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Rubrique Ici mieux que là-bas

Idir et les marabouts

Si «nul n’est prophète en son pays», on pourrait sensément ajouter, commentant la polémique autour du lieu d’inhumation d’Idir, que nul non plus n’est prophète en son… exil. Oui, Hamid Cheriet, plus connu sous le nom d’artiste d’Idir, a dû quitter l’Algérie en 1976 pour s’exiler en France sans jamais avoir renié sa nationalité algérienne, son unique nationalité jusqu’à sa mort. Et ça ne regarde que lui !
Certes, pour d’aucuns, prompts en toute circonstance à lui intenter un procès en sorcellerie, cette fidélité n’a peut-être aucun sens ; pourtant, le fait est en soi édifiant. Pour ses contempteurs, avoir quitté l’Algérie est un grave manquement au devoir de je ne sais quel patriotisme tarifé. Mais s’il n'avait pas quitté l’Algérie de Boumediene, férocement répressive de l’expression amazighe, le seul fait de disposer d’un alphabet Tifinagh menait en prison, le «jeune étudiant à lunettes», surnom donné à Idir dans les milieux de la Chaîne II de l’époque, serait-il devenu le Idir dont les deux syllabes du nom convoquent immédiatement ce fait indéniable d’avoir propulsé la chanson kabyle ­— et incidemment algérienne, eh oui ! — au rang de l’universalité ?
Idir possédait un authentique talent musical qui, partant de la volonté de défendre l’univers villageois kabyle de son enfance, a fini par imposer, non seulement la langue amazighe comme vecteur poétique et artistique de haute facture mais aussi un nouveau genre musical qui a fait connaître la culture berbère aux quatre coins du monde. Le petit Kabyle qui, dans la cour de récréation de l’école d’Aït Lahcène, captait avec un de ses camarades les notes du vent du Djurdjura dans sa flûte taillée dans les roseaux de l’oued Vereqmouch, a tant travaillé qu’il a fini par partager la scène et chanter en duo avec les plus grands artistes du moment, de Johnny Clegg à Charles Aznavour en passant par Jean-Jacques Goldman ou Karen Matheson 
 Celui qui, refusant de se produire sous son propre nom, improvisa, lors de sa toute première sortie en public, le pseudonyme d’Idir pour ne pas être reconnu de son père, a obtenu in fine la reconnaissance sincère ou convenue quasi totale depuis les anonymes du fin fond de l’Algérie jusqu’à Terbounie, des Algériens du Canada aux milieux artistiques bretons, de Macron à Angelo Merle. Seul peut-être Idir et son entourage immédiat connaissent les obstacles, les inimitiés, l’hostilité rencontrés sur le parcours qui l’a conduit au pinacle.
Mais on peut imaginer l’âpreté du chemin. Passe encore sur la réaction épidémique des ennemis héréditaires de la langue berbère et de la Kabylie, qui ont senti, à raison d’ailleurs, que sa musique fracassait les barreaux de la geôle dans laquelle ils voulaient étouffer l’identité originelle de l’Algérie ! C’était de bonne guerre de le craindre car, en effet, en réussissant à faire d’un conte traditionnel autrefois raconté au coin du Kansou et réinventé par Bedonnâmes «Le chant général» au sens que Pablo Neural donnait à celui de ses recueils de poésie qui possédait des accents de manifeste, Idir inscrit d’entrée Avala Innova comme l’hymne à la résurrection culturelle militante des Berbères. Et c’est ainsi que la chanson fut prise par les Amazighs de tous les pays.
Passe encore sur les bassesses en cours dans les milieux de la chanson, notamment kabyle, qui de tout temps ont consisté à dénigrer Idir du seul fait qu’il a gravé, à son corps défendant, son nom au firmament des artistes de valeur, la jalousie étant un mal irréfragable dans cette galaxie. Mais les plus surprenants des raids contre sa personne proviennent sans doute des milieux politiques qui lui reprochèrent de ne pas s’encarter dans tel ou tel groupe. Ils n’ont jamais envisagé que, comme pour son pays Mouloud Mammeri, la force démiurgique qui lui permettait de façonner une voie d’émancipation par la culture était issue de la liberté de créer en dehors de quelques carcans que ce soit, fussent-ils ceux de la cause qu’il défend.
A l’instar de Mammeri, Idir a tôt compris que la libération d’un peuple passait par la liberté de ses créateurs à combattre tout jdanovisme, y compris celui qui s’acclimate de l’effervescence militante de la berbérité renaissante.
L’émotion suscitée par sa disparition, au-delà du culte des morts qui est presque un atavisme de l’inconscient collectif, montre bien qu’il nous lègue des valeurs de consensus autour de l’essentiel. S’il existe «une âme nationale», elle ne peut être que l’alchimie subtile de l’interaction des âmes de chaque individu et de chaque région. Tout cela pour dire à ceux qui pinaillent au-dessus de son cadavre, malheureusement encerclé alors même qu’il n’était pas encore sous terre, pour savoir si Idir était «assez» Kabyle pour être Algérien ou pas, à ceux qui le trouvaient bon Kabyle comme le général Lee estimait qu’un bon Indien était un Indien mort, et surtout pour régler leurs comptes à ceux des Kabyles qui n’entrent pas dans le moule, que lui, Hamid Cheriet, déjà adolescent grand artiste devant l’Éternel, chantait les chants de ses ancêtres. Et ses ancêtres, eux, ont toujours su d’où ils venaient. Et ils ont toujours combattu pour aller là où ils devaient.
Parmi ceux, aujourd’hui, qui alimentent la véhémente polémique sur le lieu de son inhumation, ajoutant aux contraintes de l’épidémie à surseoir aux funérailles, certains, souvenons-nous-en, le fustigeaient lors de ses concerts de retour en Algérie en 2018, l’accusant d’accointances avec le pouvoir. La meilleure reconnaissance posthume que l’on puisse faire à Idir est aussi une forme de pudeur et d’humilité. Si nous nous sentons tous avoir, par l’affection que nous lui portons, une part d’héritage de sa flamboyante production musicale qui nous a fait nous réconcilier avec nous-mêmes, Hamid Cheriet, comme tout homme, est une personne d’abord proche de sa famille, en particulier de ses enfants. Et nous devons respecter les choix.
S’il demeure un symbole pour nous, sachant qu’un symbole ne s’enterre pas, il est de notre devoir de le faire vivre autrement que par le culte des morts. Il y a suffisamment de marabouts comme ça en Kabylie ! En revanche, on manque de festivals, de musées d’art et d’histoire, de conservatoires, etc.
En son nom, ce sont tous ces chantiers qu’il faut ouvrir pour honorer sa mémoire.
A. M.

 

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