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Rubrique Culture

Les derniers jours de Muhammad de Hela Ouardi Enquête au scalpel et déconstruction d’un mythe

Les derniers jours de Muhammad est une enquête sur la mort du prophète de l’islam, richement documentée par des sources sunnites et chiites, truffée de détails plutôt surprenants et surtout en nette contradiction avec les récits apologétiques propagés depuis des siècles. 
Hela Ouardi est professeure de littérature et civilisation françaises à l’Institut supérieur de sciences humaines  de l’Université de Tunis et chercheure associée au Laboratoire d’études sur les monothéismes au CNRS. Elle publie son premier ouvrage en 2016 en Tunisie et en France, ensuite en 2018 en Algérie chez les Editions Koukou. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’une entrée fracassante dans le monde de la recherche sur ce personnage marquant de l’Histoire de l’humanité. A peine son ouvrage sorti, la polémique a très vite enflé dans certains pays musulmans et, comme souvent dans ce genre de cas, la plupart de ses détracteurs  n’avaient même pas lu le livre et se sont contentés de quelques comptes rendus dans la presse. 
Or, à bien lire Les derniers jours de Muhammad tout en consultant sa riche bibliographie, il apparaît évident qu’il s’agit ici d’un travail de longue haleine sur un épisode très peu exploré par les islamologues et les historiens. Hela Ouardi se penche ainsi sur une période politique trouble de l’histoire de l’islam où les calculs politiques, les dissensions et les luttes intestines se faisaient déjà jour avant la mort de Mohammed. S’appuyant sur des sources majoritairement musulmanes, sunnites et chiites, tantôt contradictoires tantôt concordantes, elle construit un récit inédit et cohérent sur la fin de vie d’un chef religieux, politique et militaire qui a transformé le visage de l’Arabie et du monde. Ibn Ishaq, Al Waqidi, Ibn Hicham, Al Bukhari, Tirmidhi, Tabari, Al Isphahani, Al Jawhari, etc. sont autant de sources incontournables de la Tradition qui confortent la thèse selon laquelle Mohammed n’est pas mort de sa belle mort mais bien au contraire. Ouardi expose, sans prendre aucun parti, les différentes narrations et met en exergue certaines contradictions, voire des récits à caractère mythologique et dont la rigueur de l’historien ne peut intégrer dans une approche rationnelle de son sujet. Si elle cite ces «témoignages» rapportés de l’entourage du prophète évoquant une odeur de musc et de fleur se dégageant de son cadavre, l’auteure favorise les chroniques moins fantasmagoriques qui font état d’une guerre de succession tellement féroce que le prophète y devient à la fois un poids et une caution morale pour les uns et les autres.
Alors qu’il agonisait quasiment seul dans sa chambre, en prise avec une mystérieuse maladie, ses amis les plus proches s’écharpaient déjà sur son héritage, avant de l’enterrer quasi clandestinement. Mais au-delà de cette fin tragique, Hela Ouardi aborde également certains aspects de la vie du prophète, certes déjà exposés dans d’autres biographies à l’instar de celle de Maxime Rodinson, mais qui prennent un nouveau relief à la lumière du thème central. Le rôle des femmes du prophète, notamment Aïcha, Hafsa et Fatima, y est d’une importance considérable, chacune roulant déjà pour un clan. Et en fait de clans, ce sont justement les mêmes qui agitent encore aujourd’hui la scène confessionnelle et politique musulmane qui se déchiraient à l’époque. Bien sûr, la lecture du livre de Hela Ouardi peut s’avérer difficile, voire insupportable, quand on n’en accepte pas la méthode. La foi ou la sacralisation d’un récit irrationnel et aveuglément panégyrique prennent le dessus sur une approche apaisée. Ce qui explique la controverse et les procès en apostasie que certains ont préféré opposer à l’ouvrage au lieu d’en débattre sereinement. Il n’en demeure pas moins que la méthodologie et la rigueur de cette enquête sont indéniables. Dans cette même optique, l’auteure publiera ce mois-ci chez Albin Michel son deuxième livre qui s’inscrit dans la continuité du premier : Les califes maudits : la déchirure  où elle déconstruit cette époque prétendument «idyllique» des premiers dirigeants de l’islam, «les califes bien guidés». 
S. H.  

 

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