord de Bouhandès, les deux autres sur les monticules qui séparent les Béni Salah des Béni Messaoud.
Le général Massu tint à superviser personnellement l’opération. Il semblait bien renseigné. La harka de Chréa avait «bien» accompli la tâche qu’il lui avait définie.
Le vendredi 13 septembre, au petit matin, l’armée française mit en action son dispositif infernal contre la vallée. Nour Eddine et les autres voltigeurs de sa section, armés de fusils MAS 49, reçurent l’ordre de faire une percée dans le filet tendu par l’ennemi. Ils tentèrent une brèche par le nord-ouest de Bouhandès, du côté de l’ancienne Redoute, dans le massif Guerroumène dont la crête était tenue par les parachutistes du général Massu. La pente était dure à escalader. Les tirs des avions B-26 bloquèrent les voltigeurs dans leur ascension le long d’oued Er-Rha, qui rejoint oued Merdja au pied de la montagne.
Les avions se mirent à larguer des fûts de napalm pour barrer les issues. En face du pic, du haut de koudiet Lalla M’sennou, à partir du chaînon qui forme la limite entre les Béni Salah et les Béni Messaoud, les chars lancèrent leurs obus sur les douars d’Amchach et de Bouhandès.
L’encerclement ne fut rompu, le soir, qu’au prix de lourdes pertes. Dans cette bataille à armes inégales, des hommes de qualité, ayant fait leurs preuves au combat, laissèrent la vie. Parmi eux, Nour Eddine, âgé de 25 ans. Aux premières heures du violent affrontement, il fut grièvement blessé à l’abdomen et ne put être secouru. La nouvelle de la mort de Nour Eddine fit le tour du maquis. Ses compagnons d’armes, sortis miraculeusement vivants de la vallée infernale, n’avaient pas oublié ce robuste jeune homme, à la haute stature culturelle, aux qualités humaines forçant le respect. Ils se souvenaient aussi de ses solides convictions politiques. Parmi ceux qui sont tombés au champ d’honneur avec lui, ce  jour-là : Ould Terki Ahmed, dit Si Tewfik, lieutenant de la zone 2 de la wilaya 4, étudiant (28 ans) ; Chebout Mokhtar, lycéen (20 ans) ; Ramdane, fellah, Sellam, lycéen, Moha dit Moha Chebli. C’est Ould Terki Ahmed, dit Si Tewfik, en sa qualité de chef militaire de la zone 2, qui a dirigé le combat des deux commandos vendredi 13 septembre. 
M. R.

(Extrait du livre Des Chemins et des Hommes).

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