S'il est un terme qui aura marqué le vocabulaire politique, voire
l'actualité nationale de cet été, c'est bien «limogeage» ! On ne sait
comment, ni pourquoi, cette infamante qualification d'un acte somme
toute habituel — le remplacement des cadres civils et militaires — a
pris le dessus dans le traitement informationnel de ces décisions qu'on
traitait depuis des lustres comme des opérations de changement normales.
Cette violence verbale est condamnable même si, dans certains cas, il
s'agit bel et bien de limogeages en bonne et due forme. Mais, pour le
reste, a-t-on pensé à l'honneur de ces gradés et commis de l'Etat qui
ont servi fidèlement l'Etat et se sont même parfois sacrifiés pour la
sécurité nationale et le bien public ? Il faut revoir la formulation et
cela est de la responsabilité des sites d'information et de la presse
d'une manière générale. Il faut aussi relever que cette manière de
procéder, sans donner les raisons de ces «limogeages», est un signe de
sous-développement chronique et le propre des républiques bananières. Au
dessus de la mêlée, existe le chef suprême, le leader incontesté, celui
qui nomme, dégomme, décide, annule, supervise, oriente... la source de
tout ce qui régente l'Etat et organise la vie de la nation. Cette
personnalité, qui est parfois déïfiée, comme en Corée du Nord, échappe à
tout contrôle et à toute critique. Dès lors que les décisions de
«limogeages » sont prises en son nom, nul ne peut les contester. Tout le
monde doit s'exécuter sans broncher ! Nous sommes aux antipodes de la
démocratie car la personnalité incriminée n'a aucune possibilité de se
défendre ou de présenter un recours. Ce serait un crime de lèse-majesté
! Elle doit s'écraser et ne point montrer le moindre signe de
mécontentement car le chef a raison, toujours raison ! Ainsi se crée et
se développe un système de larbinisme qui met en péril les vertus
cardinales de la liberté et de la justice. Un système où l'on baisse la
tête pour survivre, un système où gérer sa carrière par le silence et
les petites lâchetés devient la ligne de conduite privilégiée des femmes
et des hommes qui acceptent tout poste de responsabilité. L'on assiste
alors à la perte des valeurs morales et à l'installation de
l'opportunisme à vaste échelle, véritable course d'une cohorte de
flagorneurs qui, à défaut d'approcher l'être supérieur, vont tout faire
pour montrer leur servilité, perdant toute notion d'humanité. L'un dira
que le cerveau du chef suprême vaut mieux que tous les cerveaux réunis,
l'autre fera un parallèle avec le prophète... jusqu'aux absurdes
démonstrations à travers des portraits accrochés à l'intérieur des
mosquées ou d'un cheval offert à un portrait en pleine steppe ! Tout
être humain ayant un minimum de culture et de morale ne peut accepter de
jouer ce rôle minable de faire-valoir et de simple chaînon dans la
longue et interminable liste des panygéristes. Ainsi se déshumanisent
les rapports entre les différents acteurs de la vie publique et
s'assèchent les rouages administratifs de leur sève vitale qui est
censée apporter respect, entraide, cordialité, enthousiasme et fierté du
devoir accompli. L'opportunisme pousse à tous les excès et ce ne sont
jamais les meilleurs qui se précipitent aux pupitres, dans les
rencontres publiques, ou aux micros des télés pour passer la pommade
d'une manière éhontée. Non, les meilleurs, les intègres et les
compétents travaillent dur et ne touchent pas à un sou du bien public et
c'est leur manière de mériter la confiance placée en eux. C'est aussi
leur manière d'honorer celui qui les a choisis pour de tels postes.
Quant à ceux qui crient le plus et se montrent partout pour faire
l'apologie du leader bien aimé, il faut se poser des questions sur la
finalité de leur engagement-exhibition ! Est-ce par fidélité au choix de
leur parti ? Est-ce une réelle passion et une reconnaissance pour le
leader incontesté ? S'il est certain que de telles exceptions existent,
je me dois de reconnaître que beaucoup agissent par intérêt personnel
car ces postes de responsabilité leur permettent de profiter de la
corruption quand ils ne détournent pas directement l'argent public. Et
c'est là la dernière et la plus horrible excroissance de ce système basé
sur la peur et l'hypocrisie. Et puis, soudain, un homme refuse le
«limogeage» ! Et ce n'est pas importe qui ! C'est le président de
l'Assemblée populaire nationale en personne ! Un homme normalement au
plus haut de ce pouvoir, un responsable parmi les plus élevés de la
hiérarchie, pratiquement le numéro trois du système ! La chose n'est pas
venue d'un chef de groupe parlementaire issu de l'opposition ou d'un
subalterne tenté par une aventure personnelle. Non, elle est venue du
plus proche du sommet. Et c'est en cela qu'elle est grave, doublement
grave. D'abord par la décision saugrenue de «sauter» M. Bouhadja en
plein exercice de l'APN. Ensuite par le refus de ce dernier à céder,
créant un malaise, voire un crash politique aux conséquences
imprévisibles. Je laisserai aux experts en droit constitutionnel le soin
de juger du bien-fondé de telle ou telle décision liée à cette affaire
pour m'interroger sur les raisons profondes de ce dysfonctionnement du
système. Je pense que la mode du limogeage à tout bout de champ devait
rencontrer un jour ou l'autre une tête dure qui poserait le véritable
problème, la question essentielle : qui prend réellement ces décisions ?
En demandant à entendre de vive voix le président de la République
formuler l'ordre de son «licenciement», M. Bouhadja répond à nos
interrogations et aux supputations de nombreux observateurs. Car, si le
numéro trois pose cette condition, c'est qu'il est sûr que la décision
pourrait ne pas être celle du Président. Et c'est un nouvel épisode d'un
long feuilleton qui s'écrit devant nous, un épisode qui risque d'être
fatal pour l'actuelle législature et pour... M. Ould Abbès !
M. F.
M. F.