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Rubrique Culture

Idir n’est plus Trempé de terre et de lumières

À la différence des autres chanteurs de sa génération, Idir était ce membre invisible de la famille, cette présence semblable à la légende de l’«aessas» (gardien). Aujourd’hui, ce sont des enfants de trente et quarante ans qui le pleurent. 
A la veille de son concert-événement à Alger début 2018, le Soir d’Algérie interviewait longuement un Idir serein, sûr de lui et incapable de travestir ses pensées. Ses déclarations concernant le pouvoir en place avaient d’ailleurs remué le panier de crabes en haut lieu mais à un membre de son entourage qui lui demandait de nous envoyer une mise au point, essayant même de le convaincre que j’avais déformé ses propos, il opposa un « non » ferme et non-négociable. 
Loin de la posture politiquement correcte que d’aucuns auraient pu adopter en pareille circonstance, l’artiste refusait autant de s’adonner à la justification quant à son absence de près de quarante ans qu’à la compromission avec ses « hôtes » de la Coupole. Il incarnait alors une certaine idée de la liberté, celle qui a traversé ses chansons et qui s’instillait subtilement dans les cœurs et les corps de ses auditeurs. 
Bien sûr, il y eut Vava Inuva (1973) écrite par l’immense poète Ben Mohammed, mise en musique et chantée par un jeune « Ayennawi » (natif d’Ath Yenni) âgé alors de vingt-quatre ans. C’est l’œuvre fondatrice d’un répertoire littéralement hanté par la paysannerie kabyle, ses beautés, ses noblesses, ses blessures et ses révoltes. Il y a là en effet les ingrédients essentiels que l’on retrouvera par la suite, plus affinés, plus complexes : la rencontre heureuse entre un « état d’esprit » kabyle solide comme une montagne et une musique sans nationalité mais gorgée de terre et de sang. 
Parmi les géants de sa génération (Ferhat, Aït Menguellet, Djamel Allam, Matoub…), il était peut-être le seul à échapper gracieusement aux étiquettes : ni typiquement révolutionnaire, ni sage, ni moderne ni «rebelle» ! Il était probablement tout cela à la fois mais avec un plus indicible, ce quelque chose d’aérien et de paradoxal qui donnait une sensation de nager dans un océan de racines, de planer dans des cieux inconnus avec un énorme « paquetage », léger néanmoins, remplis de siècles et d’ancêtres… 
Les chasseurs de lumières (1993) est l’album qui illustre le mieux ce magma émotionnel où les mains plongées dans les tréfonds du sol finissent par trouver la clé de l’univers, où la voix emmêlée à la rumeur des champs et des fontaines devient aussi multiple et insaisissable qu’un écho. 
Idir était «trempé» d’une terre qu’il aura sublimée dans ses moindres détails : si, en allant dans un village kabyle, on ressent la poésie brute et rugueuse de la vie en montagne, l’artiste a étoffé notre capacité d’entendre et de voir au-delà de l’audible et du visible ; il a enrichi nos sens et notre perception de la Kabylie, loin des slogans et des représentations folkloriques, plus loin que les éléments classiques qui façonnent, bon gré mal gré, notre imaginaire collectif. 
De la mère agitant sa calebasse en chantonnant, aux villageois s’entraidant dans « Tiwizzi », en passant par le bœuf reprochant son ingratitude à l’homme qui s’apprête à l’égorger après des années de labeur, l’enfant qui se souvient de tout, la mort qui frappe à l’aveugle, l’exilé volontaire accompagné par les bénédictions des siens… 
Idir fouillait dans sa mémoire sensorielle et la nôtre et lui faisait dire autre chose qu’une banale évocation d’un monde heureux et paisible. L’empathie et l’intimité avec lesquelles il chantait la Kabylie rendaient à celle-ci toute sa profondeur en tant que lien affectif mais surtout en tant qu’incarnation d’un certain nombre de valeurs résolument universelles, dont la plus éblouissante est ce contrat d’honneur scellé avec le vivant. 
Hamid Cheriet (1949-2020) confiait à un ami, il y a de cela quelques années, qu’il aimerait que ses cendres soient dispersées sur le Djurdjura. En ces temps de confinement et de fermeture des frontières, ce vœu ne sera probablement pas exaucé mais lui, qui a si bien chanté l’intemporalité et la transcendance, trouvera certainement un repos mérité dans les bras de son amante de toujours : la terre.  
Sarah Haidar

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