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Rubrique Ici mieux que là-bas

Faut-il déchoir le criquet de sa nationalité de pèlerin ?

L’autre jour, deux nouvelles se sont télescopées dans mon incrédulité. La première a frappé comme un sniper, elle concerne le projet de loi sur la déchéance de nationalité. La seconde, qui n’a rien à voir avec la première, est inédite et, paradoxalement, récurrente. Partant de la commercialisation de friandises composées de criquets sur le marché américain, elle pose la question de  la légalisation de la vente de produits comestibles à base d’insectes. Chemin faisant, on apprend aussi qu’on a servi en septembre 2019 des burgers aux insectes, en édition limitée, en France !
Laquelle commenter ? La plus sensée, bien sûr !
Plein de choses sont remontées à la mémoire. Bouffer du criquet ? Ça s’appelle de l’entomophagie. Répugnant ! Ecœurant ! Pourtant tout cela est relatif. Les criquets comme les sauterelles, les grillons et autres orthoptères évoquent certes l’idée d’invasion, de nuées et de destruction vorace. Ça bourdonne, ça grouille, ça bruisse, ça vole en escadrille obscurcissant le soleil et s’attaquant en piqué aux récoltes. Et quand ça disparaît, c’est la désolation. Manger ça, non !
Cette métaphore de l’invasion dévastatrice a inspiré à Slimane Azem l’une de ses chansons anticolonialistes les plus célèbres, Efegh ay ajrad tamurth iw (Sauterelles, quittez mon pays !).
Pour une fois, on est en avance sur les États-Unis et le monde occidental qui découvre à peine les bienfaits écologiques et nutritionnels de l’entomophagie. Au milieu des années 1970, j’avais été invité dans une famille paysanne française alimentée en préjugés ordinaires concernant l’inégalité des habitudes alimentaires entre les coutumes « barbares », les nôtres, bien sûr, et les coutumes « civilisées », les leurs, évidemment. J’avais raconté en passant à la maîtresse de maison un souvenir d’enfance. À Laghouat, où nous vivions, en 1956 ou 1957, nous avions subi l’une de ces funestes invasions de criquets pèlerins. En lieu et place des cacahuètes, nous, les gamins, achetions au marché des cornets de criquets grillés à la saveur de crevette dont nous nous régalions. Elle eut un haut le cœur de dégoût. Sur ce, elle servit une plâtrée de cuisses de grenouilles. Je lui fis remarquer que ses cuisses de grenouilles étaient, à mes yeux, bien pires que les criquets d’autant que ces insectes sont connus pour ne se nourrir que de végétaux, donc de denrées saines dans des milieux sains, tandis que la grenouille patauge dans les marécages et elle est carnivore. Certaines espèces de grenouilles sont carrément cannibales. Ça bouffe de la… grenouille.
À propos de la relativité des coutumes et de cette supposée supériorité de celles des Occidentaux, me revient cette autre histoire. Nous étions au temps de la colonisation. En Kabylie, une dame dépose un grand plat de couscous sur une tombe comme le veut le rite. Dix minutes plus tard, les nécessiteux viennent honorer l’offrande. Entre-temps, un instituteur français, en conversation avec mon grand-oncle Moussa, lui-même ancien instituteur, lui dit en observant la scène d’un œil goguenard :
- Dis donc, vos morts mangent du couscous !
Ce à quoi le grand-tonton répondit :
- Si les morts devaient manger quelque chose, ce serait certainement davantage notre couscous que vos fleurs.
Pour autant, le criquet, grillé ou en sauce, ou cuisiné autrement, n’est pas à proprement parler un plat national en Algérie. Il est consommé dans certaines régions du Sud et  il n’est pas rare que dans d’autres lieux, il suscite la même aversion que celle de la paysanne française. Au milieu des années 1960, demi-pensionnaire au lycée Abane-Ramdane d’El-Harrach, nous déjeunions par tablées de 10 personnes. Tous les mercredis, on nous servait de succulentes crevettes-mayonnaise. Plus de la moitié d’entre nous refusait de toucher à ces « ba’ouch » (insectes).
Mais pourquoi les crevettes considérées comme nourriture de choix suscitent-elles le dégoût dès lors que leur apparence rappelle celle des insectes ? Si les insectes sont perçus culturellement comme non mangeables et répugnants, c’est qu’ils sont souvent  associés à la saleté, à la nuisance et au danger.
On ignore, dans les pays consommateurs d’insectes, si ce sont les nôtres qui ont joué les harragas et déjoué la déchéance de nationalité ou s’il s’agit de coléoptères indigènes. Le menu est varié. Au Mexique, on raffole de sauterelles grillées, au Japon des cookies aux guêpes, tandis que les Colombiens se ruent sur les fourmis coupeuses de feuilles, les Sud-Africains sur les chenilles sans parler des Thaïlandais consommateurs de papillons et de vers de bambou.
Pas de panique, tout le monde sera servi. Selon la FAO (Food and Agriculture Organisation), il existerait 1 900 espèces d’insectes comestibles, dont les scarabées, hannetons, guêpes, fourmis, criquets, grillons bien sûr et bien d’autres encore. Bon appétit, les frères !
Il faut dire que la consommation d’insectes aurait de sérieux avantages compte tenu des enjeux écologiques auxquels l’humanité est aujourd’hui confrontée. D’abord la faible production de gaz à effet de serre, une consommation moindre en eau, une économie d’entretien de l’espèce puisqu’il suffit de 2 kg d’aliments pour  produire 1 kg d’insectes tandis que la production d’un kg de masse corporelle animale exige 8 kg d’aliments. Et puis cet atout de taille en temps de pandémie : le faible taux de transmission par les insectes des maladies zoonotiques (grippe aviaire, coronavirus)
Les insectes qui offrent une alternative aux protéines animales seraient donc une solution face à la raréfaction des ressources naturelles, à l’augmentation de la population mondiale et en conséquence aux famines. Compte tenu de l’aléa que représente désormais  la rente pétrolière, ne serait-il pas judicieux de songer à diversifier nos exportations en les élargissant aux criquets pèlerins ?
Nos criquets encornés du marché de Laghouat ont mis le temps qu’il fallait pour revenir en produit conditionné made in US. Mais nous, on préférera toujours nos criquets avant qu’ils ne soient déchus de notre nationalité.
A. M.

 

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