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Rubrique Ici mieux que là-bas

Harragas, fils de la haine de soi ou de la désespérance sociale ?

FAST-FOOD. L’autre jour, j’avais rendez-vous dans un fast-food. J’attendais à l’extérieur, rongé depuis quelque temps par cette obsession de savoir comment vivent nos harragas miraculés, ceux qui ont eu la latitude de survivre aux pièges mortels de la traversée. En passant le Styx, le fleuve du feu éternel de la mythologie grecque, on ne sait si nos migrants, désespérés, quittent un enfer pour un eldorado ou pour un autre enfer. Mais eux-mêmes, le savent-ils ? Et voilà qu’est imposée cette image vénéneuse.
Un jeune, à peine la vingtaine, barbe naissante, cheveux gras enfoncés sous une casquette froissée de velours brun, habillé à la diable, fouillait dans une poubelle. Il avait l’allure fanée et apeurée de ceux qui dorment dans la rue. Des ordures, il tirait des restes de frites, les dévorant tout en jetant alentour des regards furtifs, comme s’il était en train de commettre un délit. Quelque chose me dit qu’il était de chez nous. Je m’approchai et lui demandai : Algérien ?
Il opina du chef et déguerpit avant même que j’eus le temps de lui proposer un repas.

MÉTRO. Il y a des fois où l’on souhaiterait ne pas comprendre certaines langues, fût-ce celle qui est sa propre langue maternelle. Dans le métro, j’ai eu la déveine de me trouver à proximité d’un passager bruyant. Il hurlait littéralement au téléphone en kabyle. Si je n’avais pas compris la langue, sans doute aurais-je continué à plonger dans Les Palmiers sauvages de Faulkner que venait de me prêter Mourad Bourboune. Mais le type vociférait dans des termes si corrosifs que même les passagers qui n’y comprenaient goutte, sentaient tout le fiel de ses propos. Il appelait les feux de l’enfer sur la tête de « ces ploucs de harragas » qui envahissent la  France et qui, disait-il, sont islamistes, et qu’ils devraient donc plutôt migrer vers l’Afghanistan. C’est le sauve-qui-peut intégral! L’ange a tiré son épingle du jeu, les autres sont tous forcément des démons ! Je me suis dit que si Eric Zemmour parlait kabyle, il aurait sans doute dit pire, mais certainement pas dans le métro, et avec quelques octaves en dessous, vu le gabarit de ses cordes vocales.
Précaution – inutile ? — mais à mentionner tout de même : ce type aurait pu dire la même chose dans n’importe quelle langue. S’il le criait en version originale, cela ne signifie nullement que les Kabyles soient sur la même ligne. C’est une opinion personnelle, voilà tout. Ce n'est jamais les généralisations, hein !

CAFÉ. Dans une brasserie, nous voila attablés, une bande d'amis. Le serveur, grand, félin, se mouvait avec aisance. Il était du genre extraverti, doué d’élégance dans le contact avec les clients. Il s’exprimait en  français sans accent autre que celui des titis parisiens. Il m’entendit parler en… français. Au moment de régler la note, il me dit :
- Tanmrit !
Surpris, je lui demandai s’il avait vu un Z berbère tatoué quelque part sur moi que moi-même je ne vois point... car il n’existe pas. Ce à quoi il rétorqua, en souriant :
- Tonton, avec l’accent que tu as, tu ne peux pas cacher que tu es kabyle !
Et voilà ! Je me suis alors souvenu avoir posé la question à Idir, en 2007, dans un entretien que je lui fis, sur la persistance de son accent kabyle au bout de trente ans de vie en France. Il me répondit que cet accent aurait peut-être disparu si lui-même ne l’avait cultivé, car le perdre c’était se perdre aussi. Je ne pense pas cultiver le mien, et pourtant il persiste.
Puis le serveur se mit à déplorer, les mains au ciel, le prix des billets d’avion pour l’Algérie.
- Pour un peu, le billet pour Mars coûterait moins cher !
Et il ajouta :
- Ils veulent faire de nous des harragas à l’envers ?
PREMIER MINISTRE. Il y a une dizaine d’années, alors qu’il était Premier ministre d’Abdelaziz  Bouteflika, et que les jeunes Algériens découvraient la voie de l’émigration clandestine par mer pour échapper à l’étau qui broie, l’inénarrable  Belkhadam déclarait que les candidats à la harga, bravant la mort, étaient attirés en fait par les lumières de l’Europe. Ils prenaient des risques mortels pour revenir avec de belles voitures. À l’ignorance des pulsations de la société qu’il prétendait gouverner s’ajoutait un insondable mépris pour les jeunes Algériens, et une insulte à leur intelligence et leur patriotisme.
J’ai comme l’impression qu’au vu de la ruée des harragas de la période suivant la répression du Hirak, Belkhadam fait des émules. Ben oui, ils ne peuvent pas dire le contraire, ce serait reconnaître l’échec dû à la prédation. À la décharge de nos gouvernants, il faut bien reconnaître que le phénomène des harragas n’est pas spécifiquement algérien, même si, chez nous, il interroge sur ce casse-tête — disons — philosophique : comment diable un pays pourvu de telles richesses et de telles potentialités peut-il exposer ses enfants aux périls de la mer, mangeuse de jeunesse ?
Il y a une très forte responsabilité des gouvernants mais plus généralement, si le phénomène touche presque tous les pays du Sud dans tous les continents, il faut bien mettre en cause un ordre économique et politique mondial qui s’appuie sur le néolibéralisme sans pitié pour les plus pauvres et les plus appauvris.

ENJEUX. Dans le cas de l’Algérie, les harragas visent plutôt la France pour des raisons historiques évidentes. Le drame humain qu’ils constituent est malheureusement un enjeu entre les mains de ces monstres froids que sont les États. Si les rapports entre certains pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) comme ceux que la France accuse de ne pas accueillir leurs expulsés, attestent de l’usage de la tragédie des migrants à des fins diplomatiques, une preuve encore plus désolante et plus efficace est fournie par la manipulation de ce drame par la Biélorussie de Loukachenko qui, devant l’hostilité de l’Europe à l’égard de son régime, entend se venger en favorisant la migration clandestine pour mettre en difficulté l’Union européenne.

FAST-FOOD 2. Le jeune Algérien aperçu picorant dans les poubelles savait-il qu’après toutes les péripéties hasardeuses du voyage clandestin, il arriverait à cela ? Errer dans les villes froides à tous les sens du terme sans papiers, sans avenir, toujours sur ses gardes, crevant de fatigue et de faim, utilisé comme un épouvantail par la droite extrême ? Un jeune harrag algérien interrogé sur une radio du web, sur le phénomène Zemmour, répondit qu’il ne savait pas qui était ce Zemmour et que s’il vendait des cigarettes à la sauvette à la sortie du métro Barbès, c’était pour ne pas voler. À la question de savoir pourquoi il était venu, il répondit parce que chez lui, c’était la même chose, le rêve en moins. Mais quand le rêve dégénère en cauchemar, que faire ?
A. M.

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