Placeholder

Rubrique Ici mieux que là-bas

Un vendredi sur son 31

Je ne sais pas pourquoi la manifestation de ce 31e vendredi avait quelque chose de différent des précédentes. On a du mal à saisir en quoi. C’est quelque chose de l’ordre de la texture de l’événement. Ce vendredi avait comme de la densité. En dépit de la leçon de persévérance et de volonté du Hirak, nombre de ses partisans ont fini par trouver qu’à la longue, il s’étiolait dans des réitérations confinant à la kermesse. Eh bien, voilà, ce 31e vendredi, on est sorti du danger de folklorisation. Nous sommes dans un moment solennel où les choses peuvent prendre toutes sortes de tournures.
De même qu’on ne remerciera jamais assez Abdelaziz Bouteflika d’avoir prétendu à ce 5e mandat, ce qui a permis à un pays de se réveiller, on devrait de la même manière savoir gré à la gouvernance actuelle de son acharnement à tenter de passer en force et d’imposer une élection présidentielle. Ceci galvanise la mobilisation populaire, renforce la résolution de persévérer afin de recouvrer la dignité et la liberté de citoyen.
La texture particulière de ce vendredi tient aussi au fait qu’il flotte dans l’air comme un défi, un présage qui devrait prendre des formes constructives. Pour cela, il est évident que la balle, sans mauvais jeu de mots, est dans le camp des gouvernants qui, pour citer Aït Ahmed «ne doivent pas négocier avec leur peuple mais satisfaire ses exigences».
Ses exigences dans l’immédiat, c’est tout sauf une élection présidentielle dans les conditions de confusionnisme et d’absence de forces arbitrales neutres pour veiller à la loyauté du scrutin.
Et puis ce 31e vendredi, c’est aussi cette carte abattue par l’autorité de restreindre la liberté de circulation pour empêcher les manifestants d’autres régions de se rendre à Alger. Faire obstacle au droit de manifester par la poigne et une certaine désinvolture à l’égard de la Constitution, ne signifie pas qu’on a gagné sur les idées qui animent le mouvement. Bien au contraire, une observation pragmatique permet de constater le phénomène inverse : ceux qui, à Alger, n’avaient pas l’habitude de manifester pour différentes raisons, se sont sentis le devoir de s’impliquer pour garder au Hirak son aspect de masse, même en l’absence des renforts des autres wilayas.
Et en ce 31e vendredi, il faut dire que la marée humaine a su être à la hauteur des enjeux. Le message délivré par cette manifestation à la texture singulière est intéressant à décoder. Malgré la présence dissuasive des forces de l’ordre, le bouclage des villes comme Alger, les arrestations de plus en plus massives et de plus en plus arbitraires, au lieu de régresser sous le coup de la peur, le mouvement progresse comme jamais, mobilisant toujours davantage de monde. La détermination des citoyens s’accentue et les objectifs sont de plus en plus clairs. La logique de la hâte de l’état-major général d’organiser une élection présidentielle minute, sans doute pour recouvrer un minimum de légitimité sur le plan international, et disposer d’un instrument légal pour sauver le système, est ostensiblement et bruyamment rejetée par la population qui revendique bec et ongles la fin de l’extension des ramifications de la pieuvre, et la construction d’une transition qui mènera à un processus constituant. Deux logiques parallèles sinuent chacune sur sa ligne. L’une, celle des manifestants, légitime puisque populaire, source même de toute légitimité, veut une rupture avec le système naufrageur et les hommes qui le portent comme leur ADN. L’autre, celle des gouvernants, qui s’en tiennent à un formalisme extra-constitutionnel qui veut rétablir le toit sur un mur en ruine.
Pourtant, un rapide coup d’œil sur l’évolution des événements depuis trente et une semaines, montre qu’aucune initiative du pouvoir actuel n’a abouti et ne pouvait aboutir. Les reports de la présidentielle ont été la règle jusqu’à ce jour. La création de structures de dialogue dans lesquelles sont bombardées des personnes non représentatives des manifestants a été vaine. A force de parler tout seul, et d’agir dans la même logique de haut en bas, on oublie qu’un dialogue ne peut réussir que s’il est horizontal et que si les parties en place se reconnaissent et se respectent.
Ça ne semble pas le cas, verticalement parlant. Au lieu d’être écoutés, les manifestants porteurs de l’expression populaire sont vilipendés, accusés de tous les maux, voués aux gémonies. Ils sont disqualifiés, délégitimés, justiciables seulement de la trique et de l’interpellation.
Ils ont beau être des millions à travers tout le pays, hissant haut le drapeau national et l’emblème amazigh, signe de l’enracinement millénaire, entonnant les chants de la libération et de la liberté, appelant de leurs vœux un patriotisme vertueux et non ce patriotisme tarifé, abîmé par les dérives du système, rêvant ensemble d’un pays meilleur pour nos enfants, eh bien, on ne les entend pas. On fait la sourde oreille. On passe outre la volonté populaire.
Mais la réponse, en ce 31e Vendredi a été claire. Pour trouver une solution, il faut discuter à plusieurs.
A. M.

Placeholder

Multimédia

Plus

Placeholder