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Rubrique Haltes Estivales

Une île, un rêve...(2 et fin)

Sfax, qui porte le nom d'un roi numide prestigieux (Syphax), n'a plus rien de son lustre d'antan. Halte impersonnelle imposée par la longueur du trajet entre Tunis et Djerba, elle nous a permis quand même de déguster crevettes et poissons chez l'un des restaurateurs de la ville dont la réputation n'est plus à faire. Petits prix mais qualité et quantité garanties avec, en prime, une délicieuse soupe de poisson servie gracieusement en ouverture du repas ! Chez «Zitouna 2», on ne sort pas déçu même si les amateurs de vin blanc se retrouveront au régime sec puisque ce restaurant ne sert pas de boissons alcoolisées. Il faut vous dire que Sfax, comme beaucoup de villes tunisiennes, est une cité conservatrice où la pratique religieuse s'affiche partout. D'un quartier à l'autre, le son des muezzins vous accompagne mais sans excès acoustique, ni agressivité. Quand le Coran est récité par de belles voix, il s'écoute aussi bien par les religieux que par les amateurs de sons magistraux. Traditions et modes venues du Golfe s'entrechoquent dans un flou idéologique qui favorise l'émergence des courants islamistes. L'ouverture démocratique se fait toujours en faveur des mouvements religieux et au détriment des autres partis. La mairie de Sfax a été remportée par Nahda et ce ne fut guère une surprise, même si la ville, proche des gisements miniers de la Tunisie occidentale et principal port d'exportation du phosphate, s'était forgée une tradition syndicale qui alimenta durant longtemps la lutte ouvrière. Le soir venu, et contrairement aux autres cités du littoral, le centre-ville de cette cité industrieuse et bouillonante de mouvement, se replie sur lui-même et affiche morosité et apathie dans l'obscurité des rues mal éclairées. Les commerces ferment tôt et les rares noctambules se ruent vers les boulevards périphériques où des cafés modernes bien agencés, avec de grandes terrasses aérées, accueillent les amateurs de chichas et thé à la menthe. Ambiance de ville algérienne de la fin des années 1970 : au centre-ville, quelques bars regorgent de buveurs qui commandent leurs bières par dizaines, dans un tohu-bohu infernal qui brise le silence imposant des alentours. Un autre café-bar aux grandes baies vitrées n'a pas trouvé mieux que d'éteindre ses lumières pour empêcher les curieux d'observer ses clients s'adonner au culte de Bacchus. Sfax a bel et bien une façade maritime mais l'état des lieux est désolant : pollution et saleté marquent cette corniche qui vous indisposera par ses odeurs nauséabondes très fortes. On ne parle pas encore de tourisme balnéaire à Sfax. Direction : Djerba. Nous évitons l'autoroute pour une nationale qui ne s'éloigne pas trop de la mer. Impression du déjà vu : l'Algérie de mes reportages d'antan s'ouvre devant moi comme un album de souvenirs. Je suis du côté de Laghouat ou Brizina : même paysage steppique, même route rectiligne et lassante, même ciel bleu et mêmes hameaux ôcres sous les premiers palmiers. La seule différence est cette mer proche qu'on suit à travers la vitre, attendant d'y voir une «éclaircie» bleue au milieu d'une omniprésence grisâtre qui traîne comme un fleuve cauchemardesque. Des plages rocheuses et envahies par les algues s'étendent à perte de vue. Pour se rendre à Djerba, on a le choix entre le bac de Djorf qui débarque à Adjim et un pont qui relie l'île au continent par Zarzis. On nous dit que l'état de la seconde route est déplorable à cause des travaux de réhabilitation. Nous optons pour le bac malgré la longue chaîne de voitures. On attendra près d'une heure trente malgré la présence de trois bacs qui font le va-et-vient entre le continent et l'île, distante de quelques kilomètres. Le bac vogue vers le petit port d'Adjim au charme désuet. On entre dans l'île comme on entre dans un rêve. Lumières d'un monde nouveau et pourtant si ancien, un monde où se mélangent couleurs et odeurs, dans une formidable débauche de blancheur à peine perturbée par le bleu de la mer et celui des boiseries et du fer forgé. C'est aussi un monde de liberté où vous ne ressentez aucune pesanteur, aucune limite à votre soif d'évasion... Peut-être que l'esprit de l'île vous enveloppe dès l'arrivée, cet esprit présent depuis des siècles et qui a attiré tous les hérétiques et les dissidents qui refusent l'ordre établi, notamment en matière de religion. La communauté musulmane kharéjite et berbérophone y a trouvé refuge depuis des lustres, aux côtés de nombreuses familles juives dont les ancêtres se sont établis ici au cours du VIe siècle avant JC, fuyant la répression de Nabuchodonosor qui détruisit Jérusalem. Tolérance et vivre-ensemble, tradition et liberté sont les marques de Djerba, l'île qu'il faut absolument visiter pour pénétrer l'âme tunisienne et aller à la rencontre de ce qui est vraiment authentique dans ce pays livré aux modes éphémères et dérisoires du tourisme de masse. Il faut sortir des rangs, quitter le «bétail» humain déversé par les avions low coast et le bronzage garanti pur idiot, pour se tailler un programme à soi qui vous emmènera dans les dédales d'une histoire mouvementée dont chaque coupole, chaque ruelle, chaque crique, chaque roche, chaque souffle chaud sur les palmiers debout, portent le poids séculaire. Djerba s'est forgée dans les résistances et les douleurs. Sa population a connu les affres de l'occupation et les passages dévastateurs des envahisseurs. Pourtant, tout commence par la beauté épique du poème d'Homère qui en fit une halte marquante du voyage d'Ulysse. Mais, très vite, les cieux s'obscurcirent : les visiteurs suivants ne sont pas aussi nobles et romantiques. Les bateaux qui débarquent sur ces plages au sable fin et à l'eau claire sont chargés de haine et de terreur. Mais ce sont les corsaires barbaresques qui laisseront le tableau le plus sanglant. Avec les crânes pris sur les cadavres de leurs victimes, ils bâtirent une pyramide de l'horreur qui terrorisa la population locale jusqu'en 1948, date de sa démolition sur ordre du bey de Tunis. J'ai erré sur des plages désertes aux premières lueurs de l'aube, à la naissance du jour nouveau qui se faufilait entre les palmiers, dans le rouge et or des cieux et leur reflet flamboyant sur une mer apaisée et j'ai vu les chevaux au lointain. Dans leurs nonchalantes galopades, j'ai vu l'ancien monde, un mélange de douceur et d'horribles scènes de carnage. Mais je suis resté sur la beauté et l'élégance, j'ai oublié le mal fait aux hommes pour ne retenir que l'indomptable élan fraternel d'un musulman ibadite, parlant un berbère très proche du chaoui, serrant dans ses bras un voisin juif. Tunisiens avant le reste... J'ai promis aux vents visiteurs et aux oiseaux migrateurs qui les portent de si loin, j'ai promis aux vagues rebelles chargées d'algues envahissantes et aux palmiers maîtres majestueux des lieux, j'ai promis à Ali, serveur au restaurant du «Hary Club» qui m'a invité à Tataouine, sa ville natale, j'ai promis au port et à la Ghriba que je reviendrai avec une valise pleine de mots d'amour pour cette île paradisiaque que j'ai quittée par une matinée pluvieuse, après une nuit d'éclair et de foudres déchirant l'océan. Comme j'aurai voulu être jeune pour m'embarquer dans Djerba by night et revivre les folies d'antan à la Madrague et Fort-de-l'eau. J'aurai voulu être riche pour jouer au Casino et croire qu'au jeu, on ne perd jamais. J'aurai voulu vivre ici et me nourrir d'eau et de poisson, courir sur les plages désertes et dessiner des cœurs sur les troncs des palmiers ou bâtir des châteaux de sable... Djerba s'éloigne et derrière le bac qui file vers le continent, j'ai l'impression que j'ai laissé un monde que je connais bien et qui m'a apporté beaucoup de bonheur. Trois jours et c'est déjà un souvenir. Triste et beau à la fois. Je ne sais plus. Tout ce que je sais est que je reviendrai...
M. F. 
PS : sincèrement et sans aucune démagogie, je pense que les libérateurs du pays, ceux qui, au cours des années 1990, ont sauvé l'Algérie d'une destruction certaine, méritent autant que les premiers libérateurs. En termes de reconnaissance, d'honneur et de... montant des pensions ! Djounouds, gendarmes, policiers, gardes communaux, groupes de légitime défense et patriotes, la patrie vous doit reconnaissance éternelle !

 

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