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Rubrique Ici mieux que là-bas

L’honneur de Kherrata !

C’est comme un rêve. Evanescent, nuageux, saponacé, inconsistant ! Pourtant, ça a eu lieu. Un rêve qui est venu fracasser un cauchemar, celui de l’agonie du règne de Bouteflika, avec la complicité de ses soutiens, dont certains deviennent très vite d’ardents partisans de sa chute. Les derniers à le lâcher ont été les premiers à profiter de sa dégringolade ! C’est souvent comme ça !
On avait l’impression que la réalité apparente de la soumission indolore, de l’acceptation des pires dérives, de l’indifférence devant le pillage du pays, du mépris intériorisé, avait été, juste à cause de cette goutte d’impudeur qui a fait déborder le vase de la patience, métamorphosée en rêve de libération.
Mais, vu ce que tout cela est devenu, on est tenté d’emprunter aujourd’hui à Victor Hugo ce froid sursaut : «Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve. Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs.»
Un petit rembobinage pour situer à quel endroit la pellicule du rêve a cassé ! En ce dimanche 10 février 2019, la présidence annonçait officiellement la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat. Diminué, incapable d’assumer ses charges, remplacé par un cadre dans certaines circonstances, il suscitait une certaine pitié chez les Algériens. Mais l’acte de pousser ce moribond monté sur chaise roulante à un nouveau mandat était ressenti aussi comme une humiliation par la majorité des Algériens. Le pays exhalait depuis longtemps l’odeur putrescente du cadavre.
Les camarillas politiciennes, elles, tenaient mordicus à continuer à vider le pays de sa substance en gardant le statu quo. La veille de l’annonce, dans une mise en scène aussi grandiloquente qu’à l’ordinaire, le grand meeting du FLN au cours duquel on s’était étripé pour des sandwichs au cachir, avait désigné Bouteflika comme candidat du vieux parti. Rien de surprenant. Le RND, le TAJ et le MPA l’avaient fait avant dans un superbe mouvement d’ensemble. C’était dans le sac, personne ne trouverait à redire ? C’est ce qu’ils crurent ! Comme d’habitude !
Et voilà que ce 16 février à 10h15 exactement, à Kherrata, cette petite ville de 40 000 habitants perchée au-dessus d’un torrent, à la mémoire tuméfiée par les massacres du 8 Mai 1945, un fil se noue dans la continuité du combat pour la dignité. On sait ce que ça veut dire, par ici. Un rassemblement spontané et pacifique réunit un millier de manifestants contre le 5e mandat pendant que les autres digéraient leur cachir.
Drapeaux noirs au vent, pancartes, banderoles disent déjà ce que va être le Hirak : «Y’en a marre de ce pouvoir.» «Je suis algérien, je suis contre le 5e mandat», «Le mandat de la honte.»
Kherrata donne le ton, Kherrata sonne le gong ! La place d’où tout cela est parti est aujourd’hui rebaptisée place de la Liberté du 16 Février 2019.
Voilà, l’étincelle est lancée. La fronde est partie. Le lendemain, 17 février, une marche similaire, spontanée et pacifique, eut lieu à Bordj-Bou-Arréridj, autre foyer d’irrédentisme.
Trois jours plus tard, à Khenchela, on passe à la phase iconoclaste. Des centaines de protestataires montent sur le toit de la mairie décrocher un portrait géant de Bouteflika.
C'est que le maire de Khenchela avait voulu, quelques jours auparavant, interdire la ville aux autres candidats à la présidentielle.
A partir de là, le mouvement prend de l’ampleur, s’étoffe, se galvanise, puise dans les ressources populaires l’énergie et la confiance que la politique de culpabilisation et de mépris a fait taire. Il pousse le pouvoir à surseoir à l’échéance électorale présidentielle, avant de faire tomber Bouteflika et la partie la plus vermoulue du système. Puis il fait reporter la présidentielle à deux reprises. Il accepte le bras de fer avec Gaïd Salah, ce qui fait des centaines d’arrestations.
De vendredi en vendredi, parfois le mardi, dans les plus grandes villes du pays, il se densifie, s’élabore, produit ce quelque chose d’unique qu’on a appelé une «intelligence collective» qui en a fait un mouvement constructif et pacifique exemplaire, sans doute l’une des meilleures choses qu’a donnée l’Algérie indépendante. Il contraint les forces de la régression à inventer les pires ignominies pour le discréditer, en s’appuyant sur ceux qui se réclamèrent platoniquement de lui avant d’aller gentiment à la soupe.
On y vit la main de l’étranger, la gageure des islamistes, un loisir de dilettante de «l’élite algéroise». Ce dernier argument est particulièrement surprenant, s’agissant d’un mouvement qui a démarré à Kherrata, une ville marquée par la ruralité et le sacrifice patriotique, et dans d’autres villes de l’Algérie profonde.
Il est certain que toutes les forces politiques et policières ont joué leur jeu pour se positionner par rapport à un mouvement qui n’est pas un long fleuve tranquille. Mais une sorte de tronc commun est resté le même, ces Algériens de tous âges qui, écrasés par l’autoritarisme et la médiocrité, dépossédés jusque dans leur espace public, ont vécu le Hirak comme une kermesse. Tous ces enfants, ces vieux, ces vieilles, ces familles qui venaient renouer avec la sociabilité dans un cadre fraternel de recouvrement de leur dignité et de réappropriation de leur destin collectif, ont donné au mouvement une intensité historique qui continuera à longtemps résonner dans les annales des mouvements populaires contemporains.

Qu’en est-il resté ? Eh bien, les Cassandre ont dit que le mouvement avait échoué au moment même où il était au zénith. La pandémie est venue sauver le pouvoir. Celui-ci en a profité pour réprimer à tire-larigot, réalisant un record de détenus d’opinion comme l’Algérie n’en avait jamais connu, en si peu de temps.
Ceux qui ont tout fait pour casser le rêve savent pourtant que la force du rêve, c’est de toujours revenir.
A. M.

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