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Rubrique Contribution

PESTE DES PETITS RUMINANTS Une maladie qui suscite plus de peur que de mal

Par Salim Kebbab(*)
Décrite pour la première fois en Côte d’Ivoire au début des années 1940, la peste des petits ruminants (PPR) est une maladie animale qui touche une grande partie de l’Afrique tropicale et qui sévit de façon enzootique en Afrique de l’Ouest. Selon l’Office international des épizooties (OIE), les pays d'Afrique situés entre le Sahara et l'équateur et qui s'étendent de l'océan Atlantique à la mer Rouge, se trouvent dans la zone d'endémie de la PPR. Mais, la répartition de cette maladie, transfrontalière, a dépassé largement la corne orientale de l’Afrique pour se répandre, d’abord au Moyen-Orient et par la suite au sud du continent asiatique. En effet, l'organisation mondiale de la santé animale note que des cas de PPR ont été enregistrés dans la péninsule arabique (Arabie-saoudite, Émirats arabes unis, Yémen), au Proche-Orient (Irak, Syrie, Liban, Israël) et même en Turquie. De nombreux foyers de la maladie ont également été enregistrés en Iran, en Afghanistan, au Pakistan, et en Inde. Des pays où l'on compte les plus grands effectifs de cheptels caprins au monde. La Chine, elle non plus, n'a pas été épargnée par la maladie. Des cas de PPR ont été signalés en 2007 dans l’empire du milieu, indique l’OIE. En fait, au cours des dix dernières années, c’est en Asie que la maladie s'est très vite propagée à un grand nombre de pays. Et en progressant vers le Nord, elle a fait récemment, et pour la première fois, son apparition en Europe: la Géorgie ayant annoncé plusieurs cas de PPR en 2017. Concernant l’Afrique du Nord, c’est au Maroc que cette maladie est apparue pour la première fois en mai 2008. Plus de dix ans plus tard, plus précisément en octobre 2018, c’est au tour de l’Algérie d’enregistrer «officiellement» les premiers cas de PPR, sachant que plusieurs vétérinaires révèlent que des cas de cette maladie ont été détectés en 2011 et en 2014. A ce propos, pour être tout à fait clair, les cas rapportés ont été établis sur la base des seuls renseignements cliniques ; le diagnostic de la maladie n’ayant pas été confirmé par les analyses de laboratoire. 
Par ailleurs, pour ce qui est de l’introduction de la PPR dans le pays, elle serait liée, selon les premières enquêtes épidémiologiques effectuées par les vétérinaires experts, à la remontée des animaux des wilayas de l’extrême sud du pays, en provenance des pays voisins, vers les régions présahariennes, Et donc, au vu de l’immensité du territoire national, force est d’admettre que ce sont les déplacements non contrôlés de ces animaux (infectés), vers le nord du pays, qui auraient favorisé la propagation de la maladie, d’abord dans les régions présahariennes, et par la suite dans les zones steppiques. 
En revanche, ce qui est avéré, c’est qu’une fois introduits dans ces deux régions, les animaux ( infectés ) se sont mélangés avec le cheptel local au niveau des marchés aux bestiaux, au demeurant très nombreux dans ces deux régions. En d’autres termes, cela explique que les wilayas de Tébessa, Biskra, M’sila, Djelfa, Laghouat, El Bayadh et Naâma, alignées d’est en ouest entre le Sahara et le Tell et qui sont de surcroît toutes à vocation pastorale, sont celles où l’on a recensé les plus grandes pertes d’animaux. En réalité, se dressant comme une muraille contre les invasions biologiques et les irruptions de maladies provenant de la partie méridionale du pays, ces wilayas ont été les premières à être contaminées par la PPR. 

«Agneaux, chevreaux et… faons» ou les animaux «pestiférés» 
La peste des petits ruminants, également connue sous les noms de «peste caprine» et «peste des espèces ovines», est une maladie virale hautement contagieuse qui affecte principalement les ovins et les caprins et incidemment les petits ruminants «sauvages», comme les gazelles de type Dorcas. Une espèce commune au sud algérien. Aussi, des cas de PPR ont été exceptionnellement signalés chez les grands ruminants, particulièrement leurs petits, tels que les chamelons pour les dromadaires, les faons pour les antilopes et les veaux pour les bovidés. Pour ces derniers, il y a lieu de signaler que si d’un point de vue strictement lexical, l’on pourrait prêter à confusion entre les petits ruminants (moutons, chèvres…) et les jeunes animaux des grands ruminants (veaux, velles),  il ne faut cependant pas confondre la PPR avec la peste «bovine» : première maladie animale virale à avoir été totalement éradiquée au niveau mondial (en 2010), après avoir fait des ravages dans les cheptels bovins durant les deux derniers siècles.
S’agissant du caractère médico-vétérinaire de la maladie, il importe de souligner que la PPR est connue comme une Maladie réputée légalement contagieuse (MRLC). Elle est classée dans le tableau des Maladies à déclaration obligatoire (MDO) par l’organisation mondiale de la santé animale (liste A de l’OIE). Elle est causée par un virus, le P.P.R.V, appartenant au groupe des Morbillivirus et dont la particularité est sa ressemblance avec le virus de la rougeole qui affecte l'homme. Mais, ce virus est plus grave chez les petits ruminants, particulièrement pour les jeunes sujets de moins de 3 mois (agneaux, chevreaux, faons…), au vu de la fragilité de leur système immunitaire. Son association à l’évolution rapide de la maladie a, d’ailleurs, été bien établie par les virologues. En effet, une fois l’animal contaminé, les premiers signes de la maladie sont l’état d'abattement de celui-ci, l’hyperthermie, une difficulté respiratoire accompagnée d’une toux et d’éternuements, des larmoiements et des écoulements nasaux, d’abord séreux puis mucopurulents. S'ensuivent, très rapidement, des érosions buccales et une diarrhée profuse à odeur nauséabonde qui est le signe pathognomonique de la maladie. Ces symptômes se terminent souvent (dans 70% des cas) par la mort de l'animal qui survient, deux à dix jours après les premiers signes de la maladie. Cependant, lorsque la PPR sévit de façon épizootique ou plus grave encore, prend un caractère panzootique, le taux de mortalité peut atteindre 90% chez les adultes et 100% chez les jeunes.  
Concernant le volet clinique, il faut savoir que les animaux s'infectent en inhalant les fines gouttelettes contaminées présentes aux alentours d’une zone d’élevage ou près des animaux. En effet, les premiers animaux infectés excrètent de grandes quantités de virus par le jetage, la salive, les larmes, les matières fécales. Sous des conditions climatiques humides ou lorsque le vent souffle fort, une nébuleuse de matières virulentes se forme à partir de ces sécrétions et excrétions, et va finir par contaminer tout l’environnement de l’animal (l'air ambiant, l'eau, les aliments, les litières, les mangeoires et abreuvoirs, le matériel d’élevage…) ; d'où la transmission rapide de la maladie, accentuée par le contact étroit entre les animaux.   
 
Les sources de diffusion et… d’appréhension de la PPR
En ce qui concerne les risques de la PPR sur la santé humaine, il faut dire que s’il est tout à fait naturel que rien qu’en pensant au mot «peste», cela donne des frissons au commun des mortels, il faut en revanche savoir que le terme n’a rien de commun avec  la «peste» qui affecte l’homme; considérée comme «maladie de la terreur» par allusion à la sinistre peste «noire» médiévale et aux «pestiférés» de Jaffa, immortalisés par l’œuvre d’Antoine-Jean Gros évoquant la visite de Napoléon Bonaparte chez ces derniers. En réalité, l’appellation «peste» qui est attribuée à plusieurs maladies animales dérive de l’épidémie de peste humaine qui a sévi dans le monde au Moyen-Age et qui a dévasté plus de 50% de la population européenne suite à une invasion de rats. Eu égard au taux de mortalité «explosif» de cette pandémie, la plus meurtrière de l’Histoire et qui a marqué de son empreinte l’humanité, le terme «peste» fut donné, par analogie, aux maladies animales qui affectent les cheptels dits de rente et qui, lorsqu’elles sévissent, font de grands ravages dans les troupeaux. Les qualificatifs de pestes «bovine», «aviaire», «équine», «porcine» et bien évidemment «des petits ruminants» ont ainsi été attribués aux épizooties, tout en les individualisant selon l’espèce atteinte. Et donc, le terme de «peste» par lequel on fait allusion aux maladies virales, chez les animaux, doit être distingué de la peste humaine qui, elle, est une maladie bactérienne et qui est bien entendu une zoonose.  En fait, la peste «humaine» est due à une  bactérie (Yersinia pestis) que transmettent les petits animaux, le plus souvent  des rongeurs, à l’homme. La transmission se fait généralement par piqûre des puces qui parasitent les rodentiens. Elle se présente sous deux formes à savoir, la forme bubonique dite aussi zootique, qui est la plus fréquente et qui est transmise directement de l’animal à l’homme, et la forme pulmonaire qui est la plus mortelle en l’absence de traitement et qui fait suite à une contamination interhumaine par voie respiratoire. 

Les viandes estampillées : un gage de sécurité 
S’agissant d’éventuels risques liés à la consommation humaine des viandes (et abats) issues d’animaux atteints par la PPR, de nombreuses études attestent que ces dernières (qu’elles soient grillées, poêlées ou rôties) ne présentent pas de danger pour l’homme et sont propres à la consommation ; non sans apporter la précision qu’elles doivent être bien cuites. Le virus étant détruit par la chaleur. Plus explicite sur les risques de santé publique liés à cette maladie, l’OIE note que «l’homme n’est pas atteint par le virus de la PPR». D’autres précautions, plus strictes, sont recommandées par les spécialistes en Hidaoa (hygiène et inspection des denrées alimentaires d’origine animale). Il s’agit notamment de garantir le respect la durée des différentes étapes lors de la maturation des carcasses. Le virus étant, là — aussi, anéanti au bout d’un certain temps, notamment lors du processus qui permet le passage, après la saignée de l’animal, de l'état «muscle» à l'état «viande». D’où la nécessité absolue de consommer que les viandes issues des carcasses pourvues de l’estampille des services vétérinaires. Car l’inspection sanitaire ante-mortem permet d’éliminer les animaux qui présentent un risque pour la santé publique, à savoir ceux qui sont en phase aiguë de la maladie, et qui sont parfois acheminés accidentellement (ou frauduleusement) vers l’abattoir. En effet, les viandes qui seraient issues de ces derniers, ce qui peut se produire dans le cas d’un abattage non contrôlé, représentent un vrai danger au vu de la forte virémie (charge virale) chez ces animaux, ceci même si d’aucuns parmi les consommateurs se rendront compte de l’aspect répugnant de celles-ci, qualifiées de viandes «fiévreuses» par les hygiénistes.

Le remède : séro-surveillance et vaccination massive    
Pour évoquer la PPR qui sévit actuellement en Algérie et les ravages qu’elle a occasionnés durant ces quatre derniers, s’il faut bien reconnaître que les pertes d’animaux, estimées selon différentes sources entre 3 000 et 6 000 têtes d’ovins et caprins, sont importantes et durement ressenties par les éleveurs et la vulnérable paysannerie, il faut dire aussi qu’on est fort heureusement loin des cas extrêmes de la maladie (épizootie ou pandémie épizootique). Surtout que la maladie a tendance à s'estomper graduellement ces derniers jours; ceci grâce aux mesures préventives d’urgence qui ont été prises, notamment la fermeture des marchés aux bestiaux et l’interdiction du déplacement du bétail et de son transport d'une région à une autre. Cependant, au vu du danger que représente cette redoutable maladie pour le cheptel national, et eu égard à  son risque économique pour les éleveurs, le dispositif de séro-surveillance des animaux (tests de dépistage)  qui a été instantanément mis en place dans les régions affectées, notamment au niveau des wilayas frontalières, doit s’élargir à toutes les wilayas qui forment la deuxième barrière contre la progression septentrionale du virus et qui sont actuellement les plus menacées par la PPR. Il s’agit notamment des wilayas de Aïn Defla, Médéa, Bouira et Tizi-Ouzou au Centre du pays, de Khenchela, Guelma, Souk-Ahras, Batna et Sétif, à l’est et de Sidi-Bel-Abbès, Saïda, Tiaret, Relizane et Chlef à l’ouest du pays. En fait, l’extension de la séro-surveillance à ces wilayas, connues comme lieux traditionnels de la transhumance ovine, permet d’éviter la propagation de l’infection vers les autres régions jusque-là épargnées par la maladie. 
Toutefois, en dépit de toutes ces mesures de police sanitaire qui sont habituellement mises en place lorsqu’une maladie virale sévit dans le pays, il importe de signaler que dans le cas de la PPR, l’efficacité de ces mesures reste limitée. Car, contrairement à beaucoup d’autres maladies virales, le temps de latence pour la PPR est inférieur au temps d’incubation, c’est-à-dire que l’excrétion virale débute bien avant l’apparition des symptômes. De plus, ce qui ajoute un niveau de complexité à la PPR, c’est qu’il n’existe aucun traitement spécifique ou curatif contre cette maladie. Les traitements symptomatiques ne peuvent que réduire un tant soit peu la mortalité au sein des troupeaux. Les seules mesures que les vétérinaires peuvent entreprendre sont l’orientation des animaux atteints vers l’abattage (abattage sanitaire) et la mise en quarantaine des troupeaux infectés. Ces derniers finiront soit par mourir, soit par acquérir une solide immunité. Par conséquent, la prophylaxie médicale (vaccination) demeure la seule mesure qui peut freiner l’évolution de la maladie. Elle doit donc impérativement suivre les mesures de prophylaxie sanitaire. Pour cela, l’OIE recommande aux pays affectés par la PPR une couverture vaccinale du cheptel (ovin- caprin) de l’ordre de 80%. Soit, pour l’Algérie, la vaccination de près de 20 millions de têtes, si l’on considère que l’effectif «constant» du cheptel national des petits ruminants, c'est-à-dire le cheptel qui n’est pas concerné par le renouvellement annuel et continuel, est constitué de 22 millions d’ovins et 3 millions de caprins. En substance, l’intensification des campagnes de vaccination et leur élargissement à toutes les wilayas permettront à l’Algérie, non seulement de lutter efficacement contre la PPR, mais beaucoup plus, de recouvrir, au bout de cinq années de vaccination massive contre la PPR,  son statut de pays indemne de cette maladie. 
Un statut sanitaire qui contribuera certainement dans la stratégie globale visant à l’éradication totale de la PPR à travers le monde. 
S. K.

(*) Docteur vétérinaire/Master en sciences de l’information. 

Les principales maladies à déclaration obligatoire (MDO) en santé animale :
- La rage,
- l’encéphalopathie spongiforme bovine (vache folle),
- la grippe aviaire,
- la peste des petits ruminants,
- la peste bovine, la peste équine et la peste porcine
- la fièvre aphteuse,
- la fièvre charbonneuse (charbon bactéridien),
- la fièvre catarrhale (Blue-Tongue du mouton),
- la morve des équidés,
- la tuberculose,
- la brucellose.
Quelques maladies (animales) réputées légalement contagieuses (MRLC) :   
- La maladie de newcastle (Pseudopeste aviaire),
- la leucose bovine enzootique,
- l’artérite bovine,
- la métrite équine,
- la lymphangite épizootique du cheval,
- la fièvre de la vallée du Rift,
- la clavelée (variole ovine),
- la variole du singe,
- la tularémie du lapin,
- la varroase des abeilles.
• En Algérie, la réglementation vétérinaire stipule que la prévention et la lutte contre les maladies animales contagieuses sont d’utilité publique. 
• Et au sens de la législation nationale en matière de santé animale,  les maladies animales à déclaration obligatoire sont les maladies transmissibles qui ont un grand pouvoir de propagation et une gravité particulière, la contagion entre autres. Elles doivent, de ce fait, être assujetties à des mesures intensives de prévention et de lutte. 
• La loi n°88-08 relative aux activités de médecine vétérinaire et à la protection de la santé animale définit bien les mesures coercitives qui doivent être prises lorsqu’une grave maladie est déclarée. Elle stipule que dans l’exercice des pouvoirs et des attributions qui leur sont légalement conférés, les médecins et les auxiliaires vétérinaires dûment mandatés bénéficient du soutien des autorités locales et des services compétents, notamment les services de sécurité et de douanes. 
Pour cela, lorsqu’un éleveur, un boucher ou un transporteur d’animaux malades ne se plie pas à leurs recommandations, ils peuvent faire appel à la force publique. Des amendes et des poursuites pénales contre le contrevenant sont prévues par cette loi.  

 

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