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Rubrique Culture

Six films de femmes projetés à Alger Femmes hors des images consacrées

C’est le fruit d’une résidence de création d’un an organisée et encadrée par la cinéaste Habiba Djahnine à Timimoun dont ont bénéficié sept jeunes femmes qui réalisent là leurs premiers films autour de thématiques féministes aussi diverses que percutantes. Leurs sept films ont été projetés jeudi dernier à la Cinémathèque. 

Sadia Gacem, Kahina Zina, Wiam Awres, Leila Saadna, Kamila Ould Larbi, Sonia Kessi et Sara ont passé plus d’un an et demi à fouiller dans leurs vies et celles de leurs mères et grand-mères à la recherche d’une parole féminine qu’elles porteront ensuite à l’écran avec autant de tendresse que d’audace. Réalisés par des femmes sur des femmes, ces films révèlent non seulement un regard lucide et passionné sur la condition des femmes algériennes mais ils défendent surtout une subjectivité assumée et une force cinématographique étonnante. 

Piment rouge ou la résistance en héritage
Sadia Gacem, doctorante en sociologie et militante féministe, a choisi de questionner le code de la famille et le code de sa famille à travers un double récit mettant en scène d’une part ses amies essayant de déchiffrer avec beaucoup d’humour ce texte de loi misogyne et discriminatoire voté en 1984 et d’autre part les femmes de sa famille dont sa mère qui déambulent dans leur village en Kabylie et racontent leur vécu. 
Si les jeunes copines de la réalisatrice ne mâchent pas leurs mots pour souligner le ridicule et l’injustice du code de la famille en mettant en exergue ses articles les plus infâmes (retrait de la garde des enfants à la femme divorcée si elle se remarie ; son besoin d’un tuteur masculin pour se marier, son statut de mineure à vie, etc.), sa mère et ses sœurs sont filmées dans leur quotidien entre tâches ménagères, récit des traditions du village et évocations de ces femmes extraordinaires qui ont marqué l’histoire de leur localité. Si le dispositif épuré et efficace parvient à mettre en échos ces deux univers d’apparence différents et à faire se rencontrer deux générations de femmes dont les résistances sont complémentaires, Piment rouge captive davantage par sa dramaturgie que par sa force formelle. Le récit l’emportant souvent sur le contenant visuel, on ne vivra donc pas beaucoup de moments forts côté image. 

Le rideau : la fin de l’omerta
Egalement militante pour l’émancipation des femmes, Kahina Zina semble avoir trouvé la jonction parfaite entre cinéma et brûlot féministe. Raconté à la première personne du singulier, Le rideau va crescendo dans la mise à nu des différents harcèlements moraux et physiques que subissent les femmes algériennes. La voix off de la réalisatrice, insolente et sincère, relate dignement mais sans concession son quotidien dans la rue algérienne, la première fois qu’un homme inconnu l’a touché dehors, l’injonction au silence et à la pudeur faite aux femmes harcelées et agressées, la sexualisation systématique du corps féminin, voire la pédophilie. Kahina alterne les formes et les métaphores pour incarner ce « dire » féminin plus que jamais nécessaire avec tantôt des passages éthérés, tantôt une rude plongée dans la réalité. Un film aussi criant que subtil qui ne laisse pas indifférent. 

Les filles de la montagnarde : condamnées à se battre ! 
Wiam Awres est la fille d’une danseuse de ballet. Sa mère et sa tante ont du grandir dans un centre d’enfants de martyrs : leurs père étant mort au maquis, leur mère elle-même ancienne maquisarde ayant été internée en 1970 suite à un stress post-traumatique. 
Filmées dans les montagnes chaouies, dans l’espace privé ou dans une salle de danse, les filles de la montagnarde se livrent à la caméra dans une admirable confession cathartique. 
Adoptant la distance nécessaire pour à la fois recueillir cette parole rare et précieuse et mettre en image ce flot de souvenirs douloureux de trois femmes héroïques (l’ancienne maquisarde bien que décédée hantera le film de bout en bout), Wiam Awres nous offre un moment de cinéma puissant où la sobriété va de pair avec une désarmante poétique. 

Dis-moi, Djamila : l’exil au féminin
L’imaginaire et le répertoire artistique populaire évoque souvent el « ghorba » (l’exil) comme étant une douleur strictement masculine. 
Leila Saadna choisit, au contraire, de questionner le trauma vécu par les femmes. Dis-moi Djamila,  que  feras-tu  si  je  meurs ? est une ode à ces femmes ayant subi l’exil de manière directe ou indirecte. 
A travers les récits de sa grand-mère paternelle dont le fils partira en France, refera sa vie avec une française avant de se suicider, et de la première femme de son père abandonnée avec ses trois enfants qu’elle prendra en charge seule en bravant les interdits de la société, la réalisatrice nous offre l’envers d’un phénomène où très souvent seuls les hommes sublimaient leur chagrin et leur exil et où la parole de la femme est rarissime. 

Selon elle : dialogue 
intergénérationnel 
 Face à sa mère qui repasse le linge, Kamila Ould Larbi s’interroge sur ce qu’elle veut faire dans la vie, sur sa condition, son avenir… 
Avec humour et légèreté, la maman semble incarner cette femme algérienne ayant réussi à instaurer un équilibre parfait entre son besoin d’indépendance et le respect des normes sociales. Truffé de piques et de sarcasmes savoureux, ce dialogue illustre le double rôle de la mère dans la transmission de cet instinct de liberté et d’émancipation mais aussi dans le maintien la défense d’un certain ordre social non pas tant par perpétuation de la tradition mais pour la protection de ses filles. 

Nnuba : 
poème libertaire kabyle
Si nous avons passé le plus clair des films précédents dans un espace plus ou moins fermé, nous avons une bonne bouffée d’oxygène avec Nnuba de Sonia Kessi qui va à la rencontre des bergères de son village à Bouzeguène dans les montagnes de Kabylie. 
Elle filme une tradition solidaire millénaire qui consiste en l’exécution des travaux des champs à tour de rôle entre les femmes du village. 
Ponctuées par des chants, des poèmes récités ou improvisés, des récits de vie et de guerre, ces images d’une extrême beauté nous font rencontrer des femmes libres, insolentes et insoumises qui, malgré leur âge et les souffrances endurées, nous subjuguent par l’éternelle jeunesse de leur esprit et leur résistance à la fatalité et à la domination de quelque bord qu’elle soit. 
Sarah H.

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