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Rubrique Contribution

Pour une Constitution, poème du peuple souverain

Par Ali Akika, cinéaste
Pour Aristote, la poésie est le reflet du réel et le politique l’art suprême. Il y a là une vision du monde dont on devrait s’inspirer. Besoin d’un poète qui mette des mots sur le réel pour accoucher d’une Loi fondamentale qui deviendrait un trésor inaliénable. Un trésor où un peuple écrit ses légendes qui se nourrissent de son histoire et de sa culture. Besoin du politique auréolé de la légitimité du peuple qui donne la capacité de répondre au droit à la citoyenneté, une citoyenneté protectrice d’une Constitution appelée joliment poème du peuple souverain. Ainsi, la Loi fondamentale ne serait plus une affaire de juristes puisque le juridique n’est, après tout, qu’une technique qui a toujours obéi à un ordre supérieur, celui des «divinités» ou bien celui de la force organisée et symbolisée par l’Etat. Ce dernier, produit de l’histoire et des rapports de force politiques, avait l’habitude de prendre des décisions brutales et les appliquer d’une façon tout aussi violente. Au fil du temps, il a dû céder du terrain pour bénéficier de la légitimité d’user de la force dans le maintien de l’ordre.(1) Et cette légitimité aujourd’hui, après tant de guerres et de révolutions, est en principe une affaire du seul peuple et non d’un pharaon qui dicte ses volontés à un scribe chargé de les diffuser à ses ouailles. Dans notre cher et immense pays, les mots précieux d’un Aristote, ni la rudesse enjolivée de ceux d’un Weber, n’ont encore rendu visite à nous peuple qui rêvons de devenir maîtres de notre destin. 
A l’heure de l’internet, gratis et simple d’utilisation, on continue de cultiver l’entre-soi, en diffusant mesquinement une mouture d’un projet de Constitution. Je ne résiste pas au plaisir d’écorcher et me moquer de cette culture de l’entre-soi en racontant une anecdote. Ça s’est passé au Festival de Cannes durant «l’Année de l’Algérie en France». Comme on le sait, tout le monde organise des fêtes durant ce festival pour mettre en lumière les films du pays que l’on représente. L’Algérie fit de même et «notre» génie habituel d’organisation a divisé la salle des fêtes en un coin pour VIP (very important personality) et le reste pour les simples invités qui se déchaînaient sur la piste de danse. Peu à peu, les VIP désertèrent leur coin pour rejoindre là où il y avait la vie, et suivez mon regard, là où le réel cher à Aristote s’exprimait à travers la poésie des corps de jeunes gens ivres de joie de vivre. Notre organisateur se retrouva seul et connut, ce jour-là, la plus haute des solitudes en regardant La fureur de vivre(2) d’une foule joyeuse se déhanchant sur la piste de danse... Ainsi, 57 ans après la première Constitution votée dans un cinéma, on nous propose encore de «discuter» pour la énième fois d’un texte concocté dans le plus grand secret par une escouade d’experts pour impressionner les gens. Mais c’est depuis 57 ans que l’eau coule dans les fleuves et rivières du pays. 
Un peuple que l’on ne peut plus impressionner, un peuple qui a libéré le pays en 1962 et qui, rebelote, un certain 22 février 2019, s’est soulevé pour mettre un terme au macabre scénario d’un pharoun qui disait en parlant de son peuple : «Je partirai en les laissant à leur médiocrité.» Discuter de quoi ? D’une mouture de rédacteurs qui, en dépit de leur ardeur durant des nuits supposées blanches, ont accouché d’un texte truffé de références mimétiques à trois pays. Que diable, «l’élite» en place, pourquoi n’arrive-t-elle pas à échapper au mimétisme des idées nées ailleurs au lieu de les digérer pour mieux, si besoin, enrichir notre culture. On le voit ici avec cette mouture proposée, on l’a vu hier avec les constitutionnalistes qui voulaient appliquer une Constitution jamais appliquée par ceux qui devaient le faire. Et nos juristes, en persistant à voir le salut dans ladite Constitution, s’enfonçaient dans l’erreur alors que la colère grondait depuis le 22 février 2019. Étudier, apprendre les leçons de l’étranger n’est ni honteux ni imbécile. C’est le chemin emprunté par les scientifiques et les penseurs dont les échanges entre eux ont fait faire des bonds à l’Humanité.
Chez nous, nous avons l’exemple de Kateb Yacine, lecteur de Gérard de Nerval et de William Faulkner. La virtuosité de son verbe, semblable à celui des deux écrivains cités, lui a permis de chanter l’âme algérienne dans Nedjma et de nous faire comprendre par le théâtre que la France coloniale n’est pas celle de la révolution de Robespierre.
Dans une autre pièce de théâtre sur Ho Chi Min, Kateb vomit, non l’Amérique de Faulkner et de Steinbeck mais celle de McNamara qui enflamma et empoisonna les forêts vietnamiennes avec son vil napalm. S’agissant de la Constitution, pourquoi prendre l’exemple d’un pays (la France) en pleine guerre d’Algérie et malade de crises politiques chroniques ? S’il y a quelque idée à expérimenter, c’est celle des révolutions (de 1789 et 1871) de ce pays où soufflait un vent révolutionnaire pour mettre à l’abri l’État de toutes les féodalités (aristocratie et Église) et de se servir de la seule protection des citoyens, c’est-à-dire celle du peuple souverain. Quant aux États-Unis qui ont tourné le dos à beaucoup d’idéaux depuis leur révolution anticoloniale (1775/1783), on peut, sans rougir, adopter le «sacré» dont ils ont habillé leur Loi fondamentale. Et l’aura de cette loi, elle la doit à son application à quiconque, même au puissant président(3) qui peut être renvoyé chez lui comme n’importe quel citoyen lambda…. Quand, chez nous, certains veulent imposer des débats qui se nourrissent des banales notions de consensus et autres criminalisations des langues étrangères, on se cogne la tête contre un mur en se disant dans quel pays nous vivons. Massinissa, Apulée, Saint Augustin, Ibn Khaldoun, Émir Abdelkader, Ben M’hidi, Abane Ramdane, Kateb Yacine, autant de noms qui ont irrigué notre pays d’une haute pensée politique, militaire, philosophique et littéraire, toute une culture que l’on veut nous faire oublier au profit d’une indigeste idéologie à l’aide de mots dévitalisés de leur sens et poésie. Une Constitution n’a que faire des platitudes de politiciens en mal de reconnaissance. 
Une Constitution est un texte(4) qui fait voyager un peuple dans son histoire, fait bruire avec élégance la musique de son âme et illumine son avenir au rythme des mouvements de la vie. Une Constitution, c’est un chant qui répand sa mélodie pour couvrir les sons rauques de quelque bête immonde qui ne se sent bien que dans sa fange pour protéger sa prétendue «pureté». Il est temps de s’abreuver aux sources des connaissances et de se mettre à l’école des pointures intellectuelles, comme Aristote, citées plus haut.
Le temps est venu de faire naître le citoyen.
Le temps est venu de libérer la parole.
Le temps est venu de féconder l’imagination.
Le temps des idées et des mots en fleurs
Pour accueillir le poème du peuple souverain.
A. A.

(1) Max Weber, sociologue, inventa la formule du monopole de la violence détenu par l’État. Pour lui, elle est donc légitime.
Cependant, l’évolution des choses a rendu plus compliquée cette légitimité que des tribunaux internationaux remettent de plus en plus en cause le glissement arbitraire de cette notion.
(2) Film de Nicholas Ray avec le célèbre James Dean.
(3) Le président peut être jugé comme n’importe citoyen une fois l’impeachment voté par le Congrès américain.
(4) Un texte constitutionnel est toujours nourri par une philosophie qui affronte les problèmes politiques à résoudre.
Aux États-Unis, un immense pays d’immigrés pris entre deux modes d’union, confédération et fédération. Quant à la France, en 1958, c’était de donner de grands pouvoirs à un président pour mettre au pas les partis politiques incapables de gouverner.
Chez nous, on attend toujours de mettre fin aux pharaons et autres zaïms, et avoir un président élu par un peuple majeur.
Dans la mouture proposée, je n’ai pas vu de trace d’une nouvelle vision du rapport peuple/président.

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