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Rubrique Corruption

Les «politiques», tous pourris ? Le marché de la corruption et la corruption du marché

Igor Martinache est professeur agrégé de sciences économiques et sociales à l’Université de  Lille 1, en France, et membre du Ceraps (Université de Lille 2/CNRS). Il a publié, dans le mensuel Alternatives économiques, une tribune intitulée «Argent et politique, des liaisons dangereuses ?», tribune d’une grande actualité par rapport au contexte actuel en Algérie.

La politique moderne est devenue une véritable profession, qui entretient des liens complexes avec l’argent et de plus en plus serrés avec le marché. Au point aujourd’hui de brouiller la démarcation public-privé. La politique, une profession comme les autres ?
Emplois fictifs, abus de biens sociaux, prise illégale d’intérêts, etc., la litanie des scandales financiers impliquant des responsables politiques contribue à rallier un nombre croissant de citoyens au slogan du «tous pourris». Elle alimente aussi une exigence toujours plus grande de probité et de transparence de la part de ceux qui gèrent les affaires publiques. Ces derniers ont beau jeu de mettre en avant leur désintéressement et leur sens du sacrifice… Mais ils contribuent par là à faire oublier que la politique moderne est devenue une véritable profession, exercée par des agents devant vivre non seulement «pour» mais aussi «de» cette activité, selon la formule de Max Weber. Souvent déniée par les acteurs eux-mêmes, comme si elle contrevenait à l’idéal démocratique, cette professionnalisation comporte plusieurs dimensions qu’il faut distinguer.
La politique est, tout d’abord, devenue une affaire de spécialistes. Ce que l’on peut regretter, mais qui ne fait qu’illustrer la complexification croissante de nos sociétés et de la division du travail toujours plus poussée qui l’accompagne. Administrer une collectivité ou concevoir des lois demande des savoir-faire avancés et un travail chronophage. 
L’indemnisation des élus, ensuite, a constitué une condition nécessaire de l’ouverture de ces fonctions à d’autres couches sociales que les aristocrates et les grands bourgeois, qui les ont longtemps monopolisées. Obligés d’abandonner leur activité antérieure, ces élus issus de la petite et moyenne bourgeoisie avaient alors un intérêt crucial à ce relèvement pour préserver leur train de vie. Mais ces nouveaux «entrepreneurs politiques» doivent aussi s’appuyer sur une équipe importante de collaborateurs pour organiser leurs campagnes et leurs activités, une fois élus. 

Abus de(s) pouvoir(s) 
Quelle que soit sa vertu personnelle, le soupçon de corruption plane au-dessus de tout homme ou femme politique. Mais, là encore, le terme recouvre des phénomènes d’ordre divers. C’est pourquoi, comme le montre le politiste Pierre Lascoumes, la corruption peut être définie d’au moins trois manières différentes : comme abus d’une fonction publique, comme atteinte aux principes démocratiques et, enfin, comme transaction entre acteurs publics et privés.
Mais, paradoxalement, si l’opinion condamne franchement la corruption dans son principe, elle se montre souvent amène vis-à-vis de ceux qui sont pris la main dans le sac. Une équipe de chercheurs français emmenée par Pierre Lascoumes a mis en évidence quatre attitudes distinctes vis-à-vis de la corruption. Si les «tolérants optimistes» la considèrent comme un phénomène  «normal», les «dénonciateurs pessimistes» l’envisagent, eux, comme «importante et grave». Entre ces deux pôles, les «pragmatiques inquiets» la réprouvent tout en l’estimant mineure, et les «réprobateurs réalistes» la considèrent répandue, mais font preuve d’une certaine tolérance à son égard, l’envisageant comme un (moindre) mal nécessaire. Cette géométrie variable des jugements révèle surtout des tensions entre intérêts individuels, intérêts collectifs et intérêt général «inhérentes à toute société organisée», souligne Pierre Lascoumes.  Au flou de la caractérisation des pratiques, semble donc répondre l’ambivalence de l’opinion. 
Certains chercheurs proposent ainsi de parler de «complexe de la corruption» pour désigner «l’ensemble des pratiques d’usage abusif (illégal et/ou illégitime) d’une charge publique profitant des avantages privés indus». 
Ils distinguent sept «formes élémentaires» : la commission (rétribution d’un intermédiaire pour l’accès à une ressource publique), la gratification (remerciement après coup), le piston, la rétribution indue d’un service public, le tribut ou «péage» (sans contrepartie), la «perruque» (usage privé d’un bien public) et le «détournement» (appropriation d’un bien public).
 Or, ces pratiques se retrouvent à toutes les échelles et dans tous les endroits du monde.  Le clientélisme, par exemple, est loin d’être l’apanage des seuls pays pauvres ou en développement, comme le laissent penser nombre d’«experts» et d’organisations internationales. Le rôle des «machines» dans la structuration de la démocratie étasunienne est bien documenté. Loin de se réduire à un simple «achat de voix», son analyse révèle des rapports élus/administrés moins asymétriques qu’on ne le pense souvent. 
Le problème principal est alors moins l’existence de pratiques clientélistes que le fait qu’elles renforcent la domination, non pas tant des élus sur la population, mais de certains groupes sociaux sur d’autres. 

Les «riches» gangrènent la politique ?
A trop dénier la nécessité du financement de la vie politique, on s’empêche finalement de saisir les véritables facteurs de la «capture» des postes et des décisions publics par certaines catégories d’acteurs. La dérive ploutocratique à laquelle la professionnalisation de la politique devait faire barrage, selon Max Weber, semble ainsi particulièrement patente aux Etats-Unis. 
En 2012, pour la première fois, plus de la moitié des membres du Congrès américain était constituée de millionnaires (268 élus sur 534). Mais surtout, alors que les dépenses de campagnes électorales ne cessent d’exploser (6,6 milliards de dollars en 2016), les «fat cats donors», donateurs particulièrement fortunés, jouent depuis plus d’un siècle un rôle décisif dans leur financement. Le rôle des grandes firmes s’est accru, notamment depuis 2010 avec un arrêt de la Cour suprême levant toutes les barrières à leur intervention dans les campagnes au nom de la liberté d’expression. 
L’influence de ces «généreux» contributeurs est cependant moins directe qu’il n’y paraît : elle se traduit surtout par l’introduction de dispositions dites d’«intérêts spéciaux», ajoutées anonymement aux propositions de lois par les parlementaires et souvent taillées dans l’intérêt d’une firme particulière. 
Il faut citer également les «political action committees» (PACs), organisations spécifiquement dédiées à la collecte de contributions financières, qui jouent un rôle croissant dans le financement des campagnes depuis les années 1970. Or, leurs fonds abondent à près de 90% les candidats sortants entravant ainsi le renouvellement des élus. 

La politique autrement
De ce point de vue, le contrôle plus strict du financement en contrepartie du versement de subsides publics aux candidats et aux partis, qui existe dans de nombreux pays, paraît salutaire au vu des affaires récurrentes de détournements et d’abus qui ont émaillé la chronique judiciaire avant sa mise en œuvre.
Ce système favorise toutefois une cartellisation du système politique au profit des installés (nécessité d’un apport personnel, remboursement à partir d’un seuil de pourcentage des voix aux présidentielles, subventions aux partis fondées sur leur score lors des élections législatives au-dessus d’un certain plancher, etc.), malgré un plafonnement des dépenses. 
L’influence du secteur privé sur le public va cependant bien au-delà de la seule dimension financière. De nombreux travaux ont ainsi mis en évidence la pénétration de l’idéologie managériale dans les services de l’Etat. Cela se traduit dans un mouvement de «réforme» modelé sur la performance marchande, déployé avec le concours de consultants privés.
Selon divers analystes, c’est à un véritable brouillage de la démarcation public-privé que nous assistons. Il se repère notamment à l’élargissement d’un champ du conseil privé au public et à la banalisation d’un nouveau pantouflage vers le droit des affaires, la réorientation de l’Etat vers un rôle de régulateur des marchés économiques s’effectuant en alliance avec les principaux acteurs de ces derniers ou par la montée des partenariats public-privé (PPP). 
Un peu partout dans le monde, les lois actuelles pour accroître la transparence ou lutter contre les conflits d’intérêts apparaissent bien insuffisantes face à l’extension continue de cette zone grise où s’imbriquent intérêts privés et intérêts publics. Elle appelle, selon les politistes, une véritable politique de séparation entre Etat et marché.
Synthèse LSC

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