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Rubrique Ici mieux que là-bas

Vendredi treizième

C’est de quoi verser dans la superstition ! Pour rigoler, bien sûr ! Mais reconnaissons que la coïncidence a quelque chose de piquant. Non, franchement, on peut savourer. Treize vendredis durant, les Algériens manifestent avec constance et détermination, montrant que ce dont ils ont besoin,  ce n’est guère de cette alchimie tarabiscotée consistant à exhumer de vieilles momies comme Taleb Ibrahimi dont on parle beaucoup en ce moment ou quelqu’un d’autre du même acabit, pour passer le gué, mais d’un réel changement qui reconnaît au peuple algérien, composé de jeunes  majoritairement, la capacité et le droit de décider de son destin.
Ni le Ramadhan, sur les contraintes duquel les « stratèges » ont dû tabler  pour  provoquer l’effilochement du mouvement du 22 février, ni la volonté d’empêcher par la force les Algériens de se rendre dans les villes (Alger, Bordj-Bou-Arréridj, Oran, etc.) et les lieux devenus emblématiques (Grande-Poste et tunnel des Facultés à Alger, par exemple) de la protestation, ni la répression par les CRS n’empêchent le mouvement de s’élargir et de se raffermir durablement, et d’acquérir de la maturité dans sa résolution et ses objectifs.
L’autorité militaire qui, sous le commandement de Gaïd Salah, tient les leviers, semble faire le choix d’aller à l’encontre des aspirations au changement structurel — et non pas  à la retouche cosmétique — exprimées par des millions d’Algériens depuis plus de deux mois d’une mobilisation exemplaire. Au lieu de chercher les moyens d’un compromis pour une sortie de crise qui satisfasse ce profond désir de changement dont résonnent les rues algériennes depuis le début de ce mouvement, les héritiers du pouvoir qu’a été contraint d’abandonner Bouteflika préfèrent, sous prétexte de la  conformité avec une Constitution délabrée par les usages inconsidérés, revenir aux vieux bricolages pour garder ce pouvoir.
Après avoir appuyé d’une manière intéressée le mouvement de protestation à ses débuts, les tenants du pouvoir veulent fermer la parenthèse une fois que le clan adverse est hors compétition.  On se souvient que quand il s’était agi de s’élever d’abord contre le 5e mandat de Bouteflika puis très vite contre son clan, Gaïd Salah avait promis de faire sécuriser les manifestations, assurant que l’armée était avec le peuple. Mais voilà, une fois le clan Bouteflika anéanti, le mouvement populaire n’a pas oublié que le sujet n’était pas seulement ce clan qui a mené le pays au bord du gouffre mais bien le système dans sa globalité, dont sont des piliers les hommes qu’on veut recycler et faire passer pour des porteurs de solutions, eux qui ont été et demeurent le problème.
Au treizième vendredi, deux traits saillants apparaissent.
Du côté des manifestants, on voit bien que la volonté est intacte et qu’aucune intimidation ni provocation ne parviennent à rendre le mouvement coupable de violence, ce à quoi rêvent les partisans de l’instauration de l’état d’exception.
Enfin, du côté de l’institution militaire, on déchiffre les desseins de garder le contrôle du pouvoir et d’imposer des solutions qui contrarient la volonté populaire.
Cette opiniâtreté a déjà conduit, au vu des nouveaux mots d’ordre apparus ces dernières semaines dans les manifestations, à décrier le personnage de Gaïd Salah qui n’apparaît pas comme un sauveur mais bien comme le gardien d’un statu quo honni.
La balle est dans le camp de l’état-major de l’armée que même des gens comme Taleb Ibrahimi appellent à ouvrir un dialogue avec les représentants du Hirak et des partis politiques soutenant le mouvement populaire en vue d’une « solution politique dans les  plus brefs délais ».
Il n’y a pas d’autre solution que de devoir écouter le peuple. Le risque connexe, dans cette conjoncture de blocage, est qu’en plus de la défiance des manifestants pour les porte-voix de l’armée, on assiste au transfert de cette défiance vers l’institution militaire elle-même. Et les exemples pullulent dans le monde du système qui s’instaure lorsque l’armée et le peuple sont dissociés.
La lutte contre la corruption offre le spectacle de convocations, d’arrestations et d’écrou trop démonstratif pour être sincère. La surmédiatisation de la moindre convocation, montrant au passage que les médias publics n’ont pas changé d’habitude mais seulement de patron, porte un effet de diversion indéniable.
A. M.

 

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