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Rubrique Contribution

Pour une solution consensuelle de transition vers la démocratie

Par Mohammed Boudjema,Professeur d’université
Plusieurs semaines successives de marches populaires historiques, massives, nationales et pacifiques ont montré l’ampleur et la profondeur du rejet du système de pouvoir en place depuis vingt ans. 
Face aux revendications exprimées d’abord par le refus du cinquième mandat, développées ensuite et précisées chaque vendredi par les manifestants, impuissant à réprimer un mouvement mixte, transgénérationnel, inédit qui s’étend simultanément à toutes les régions d’Algérie où il y a des habitants, le pouvoir a opéré des reculs tactiques successifs destinés à désamorcer la dynamique de la protestation et pérenniser son système. Il abandonna d’abord le projet de 5e mandat pour lui en substituer un 4e prolongé permettant de préparer la succession après report des élections. Ces réponses n’eurent aucun effet sur le mouvement populaire qui réclamait le départ immédiat du Président à la fin de son mandat.  Pensant être confronté à un énième printemps arabe ciblant uniquement  une famille prédatrice régnante du genre Bénali ou Moubarak, incapable de saisir la profondeur de ce mouvement et sa portée, le système considéra alors Abdelaziz Bouteflika comme à la fois le problème et sa solution. On reprit alors la méthode qui fut appliquée en 1992 lorsque la démission de Chadli Bendjedid a été organisée de manière à créer un « vide institutionnel » permettant au système de se maintenir (si tu restes sur ce fauteuil, nous serons obligés de partir dans moins de six mois, si tu démissionnes tout de suite, nous serons encore là dans dix ou vingt ans). Le Président fut donc poussé à se démettre et partir sans avoir pu organiser l’élection de son successeur créant par là une situation complexe qui se cristallise aujourd’hui autour de la recherche concrète d’une voie de sortie à la crise. 

Les différents processus envisagés
Les solutions envisagées peuvent être regroupées en deux processus bien distincts :
D’un côté, le système contesté et rejeté par ce mouvement populaire tente de se régénérer et conserver l’essentiel de son pouvoir à travers une application présentée comme légaliste de la Constitution et une gestion sous son égide de la période de transition qui s’annonce. Au moment de quitter la présidence, l’ex-Président a pour cela balisé un cadre institutionnel entièrement acquis à son système par la mise en place des éléments-clé de la transition. Le président du Conseil de la Nation, le président du Conseil constitutionnel et le gouvernement, tous choisis par lui et dévoués au système, verrouillent ainsi au profit de ce dernier le processus d’application de la voie constitutionnelle. La période de transition déboucherait alors sur une élection présidentielle (fixée au 4 juillet prochain) et un nouveau Président qui serait chargé d’organiser les futures institutions avec, à terme, la reconduction probable du système actuel.
De l’autre côté, le mouvement populaire, auquel il faut associer les partis d’opposition et la société civile, rejette totalement toute solution pilotée par les tenants du pouvoir en place, l’exigence première, fondamentale et unanime étant justement le départ de ce pouvoir. Ils appellent donc à un processus politique excluant un processus constitutionnel organisé dans le cadre institutionnel présent. Toutes les propositions qui ont été avancées s’articulent autour d’un fond commun avec peu de variantes véritablement contradictoires ou antagonistes. D’abord, une période de transition plus longue est nécessaire, excluant l’organisation d’élection présidentielle dans le cadre de la Constitution actuelle et le délai fixé des 90 jours. Les institutions chargées de la gestion de cette période sont au nombre de trois : une autorité morale consensuelle dépositaire de la représentativité de l’État sous la forme d’un président, présidium ou comité d’État, une institution à caractère technique chargée de la gestion des affaires indispensables à la bonne marche de l’État, un comité à caractère politique chargé de l’élaboration d’un cadre institutionnel sain devant mener à l’élection présidentielle et de l’organisation de celle-ci. Ce processus ne fait en aucun cas appel à l’utilisation d’articles de la Constitution.
Maintenus en l’état, les deux processus apparaissent donc inconciliables. Leur confrontation évoluera au gré des rapports de force vers la capitulation de l’un des deux camps à travers l’utilisation de la répression par l’un et un durcissement de l’autre qui risque de lui faire perdre son caractère pacifique. Cela se traduira probablement par un coût dont le pays mettra du temps à se relever.
Cet état des lieux montre que c’est notre destin en tant que peuple dans toutes ses composantes qui est en jeu. Il appelle une recherche de solutions par l’utilisation par tous, de l’intelligence, de la raison et du courage politique portés à la hauteur de cet enjeu.
Paix et sécurité – rassemblement et justice – dialogue et concertation
Malgré la complexité de la situation, il est pourtant possible d’aboutir à une solution satisfaisante par une démarche consensuelle appuyée sur la Constitution actuelle avec, malgré tout, pour objectif le changement radical par le départ du système politique actuel. Pour cela, il est indispensable de fixer trois points préalables interdépendants au pouvoir actuel, aux représentants du mouvement populaire et de la société civile et aux partis d’opposition. Premièrement, il faut mettre la paix et la sécurité de l’Algérie au-dessus de toutes les considérations individuelles ou partisanes. On doit pouvoir convaincre et rassembler l’écrasante majorité des citoyens de tous bords autour de ces deux concepts en tant que notre bien commun en rappelant les souffrances des nombreuses années pendant lesquelles notre pays n’était pas en paix et craignait pour son indépendance.  Il est nécessaire d’exclure tout recours à la violence et à la répression mises au service du politique et non motivées par des impératifs de paix et de sécurité.  
Le second point préalable consiste à considérer que notre quête de la démocratie, de l’Etat de droit et de la justice sociale ne saurait être menée par l’idée de vengeance vis-à-vis de personnes ou de l’Histoire dont il ne faut surtout pas oublier que nous sommes tous partie prenante. Il y aura demain un État à reconstruire sur des bases nouvelles, dans une conjoncture de plus en plus difficile et avec des instruments qui restent à inventer. Cette tâche exige la contribution du plus grand nombre possible, la réduction du maximum d’obstacles et la participation de toutes les compétences. Ce n’est que l’action sereine de la justice, placée dans un cadre juridique assaini, qui permettra la réalisation de ce challenge et certainement pas le désir de vengeance ou l’enchaînement de règlements de comptes claniques. Le troisième et dernier point préalable est relatif à la nécessité du  dialogue entre tous ceux qui auront accepté les deux précédents points. Cela pourrait être présenté à tous sous la forme d’une charte citoyenne minimale fixant ces trois préalables que toute partie devra entériner officiellement et publiquement pour pouvoir participer au dialogue. Lorsque l’idée de ce dialogue aura été acceptée et envisagée avec l’objectif d’aboutir à une solution respectant les points cités, il sera possible alors d’entamer les différentes étapes menant à la sortie de crise. Au cours du dialogue, toutes les étapes du processus seront discutées et fixées dans leur globalité et dans leurs détails. Chaque étape est proposée en accord avec ce qui est autorisé et ce qui n’est pas expressément interdit par la Constitution. Pour les points non prévus par des dispositions de la Constitution, il sera fait appel à l’esprit de celle-ci en conformité avec l’intérêt supérieur de l’Algérie.

Le rôle de l’ANP
Tout au long de cette période exemplaire de contestation populaire, l’armée, par la voix de son chef d’état-major, s’est progressivement départie de sa position pro-régime du début pour se placer finalement dans celle qu’on lui connaît aujourd’hui, une position peu éloignée des revendications du mouvement. Les toutes dernières déclarations relatives à une nécessaire ouverture politique ainsi que les engagements pris par Gaïd Salah d’accompagner et de défendre la volonté populaire permettent de penser que l’ANP opterait pour un processus de type consensuel. Elle peut donc tenir le rôle de garant neutre du déroulement de la transition démocratique telle que présentée ici en assurant la paix et la sécurité exigées et en faisant respecter la charte citoyenne ainsi que les conditions d’un dialogue équilibré, digne et serein. Il est indispensable qu’elle y soit pleinement associée.  
Les différentes étapes de la transition vers la démocratie :
1. Démission du président du Conseil constitutionnel actuel. 
2. Nomination après dialogue et consensus d’un président du Conseil constitutionnel (art. 183)
3. Démission du chef de l’État (art.102)
4. Le président consensuel du Conseil constitutionnel assure l’intérim du chef de l’État (art. 102)
5. Démission du gouvernement actuel (art. 100)
6. Nomination consensuelle d’un comité de chargés de mission auprès du chef de l’État en remplacement du gouvernement pour les affaires importantes ou urgentes (AE, intérieur, défense, finances,…)
7. Installation près du chef de l’État d’un comité politique consensuel chargé de l’organisation de la période de transition 
8. Préparation du cadre institutionnel des élections (modalités, fichier électoral, médias, contrôle…)

Conclusion
Comme mentionné précédemment, l’application de ce plan présuppose l’acceptation de règles du jeu claires par les différents participants au dialogue consensuel. Il ne s’agit pas là d’une position naïve transformant en anges vertueux ceux qui seront conviés au dialogue. Il est normal que les intérêts partisans et les arrière-pensées continuent à exister. Ils ne doivent cependant pas prendre le pas sur les trois engagements de la charte citoyenne que chacune des parties aura publiquement entérinée. De tous, il sera attendu une contribution constructive éminemment politique à la hauteur de l’importance de la phase que traverse le pays. 
D’ores et déjà, quelle que soit la suite des événements, une victoire capitale a été remportée par le mouvement populaire. Le zaïmisme qui a constitué jusqu’à maintenant l’ossature de l’organisation des pouvoirs en Algérie, a reçu un coup fatal. Il ne s’en relèvera plus. L’engagement, la détermination et la sérénité quant à la force du peuple uni se sont fortement incrustés dans le tissu social. Il sera bien difficile pour les dirigeants de revenir à ce mode de gouvernance qui est basé sur le culte d’un chef au-dessus de tous, derrière lequel s’abritent les opportunistes et les prédateurs choisis seulement pour leur fidélité et leur obéissance.
Cela signifie que l’appel à la haute conscience politique des participants au dialogue n’est pas vain. Tout se déroulera sous les yeux et les oreilles du peuple. Désormais, celui-ci sait comment répondre à ceux qui voudraient dévoyer son mouvement…
M. B.
 

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