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Rubrique Ici mieux que là-bas

Bisbilles avec mon calendrier

«Vous avez la montre, nous avons le temps.»
Proverbe africain

Récurrente et lamentable impression d’avoir lu et relu, et  mille fois, ce type de chronique empesée. Limite délétère ! Pitch : une année s’effiloche, une autre rassemble ses troupes pour partir à l’assaut… !  De quoi ? Fin ! Où et comment débusquer une quelconque originalité là-dedans ? Nulle part, bien sûr. Du déjà vu ordinaire !
En vérité, il n’y a pas grand-chose de follement  folichon sur quoi gamberger, enserré à la lisière de deux séquences relativement artificielles ! Pourquoi artificielles ? Eh bien, parce que l’année telle que nous la connaissons depuis le pape Grégoire XIII qui, en 1582, rectifiant les «dérives» du calendrier julien, organisa le temps en 12 mois de  durée inégale, est œuvre humaine, donc procédant d’une convention. Les autres calendriers - hégirien, berbère, chinois, persan, arménien, indien, copte, éthiopien - décomptent le temps autrement et à partir d’un point de départ différent de la naissance supposée de Jésus-Christ tout en procédant de la même logique conventionnelle. Sauf que, à des degrés divers et dans un processus de conquête et de domination à travers les siècles, le calendrier grégorien a fini par s’imposer à tous. Il est aujourd’hui la norme internationale régie par la norme ISO 8601.
Presque tous les calendriers ont à tout le moins une inspiration religieuse. Au 19e siècle, changement de ton concernant le temps. Des mises en cause de l’origine chrétienne du calendrier vont culminer dans l’élaboration révolutionnaire d’un calendrier républicain en France qui opère une coupure avec la connotation religieuse et monarchique du calendrier grégorien. Le philosophe Auguste Comte élabore un calendrier positiviste, affranchi de tout cordon religieux. Mais le grégorien persiste. Avec les mouvements de libération et d’émancipation à partir du XXe siècle, les autres calendriers ont fini par s’affirmer parfois au forceps comme Yennayer dans nos pays, nous livrant pieds et poings liés à une forme de schizophrénie temporelle. Le comportement caméléonien vis-à-vis du temps, donc du travail et de la vie sociale, finit par nous dérouter dans la mesure où la conception du temps, c’est-à-dire de la quantité d’heures consacrées à telle ou telle activité humaine, de la ponctualité, etc., n’est pas uniquement un paramètre technique de mesure mais un élément métaphysique qui renvoie à la civilisation. Passer d’un calendrier à l’autre, c’est souvent enjamber le no man’s land entre deux civilisations.
Mais trêve de philo à deux balles ! L’expérience du temps est aussi pratique. Les gens qui voyagent à travers le monde le savent d’expérience. Un rendez-vous de travail à Alger ou à Paris, à Nouakchott ou à Tokyo ne sollicite pas les mêmes réflexes, ni le même empressement.
Jadis, à la fin des années 1970, j’avais été impressionné par cette posture rigoureuse face au temps lors d’un séjour de travail à Berlin. Pour quelqu’un qui venait d’Alger où le temps est une richesse qu’on pouvait ramasser n’importe où, la pratique de l’exactitude et de la ponctualité prussienne me paraissait insolite. Je venais d’un pays où l’on se fixait rendez-vous en se disant : «On se voit demain.» Sans précision de lieu ni d’heure !
Cependant, cette expérience, si déterminante fût-elle, n’est pas aussi troublante du point de vue du temps que celle que j’ai eu l’opportunité de vivre à l’automne 2018 au Japon.
C’est à Tokyo qu’un Algérien a ironisé devant moi sur cette différence fondamentale. A 13 heures, un Algérien court pour faire sa prière, un Japonais pour reprendre son travail. Interprétation : pour l’Algérien, le paradis dans l’Au-delà se mérite par la génuflexion, pour le Japonais, il se construit  ici-bas.
Le réformateur musulman du XIXe siècle, Mohamed Abdou, conscient du décalage préjudiciable à sa communauté, se posait, quant à lui, la question de savoir pourquoi les musulmans prenaient du retard tandis que les autres progressaient. Pourquoi le monde musulman patine, englué  dans les sables du  passé ? Un siècle après Abdou, la question a empiré engendrant des ramifications dramatiques.  Les mouvements fondamentalistes et conservateurs utilisent le temps comme arme contre le temps : ils entravent le présent en lui posant comme obstacles le passé mythifié. C’est à croire que la maîtrise du temps – et le développement technologique qu’il permet – est inconciliable avec la spiritualité.
Tous ceux qui ont visité le Japon savent que ce n’est pas vrai. On ne peut être que profondément marqué par ce peuple en mouvement, pressé et précis, qui est dans la vitesse et non dans la précipitation, respectant le temps comme s’il s’agissait à la fois d’une divinité et d’une nécessité d’algorithme. Un pays sans ressources naturelles, ravagé par la défaite de la Seconde Guerre mondiale qui devient, 20 ans plus tard, la 2e puissance économique mondiale, n’a pu le faire que grâce à sa parfaite maîtrise du temps. Pragmatiquement, cela donne cette sentence du romancier japonais Haruki Murakami : «Traiter le temps avec soin, prudence et respect, c’est le   mettre de son côté.»
La sociologue marocaine Fatima Mernissi racontait avoir reçu des instructions de ses hôtes japonais deux mois avant un voyage à Tokyo. Quelqu’un devait l’attendre en un point précis de l’aéroport. Raisonnant en arabe, elle pensait que 2 mois plus tard personne ne se souviendrait des détails de ces instructions. Mais le jour dit, à la minute dite et à l’endroit dit, un homme lui souhaita la bienvenue à Tokyo. Une autre façon d’appréhender le temps, qui allie la vitesse à la philosophie zen. Bon, cela dit, j’ai encore des bisbilles avec mon calendrier qui, perplexe, ne veut décidément pas se déterminer. Bonne année quand même !
A. M.

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