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Mouloud Mammeri et At Yanni

Mouloud Mammeri est natif d’At Yanni mais il ne leur appartient pas en exclusivité. Ils ont commémoré le 31ème anniversaire de son décès. Occasion de rappeler ses rapports avec At Yanni. Ces derniers sont connus pour avoir été des armuriers qui ont fourni une partie de l’armement aux combattants de la révolte d’El Mokrani en 1871.
Leur habileté manuelle en avait aussi accessoirement fait des faux-monnayeurs qui avaient failli mettre l’économie de la régence d’Alger en péril en 1827 pour avoir inondé le marché de fausse monnaie.
La soumission de la Kabylie en 1857 avait entraîné l’armée coloniale à interdire à la tribu des At Yanni de fabriquer des armes. La défaite de 1871 a radicalisé cette interdiction. Après cela, les artisans armuriers des At Yanni ont transféré leur savoir-faire sur la bijouterie en argent émaillé dont la tradition se perpétue à ce jour.
Les Mammeri sont originaires de Taourirt Mimoun, l’un des trois gros villages à l’origine des At Yanni qui en comptent aujourd’hui 7. Taourirt Mimoun  coiffe une colline, celle que Mouloud Mammeri rendra célèbre sous le nom de Colline oubliée.
Son père Salem était lui-même armurier en même temps qu’amusnaw. Voici ce que Mohamed Arkoun dit à propos de Salem, le père, qui « maintenait vivante et vivace la vieille mémoire du village et de la Kabylie. Da Salem était l'amîn du village : homme de confiance, dépositaire de la mémoire collective, protecteur intègre du code de l'honneur (annîf)  qui assure la sécurité des personnes, des biens, des familles, des communautés parentales.»
Mouloud Mammeri, qui n’a jamais écrit d’autobiographie, a laissé cependant de nombreux indices épars qui peuvent aider à reconstituer sa filiation parentale et intellectuelle, soit par le biais de ses romans considérés comme de la fiction, soit par de nombreux textes et entretiens.
Il y a une anecdote qui se raconte rapportée par Amar Metref et qui montre bien l’omniprésence de l’enfant dans la boutique. Un jour, un client étranger aux Aït Yanni dit à Salem en voyant le petit Mouloud jouer dans la boutique :
« - C’est ton fils ?
- Oui, répondit l’armurier
- Que Dieu en fasse un honnête homme, lui souhaita le client.
- Que Dieu l’en garde, rétorqua vivement Salem.
- Pourquoi donc ? lui demanda le client étonné.
- Si tu lui veux du bien, souhaite-lui d’être de son temps et comme sa génération car s’il devient agneau au milieu d’une horde de chacals, il sera impitoyablement dépecé. »
Mouloud Mammeri, en fréquentant cette boutique paternelle, fut donc le témoin de la transmission de tamusnaw dont il fut imprégné.
Dans ses entretiens avec Bourdieu, il nous rappelle que la fonction d’artisan qui était celle de son père « se prête très bien, nous dit-il, à la tamusni parce que l’artisan a des loisirs, des libertés, des conditions de travail qui sont plus propices que celles d’un paysan (…) »
« Dans l’échoppe d’un armurier beaucoup d’hommes passent, pas seulement les gens qui viennent faire arranger leur fusil, mais aussi ceux qui viennent pour parler. C’est un lieu de rencontre (…) Des tas de gens défilaient dans la boutique de mon père. Mon grand-père a passé délibérément tout ce qu’il avait de tamusni à mon père. C’était conscient parce que c’était lui qui la détenait dans sa génération. Il y avait là une espèce d’héritage qui était arrivé à mon grand-père qui l’a passé à mon père », poursuivait-il.
Même si Mouloud Mammeri n’était pas destiné à recueillir la tamusni, son père l’a fait baigner dans cette atmosphère. Et il semble évident que cette échoppe d’armurier a éveillé en lui l’intérêt pour la culture ancestrale qui, mélangée à la culture acquise à l’école, fera de lui l’anthropologue et l’écrivain que l’on sait.
At Yanni n'est jamais cité nommément dans l'œuvre de fiction de Mammeri. Pas plus que Taourirt Mimoun. Mais l'un et l'autre sont reconnaissables sous d'autres noms.
A propos de cette occultation toponymique, on ne peut qu'avancer des hypothèses. La première étant la volonté de Mammeri de subvertir son appartenance très forte aux At Yanni où il est revenu toute sa vie, pour lui donner une sorte de valeur universelle et symbolique. Une façon de le faire passer du particulier au général.
La seconde hypothèse est sa volonté de renvoyer à une appartenance plus générale de son village à tous ceux de la Kabylie.
Donc, quiconque connaît un tant soit peu At Yanni et l’œuvre de Mammeri retrouvera sans difficulté Taourirt Mimoun, plus qu’un décor, presque un personnage.
Voici ce que dit encore une fois Arkoun à propos de Mouloud Mammeri à l'occasion de l'un de ses retours au village: « On l'écoutait avec ravissement le soir au clair de lune, sur cette place nommée Thânsaouth dont il a évoqué la richesse poétique et la fonction socioculturelle dans La Colline oubliée. »
Dans toute son œuvre romanesque, le village kabyle est bien omniprésent. Il est évident qu'il ne peut pas ne pas ressembler à Taourirt Mimoun avec ses ruelles tortueuses et étroites, avec ses maisons périlleusement accrochées au flanc de la colline.
Mammeri lui-même avouait qu’à l’origine de La Colline oubliée, son premier roman, donc celui qui fonde un peu son œuvre, il y avait une série de notes qu’il prenait depuis des années qui concernaient des expériences de jeunes Kabyles.
Mouloud Mammeri est né à Taourirt Mimoun en 1917. Il a vécu son enfance  dans ce village où il était inscrit à l'école primaire, l'une des toutes premières fondées en Algérie en 1883. A l'âge de 11 ans, il est envoyé chez son oncle Rabah au Maroc pour entrer en classe de 6e au lycée Gouraud. Il y étudiera pendant 4 ans. Il rentre en Algérie en 1933 où on l'inscrit au lycée Bugeaud d'Alger pour y préparer ses bacs avant d'intégrer le lycée Louis-Legrand à Paris pour préparer l'École normale supérieure.
Jamais il ne se réinstallera en Kabylie.
Mais même s'il avait quitté Taourirt Mimoun à l'âge de 11 ans, Taourirt Mimoun ne l'avait jamais quitté puisque, durant toutes ces années et jusqu'à la fin de sa vie, il y revenait régulièrement.
A. M.

 

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