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Rubrique Contribution

Réflexions à propos du projet de la nouvelle Constitution

Par Nadji Safir(*)
L’initiative du président de la République de soumettre à un large débat national le projet de la nouvelle Constitution m’inspire trois ensembles de réflexions que je présenterai comme suit :

1) A propos du préambule : le projet actuel dans son préambule fait directement référence au Front de libération nationale dans deux paragraphes qui sont rédigés comme suit :
«Rassemblé dans le Mouvement national puis au sein du Front de libération nationale, le peuple a versé son sang pour asseoir sa volonté d’indépendance et de souveraineté nationale, sauvegarder l’identité culturelle nationale et doter l’État d’authentiques assises populaires.
Couronnant la guerre populaire par une indépendance payée du sacrifice des meilleurs de ses enfants, sous la conduite du Front de libération nationale et de l’Armée de libération nationale, le peuple algérien a restauré dans toute sa plénitude un État moderne et souverain.»
Je propose qu’immédiatement après ces deux paragraphes, maintenus sans changement, en soit rajouté un nouveau qui serait ainsi rédigé :  
«Les missions historiques sur la base desquelles le Front de libération nationale a été constitué en 1954 et a conduit avec l’Armée de libération nationale la lutte du peuple algérien jusqu’à la victoire totale de 1962 ont toutes été menées avec succès et, en conséquence, désormais, l’appellation de ‘‘Front de libération nationale’’, à jamais partie intégrante essentielle des mémoires institutionnelles, collectives et individuelles nationales, ne doit plus être utilisée, sous quelque forme et prétexte que ce soit, par un parti politique ou toute autre organisation, dans le cadre de l’exercice de ses activités publiques, telles que reconnues par la loi.» 
Justification de la proposition : Depuis longtemps déjà, l’appellation de «Front de libération nationale» a été systématiquement instrumentalisée par les pouvoirs en place – dans une logique de captation d’héritage – afin de tirer bénéfice du riche capital symbolique qui l’entoure pour la mettre au seul service de leurs ruses, stratagèmes, projets et intérêts étroits, visant strictement à assurer leur pérennité. De ce point de vue, s’il fallait une illustration exemplaire de cette instrumentalisation de l’appellation de «Front de libération nationale» ce serait certainement le projet de cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika qui, de bout en bout – depuis l’initiative elle-même — a été porté par un parti du FLN, transformé en un simple instrument des basses œuvres et manœuvres impliquées par une grave dérive autocratique visant à instaurer une présidence à vie.  Toutes ces situations de compromissions caricaturales, absolument déplorables, qui ont fini par porter un tort considérable à la charge positive — bien que progressivement déclinante — continuant encore d’entourer la symbolique du Front de libération nationale  au sein de larges couches du peuple doivent impérativement et rapidement cesser. D’ailleurs, le Hirak  ne s’y est pas du tout trompé qui, à très juste titre, a fait du parti du FLN une de ses cibles majeures, en tant que simple instrument mis au service d’un projet de cinquième mandat totalement rejeté.
Remarque : l’éventuelle décision d’interdiction des activités du parti du FLN, telle que procédant également d’un contentieux historique et mémoriel relativement ancien, soulève un problème plus large dans la mesure où, par ailleurs, pour ce qui concerne la grave dérive du cinquième mandat, elle a été assumée — outre, par le parti du FLN lui-même, bien sûr, par trois autres partis, constitutifs avec le parti du FLN, de ladite «majorité présidentielle» — Rassemblement national démocratique (RND), Rassemblement de l'espoir de l'Algérie (TAJ) et Mouvement populaire algérien (MPA). Et qui, dès lors, peuvent être considérés comme collectivement responsables — à quatre donc — de l’immense escroquerie intellectuelle et politique que fut le projet de cinquième mandat, ainsi qu’ils l’ont publiquement assumé, contre tout bon sens, dans de nombreux documents et rassemblements communs. C’est dire qu’en réalité, d’une manière ou d’une autre, est directement posée la nécessaire question d’une vaste reconfiguration du champ politique national comme constituant l’un des enjeux essentiels des années à venir.

2) A propos de l’article 95 relatif aux pouvoirs et prérogatives du président de la République (deuxième alinéa) : 
Ce deuxième alinéa qui stipule «il est responsable de la Défense nationale» doit être supprimé. 
Justification de la proposition : Il convient d’abord de préciser que cet alinéa reprend tel quel celui existant dans la Constitution actuelle (article 91, alinéa 2) ; en outre, il apparaît comme une constante de la doctrine constitutionnelle algérienne, puisque déjà formulé, de la même manière, dans les Constitutions de 2008 (article 77, alinéa 2), de 1996 (article 77, alinéa 2), de 1989 (article 74, alinéa 2) et de 1976 (article 111, alinéa 5). En clair, il vise à signifier que le président de la République, outre ses attributions, en quelque sorte, «classiques» de «chef suprême des forces armées de la République» (formulation du projet actuellement soumis au débat), telles qu’en règle générale énoncées dans l’alinéa précédent du même article, est également «ministre de la Défense nationale». Tout se passant comme si avait été instaurée une sorte de «tradition» du «président de la République, en même temps, ministre de la Défense nationale», et qui, en dernière analyse, trouve ses origines dans le mode d’exercice du pouvoir très particulier instauré, sur la seule base de son itinéraire personnel, par le président Houari Boumédiene. Dont il convient de rappeler qu’il avait un profil particulier de «militaire de carrière» puisqu’ayant exercé au sein même de l’Armée de libération nationale — après avoir, entre autres, été chef de la Willaya V historique — la plus haute des fonctions qui puisse être, puisqu’il en fut le premier – et le seul — chef d’état-major général, depuis la session du Conseil national de la Révolution algérienne, tenue du 15 décembre 1959 au 16 janvier 1960, et créant le poste. Puis, dès septembre 1962, dans le premier gouvernement du Président Ahmed Ben Bella, il fut ministre de la Défense, et conserva systématiquement ce portefeuille – tout en devenant en même temps, successivement, vice-président du Conseil en mai 1963, président du Conseil de la Révolution et chef du gouvernement en juin 1965 et président de la République en 1976 – et ce, sans discontinuer, jusqu’à sa mort en décembre 1978. 
Après le décès du Président Houari Boumédiene et jusqu’à la récente élection du Président Abdelmadjid Tebboune, de manière systématique, le portefeuille de la Défense nationale aura été assumé en tant que tel : - soit par les présidents de la République et/ou chefs d’État successifs, et ce, qu’ils soient seuls à en assumer la charge ou qu’ils soient également assistés par un vice-ministre, officier récemment retraité ou encore actif ; - soit, autre cas de figure, par des officiers, en ayant l’entière responsabilité : en l’occurrence, les généraux Khaled Nezzar et Liamine Zeroual. Et c’est ainsi que la «doctrine» implicitement définie par la simple pratique du président Houari Boumédiene et qu’il avait lui-même instaurée donc, n’ayant jamais cessé, dans les faits, de fonctionner comme une norme à suivre absolument, le ministère de la Défense nationale, en dehors du chef de l’État lui-même, n’a jamais connu, à ce jour, de titulaire civil exerçant pleinement et uniquement cette responsabilité.  
Près de soixante ans après l’indépendance, c’est là une situation tout à fait singulière et qui, nécessairement, interpelle les logiques et modes de fonctionnement de toutes les institutions du pays puisque, de fait, tout se passe comme si  l’Armée nationale populaire obéissait à une sorte de logique d’auto-régulation institutionnelle.  Alors que, dans une impérative logique de circulation des élites nationales, quels que soient leurs différents segments «techniques» de formation et d’origine, et qui ne peut que grandement profiter aux intérêts supérieurs de toutes les institutions — ainsi qu’à la fois à la Nation et à l’État — en renforçant leurs dynamiques d’efficience et de résilience, il conviendrait que le poste de ministre de la Défense nationale — en tant que poste politique de membre du gouvernement — puisse «très banalement» être occupé par un «civil». Quel qu’en puisse être le profil : député, sénateur, élu local, diplomate, wali, universitaire, intellectuel, avocat, médecin, journaliste, acteur de la société civile, dirigeant d’entreprise ou ministre ayant déjà occupé une autre charge ministérielle, etc. Ce qui, bien évidemment, lorsque l’évaluation politique assurée sous la direction du chef de l’État y conduira, n’exclut nullement, le cas échéant, qu’il puisse également être assumé par un officier ; en tant que cas de figure, dès lors, devenu commun. Étant entendu que cette hypothèse d’un ministre de la Défense «civil», bien évidemment, ne diminue en rien  ni l’autorité qu’exerce sur l’Armée nationale populaire le président de la République, en tant que «chef suprême des Forces armées de la République», ni celle du chef d’état-major dans ses très larges domaines de compétence, tels que s’articulant, en dernière analyse, autour de l’optimisation maximale des capacités opérationnelles des forces armées. Enfin, pour conclure en ce qui concerne cette proposition, je dirai que, si le préambule du projet de Constitution soumis au débat évoque «le mouvement populaire du 22 février, opéré en totale cohésion avec son Armée nationale populaire», il n’en demeure pas moins que, précisément, de ce point de vue — en termes donc de relations entre le Hirak et l’institution militaire —, il a également pu être relevé des sources de tensions significatives qui doivent toujours être évaluées à leur juste mesure et prises en charge du seul point de vue des intérêts à long terme du pays. Et qui, fondamentalement, imposent que, dans tous les domaines, il soit doté d’institutions fortes et crédibles, car, à la fois, adaptées aux exigences de leur époque et socialement légitimes.
Remarque : la proposition de suppression de la Constitution de l’alinéa selon lequel le président de la République «est responsable de la Défense nationale», telle qu’ici formulée, n’est nullement, de ma part, inédite. En effet, je l’avais déjà formulée dans une longue contribution personnelle, publiée par le quotidien Le Soir d’Algérie et dans laquelle je prenais clairement position contre le projet de quatrième mandat du Président Abdelaziz Bouteflika ; le texte avait été publié dans les numéros du quotidien des 24,25 et 26 mars 2014 ; soit avant le semblant de scrutin présidentiel qui s’était finalement déroulé le 17 avril 2014 ;
https://www.lesoirdalgerie.com/articles/2014/03/24/article.php?sid=154276&cid=41  
3) À propos de l’article 95 relatif aux pouvoirs et prérogatives du président de la République (sixième alinéa) : ce sixième alinéa qui stipule,  «il peut nommer un vice-président et mettre fin à ses fonctions. 
Il peut lui déléguer certaines de ses attributions à l’exception de celles énumérées à l’article 97» doit être modifié comme suit : «Le président de la République est assisté dans l’exercice de ses fonctions par un vice-président de la République qui est élu en même temps que lui. Le président de la République peut lui déléguer certaines de ses attributions, à l’exception de celles énumérées à l’article 97.» 
Justification de la proposition : indéniablement, dans ce projet de nouvelle Constitution, la création d’un poste de vice-président de la République, tout comme le renforcement des pouvoirs du Premier ministre, institué en tant que chef du gouvernement, entre autres dispositions, constituent des avancées positives car, tous deux, d’une manière ou d’une autre, vont dans le sens du principe éminemment salutaire selon lequel «le pouvoir arrête le pouvoir». Alors même que notre expérience nationale – entre autres, récente — nous enseigne que le risque existe bel et bien d’un président de la République usant et abusant de ses pouvoirs et, progressivement, se transformant en un «zaïm» se proclamant aussi omnipotent qu’omniscient. 
En conséquence, si l’on songe à la complexité croissante de tous les problèmes nationaux, internationaux et globaux auxquels, dans le monde complexe, difficile et tourmenté qui se profile, va être confronté le pays, tout ce qui peut renforcer — qualitativement surtout – les capacités de réflexion, d’anticipation et d’action de l’Exécutif est certainement le bienvenu ; d’autant plus qu’en même temps ce projet de Constitution renforce beaucoup de contre-pouvoirs, tant dans les institutions elles-mêmes que la société et ce, y compris dans le précieux domaine des libertés individuelles. 
Ceci dit, précisément parce qu’elle constitue une avancée importante, la fonction de vice-président ne peut dépendre de la seule volonté – voire de l’humeur – d’un homme, fusse-t-il le président de la République lui-même. 
C’est dire que la formulation actuellement utilisée pour la nomination et la fin de fonction – «il peut» en évoquant le président de la République — est inacceptable. Ou bien la fonction est nécessaire, en tant que «pierre» apportant sa contribution à l’édifice global de la nouvelle Constitution et, dans ce cas de figure, elle doit être transformée en réalité institutionnelle, avec tous les fondements juridiques et les garanties d’efficience qu’un tel statut impose. Ou elle ne l’est pas et il vaut mieux ne pas la mentionner du tout, plutôt que de la laisser sous la menace permanente des décisions arbitraires liées au seul «fait du prince». 
En fait, la situation est d’autant plus complexe que le projet qui nous est soumis assigne au vice-président d’importantes attributions, puisque lorsque le président de la République, «pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions», il stipule à l’article 98, alinéa 3 : «Le vice-président en exercice assume les fonctions de chef de l’État par intérim pour une durée maximum de 45 jours. Il exerce ses prérogatives dans le respect des dispositions de l’article 100 de la Constitution.» Et, d’autre part, un peu plus loin — à l’article 98, alinéa 7 — qu’en cas d’empêchement ou de décès du président de la République : «Le vice-président de la République, chef de l’État par intérim, assume les fonctions de président de la République pour le reste du mandat présidentiel. Il ne peut désigner un vice-président de la République.»  C’est dire qu’en tout état de cause, de par l’importance des attributions qui lui sont assignées, une telle fonction ne peut être pleinement et efficacement assumée que par une personne qui aura bénéficié d’une légitimité démocratique. 
En conséquence, cette avancée que constitue l’institutionnalisation de la fonction de vice-président doit être inscrite, comme il convient de dire, pleinement «dans le marbre» de la Constitution.
 Dans cette perspective, l’une des solutions les plus appropriées me semble être celle d’un «binôme», correspondant à la formule en cours, notamment aux États-Unis, d’un «ticket président-vice-président» sur lequel le corps électoral, au départ même et donc, de manière claire, est appelé à consciemment se prononcer.
En conséquence, pour son opérationnalisation, dans l’actuel contexte institutionnel national, la formule ainsi proposée serait mise en œuvre à l’occasion de la prochaine élection présidentielle ; en principe donc, en 2024 et ce, – espérons-le – avec plusieurs «binômes» dans lesquels sera partie prenante une femme.
N. S.
[email protected]

 
(*) Sociologue, ancien chef de département à la présidence de la République et à l’Institut national des études de stratégie globale (INESG).

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