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Rubrique Ici mieux que là-bas

Peuple de Novembre

Bon, et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? Cette question anachronique survient au moment où, regardant une vidéo depuis les antipodes, montrant les manifestants rue Hassiba-Ben-Bouali à Alger, en ce singulier vendredi 22 février, j'entends quelqu'un clamer ce commentaire pourtant banal mais qui, ici, prend des accents épiques : «C'est un moment historique !».
Oui, qu'est-ce qu'on fait ? En termes politiques, cette question qui — parfois nait du désarroi et de la surprise — n'a pas souvent été posée en Algérie où, depuis l’indépendance, tout est programmé par les appariteurs des chambres noires, y compris certains dérapages. C'est dire la maîtrise qu'ils ont là-haut de la fougueuse monture qui nous sert de pays. Quand on sait que même les événements d'octobre 1988 étaient dans les cartons des architectes du chaos contrôlé, on ne peut que concéder chapeau bas aux bergers qui mènent les blanches brebis où et quand bon leur semble.
Les lumières des chambres noires sont-elles à ce point aveuglées par la puissance et la gloire qu'elles en oublient cette règle élémentaire de la mécanique des fluides ? Le vase peut prendre pas mal d'eau, mais c'est la goutte de trop qui le fait déborder.
Aucun vase n'a jamais supporté plus qu'il ne peut contenir. Et ça, même Monsieur De La Palice ne pourrait le démentir.
Aucun peuple non plus ne peut avaler des couleuvres à n'en plus finir. Il arrive un moment où il crie : stop ! Trop, c'est trop !
Peut-être cette ultime goutte d'eau est-elle la reconduction du même pouvoir. Déjà en 1999, l’élection présidentielle avait été remportée de façon litigieuse dans la mesure où elle avait été la conséquence de soupçons de déloyauté ayant incité tous les autres candidats à se retirer de la compétition.
Puis, il y eut ce moment d'exaltation entretenu par le talent oratoire d'Abdelaziz Bouteflika. En dépit de ses interminables discours qui, selon ses partisans, possédaient une vertu cathartique, le drame du Printemps noir puis la lente et irrémédiable érosion des institutions de l’État entamant jusqu'à l’intégrité patriotique qui consiste à faire passer les intérêts du pays avant ceux des castes d'affairistes qui ont déstructuré ce pays.
Il eut sans doute été possible de sauver les meubles si, en 2011-2012, lors de ce que l'on a improprement nommé les «Printemps arabes», au lieu d'acheter la paix sociale en distribuant primes et augmentations de salaires, subventions aux chômeurs, le pouvoir avait mis en place des reformes politiques sérieuses et profondes qui auraient permis d'associer les Algériens à la conduite de leur propre destin. Au lieu de quoi, on a continué à les déposséder des décisions les concernant, et à les ignorer.
Et voilà… De fil en aiguille, dans la déroute et la division de l’opposition et l’infantilisation de la société, on n’arrêtait pas d’enfoncer le clou, par la patrimonialisation et même la privatisation du pouvoir politique et par l’accaparement monopolisant tous les leviers de la gouvernance qui permettent la distribution de la rente. Les pires contradictions sociales, les aberrations politiques, l’approximation prébendière dans la gestion de l’économie nationale, la favorisation de l’émergence d’une caste d’affairistes plus ou moins véreux qui ont un pied dans l’argent et l’autre dans la politique, tout cela a fini non seulement par entrer dans la norme mais, en plus, l’humour populaire en a fait une nouvelle norme.
Pour tout ce qui ne marche pas ou qui paraît surréaliste, on a pris coutume de dire : «Hé ! Oui, c’est ça l’Algérie !» L’exclamation en dit long sur l’état de délabrement dans lequel le pays a été confiné.
De l’autre côté, on a fini par intérioriser avec Noureddine Boukrouh la fatalité que les Algériens ne formaient pas un peuple mais une foule. Ils étaient incapables d’une action organisée et disciplinée qui aille dans le sens des intérêts du plus grand nombre et avaient fini par être dépolitisés. Un processus d’auto-dévalorisation de soi a failli aboutir détruisant jusqu’aux défenses immunitaires qui préservent la dignité de l’individu et de la communauté nationale.
Les partisans du 5e mandat ont dû parier sur cette porosité de l’opinion publique algérienne qui a sombré dans la passivité et la démobilisation.
Quand, défiant l’évidence du mécontentement, Ahmed Ouyahia se permet non seulement de maquiller l’état d’esprit des Algériens mais de le tordre dans les sens de l’aberration en soutenant qu’ils sont heureux de la candidature du Président sortant à un cinquième mandat, on voit bien qu’on postule l’indolence des citoyens algériens. On peut dire à leur place le contraire de ce qu’ils ressentent.
Et puis, vint cette fameuse goutte… Le vendredi 22 février, on ne sait pas d’où est venu l’appel mais des millions d’Algériens sont descendus dans la rue dans toutes les régions du pays dire qu’ils existent et qu’ils ne sont pas cette masse informe et débandée à qui on donne un os à ronger et qui, en échange, accepte sans rechigner les pires choses..
Et, prenant à contre-pied les Cassandre, il n’y eut pas de casse. Pas de violence. Rien que des millions de personnes pour rappeler cette évidence qu’on ne peut mépriser impunément, selon laquelle on ne peut bâtir sans eux.
Les Algériens ont effacé, en une journée, les qualificatifs humiliants qui leur collent depuis des décennies. On retrouve, là, le peuple de Novembre. On se demandait où il était passé.
A. M.

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