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Rubrique Ici mieux que là-bas

Non, le Hirak n’a pas échoué !

Non, le Hirak n’a pas échoué ! Quand bien même il s’arrêterait demain, son succès est déjà consacré, même si réussir n’était pas le but formel d’un mouvement qui procède davantage du sursaut moral que du calendrier politique. 
Personne ne l’avait vu venir. Comment alors peut-on oser prétendre  prédire  ou, pire, acter  sa fin ? Il y a  une sorte de présomption à le tenir pour fini. Qu’on le décrète comme un échec est, au mieux, une résonance de son propre échec à saisir l’originalité et la complexité d’un mouvement inédit  qui ne peut être lu avec les lunettes du pédantisme paternaliste. Ce mouvement n’est pas porteur d’une feuille de route. Il n’est pas tenu par des échéanciers politiques, même si ceux des autres ont essayé de s’imposer à lui.
Le Hirak n’a pas échoué. Il est victorieux. Sa victoire réside d’abord dans son surgissement. Le fait même qu’il se manifeste ce 22 février 2019, alors qu’on croyait les Algériens définitivement résignés à un apolitisme de la soumission plus ou moins matoise, est un exploit inespéré. Sa réussite tient aussi à cette longévité qui a pris le dessus sur toute sorte d’adversités, ce qui démontre une ténacité matricielle, pour utiliser les grands mots,  un peu comme une volonté essentielle des Algériens de recouvrer leur voix et leur place souveraine dans la conduite de leur destin. Cette prouesse s’est accomplie, et  contre la peur. Elle s’est faite contre les pressions du pouvoir, contre les détentions d’opinion, contre la propagande frappant de trahison, voire de traîtrise, les hirakistes. Elle a survécu au Ramadhan, à la canicule de l’été, aux arrestations, aux menaces de chaos.
N’est-ce pas en soi une immense victoire ?  Souvenons-nous seulement où nous en étions en janvier 2019 lorsque Bouteflika avait fait part de son arrogante intention de se présenter pour un cinquième mandat avec le soutien de toute la classe politique qui a pignon sur rue et de toutes les camarillas qui se pressaient à la mangeoire. Qui alors aurait pensé un seul instant qu’un peuple jusque-là tenu pour quantité négligeable, affublé de préjugés sur ses prétendus atavismes divers qui en faisaient une foule incivique et violente, allait, dans une culbute de l’Histoire comme on en voit rarement, sortir de façon pacifique pour empêcher le César au petit pied de continuer à sévir dans ce qui devenait une monarchie mitée par la corruption et le fonctionnement mafieux ?
Non, le Hirak n’a pas échoué ! En déjouant cette spécialité du pouvoir à attiser les clivages et les divisions  entre les idéologies, entre les partis politiques, entre les langues, les cultures et même les régions, le Hirak a réuni les Algériens dans le respect pacifique du pluralisme et des différences des uns avec les autres. Ce succès du consensus national réalisé à la base, une première depuis l’indépendance, est venu surligner de façon criante l’incapacité du pouvoir à assurer indéfiniment le sauvetage d’un système vermoulu, corrompu et corrupteur dans l’impunité.
Ce peuple considéré quelques mois auparavant comme apathique et insignifiant est parvenu à faire reporter par deux fois une élection présidentielle imposée par  le pouvoir de fait.
Non, le Hirak n’a pas échoué. Il a réussi à réveiller la conscience endolorie des Algériens dans ce que l’Algérie leur appartient comme ils lui appartiennent. Depuis l’indépendance, et plus encore ces vingt dernières années, on a joué le destin de l’Algérie sans les Algériens en les considérant non pas  comme les acteurs de la vie collective mais comme un patrimoine de sujets au service de ceux qui tiennent le pays. Le succès du Hirak est de nous avoir extraits de l’anesthésie de cette imposture. Et ce succès est irréversible, quoi qu’il advienne du mouvement à l’avenir. Cette trace-là restera, et elle est féconde.
Non, le Hirak n’a pas échoué. Au contraire, il a réalisé l’impensable : pousser le pouvoir de fait à assumer son substrat militaire ouvertement, sans le camoufler, comme ça  a été le cas depuis l’indépendance, derrière toutes sortes de paravents. Et ce n’est pas parce que, par un coup de force qui a nécessité le recours à la violence des baltaguias et des manipulations dans la communication par des médias tenus en laisse, le scrutin du 12 décembre a quand même eu lieu dans cette atmosphère surréaliste, qu’il faut signer l’acte de décès du Hirak. Si le Hirak était mort, on n’en aurait même pas tenu compte. Mais non, il était là, le jour même du scrutin.
Non, le Hirak n’a pas échoué. Il parvient, à ce jour, à drainer des milliers de manifestants, même après qu’un gouvernement soit nommé. Cette pérennité dans la manifestation depuis presque un an est exemplaire. Mais le succès du Hirak n’est pas proportionnel au nombre de manifestants qui protestent tous les mardis et les vendredis. Il réside dans l’émergence d’un  état d’esprit. Plus rien ne peut être comme avant. Le Hirak n’a eu que des succès, en dépit de reflux inévitables s’agissant d’un mouvement révolutionnaire agissant sur un réel nécrosé par près de soixante ans de jeux politiques troubles tenant le peuple à l’écart de son rôle de source de souveraineté.
Non, le Hirak n’a pas échoué. Il n’a jamais été question qu’il soit un parti politique pour qu’on le juge sur des résultats électoraux. C’est un mouvement  qui ne ressent pas le besoin pour le moment de dégager des leaders et un processus  qui construit, dans le tâtonnement et le génie collectif, le summum des contre-pouvoirs, c’est-à-dire une instance de vigilance que le pouvoir de fait ne peut ignorer. 
Le fait même que les arrestations continuent  à être opérés démontre qu’il ne laisse pas tranquille le pouvoir de fait. Jamais mouvement n’a eu une progression linéaire continue. Mais le but du Hirak n’est pas de gagner la courbe de croissance mais de garder vivace le regard du peuple sur ses gouvernants.
On jugera ce mouvement dans ses conséquences sur l’avenir. Il a déjà transformé l’Algérie dans la manière d’être perçue par elle-même : elle a cessé d’être une propriété privée de castes au pouvoir. Il doit transformer maintenant les Algériens.
A. M.

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