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Rubrique Kiosque arabe

Bennabi, Abassi et Abdessabour Chahine

Quand Abassi Madani était le président du FIS, il n'était pas aussi bon orateur que son compère Ali Benhadj, et il s'exprimait en arabe littéraire, ce qui le rendait moins populaire. Ainsi lors des traditionnels meetings du vendredi, Place des Martyrs, la masse des fidèles que subjuguait Benhadj et qui l'écoutait religieusement se disloquait dès que Abassi prenait la parole. Celui-ci s'exprimait en arabe littéraire, mais même en s'aidant de formules coraniques, il pouvait juste impressionner, mais il ne parvenait pas à faire vibrer les foules comme Ali Benhadj. S'il n'avait pas les qualités de tribun de son supposé adjoint, Abassi avait su susciter, néanmoins, autour de sa personne une espèce de culte qui s'étendait jusqu'à sa voiture, chez ses fidèles. J'ai toujours été frappé par ce souci constant des leaders islamistes d'entretenir autour d'eux un rituel rappelant l'âge d'or de l'Islam, la Mercedes remplaçant la célèbre chamelle de Médine. Une scène que n'aurait pas désavouée Mustapha Al-Akad: lors de l'insurrection du FIS, on a vu surgir du groupe compact qui entourait Abassi cet appel venu de loin : «Protégez Abassi !» C'était bien dans l'air du temps puisque l'un des slogans attitrés du parti islamiste, lors de ses défilés, énonçait l'un de ses postulats majeurs : «Les ulémas sont les héritiers des prophètes.»
Retour à Médine, avec la machine islamiste à remonter le temps, où la langue française n'était pas encore assez connue pour être stigmatisée, mais où on rêvait déjà au salut des âmes de l'univers. Victor Hugo a pensé plus tard qu'il était du devoir de la France de nous coloniser, pour nous civiliser, Voltaire, lui, aurait voulu nous faire profiter des lumières du siècle, mais sans l'Islam. Comme nombre d'islamistes, déclarés ou non, qui faisaient frissonner, de toutes les manières, la France, Abassi Madani affectait de ne pas savoir le français, mais il le parlait aux radios. Aujourd'hui encore, les contempteurs de la langue française règlent de vieux litiges avec la proclamation du 1er Novembre et la plateforme de la Soummam: «let's learn english», nous disent-ils. Je fais mienne cette réaction de notre ami Aziz Boubakir sur sa page Facebook : «Nous avons perdu la langue amazighe, comme nous avons perdu l'arabe, et nous perdrons inéluctablement l'anglais pour devenir un peuple de sourds et muets sans cervelle.» Et il a enfoncé le clou en rappelant que les seuls mots d'anglais que les Algériens connaissent sont ceux-ci: «One, two, three, viva l'Algérie.» So british ! Ce à quoi Saïd Boutadjine a fait écho en rappelant opportunément que les langues se nourrissent les unes des autres, et qu'il y a même des tentatives d'instituer une langue universelle.
L'écrivain, qui anime une rubrique dans le quotidien Akhbar Elwatan, répondait, lui aussi, à ceux qui en appellent à tout arabiser, y compris l'arabe parlé, et à remplacer le français par l'anglais. Quant au français, que l'un de ses symboles, Voltaire, ait été un islamophobe, sans les connotations racistes véhiculées de nos jours par ce mot, ne semble pas avoir constitué une gêne. Malek Bennabi, l'un des idéologues attitrés de l'islamisme, ce qu'il est incontestablement, même si tel n'était pas son objectif, a utilisé le français contre le colonialisme et au service de ses idées. J'en parle parce qu'en rappelant sur les réseaux sociaux que Malek Bennabi avait appris l'arabe à l'orée de la cinquantaine, le cinéaste Bachir Derraïs a cité le nom de son traducteur. Et ce nom a fait crépiter un flash dans ma mémoire, j'allais dire d'éléphant, puisque ce traducteur n'est autre que le sieur Abdessabour Chahine, l'une des références de l'islamisme en Égypte. À partir de 1958, Malek Bennabi s'est effectivement installé au Caire où il a rejoint les quelques dirigeants du FLN/ALN qui s'y trouvaient, et où il a rencontré des gens comme Chahine. Précisons tout de suite qu'il s'agit d'une simple homonymie, et que le célèbre cinéaste n'a rien à y voir. Et c'est ce Chahine, un universitaire francisant, qui a traduit certains livres de Bennabi. 
Or, c'est un de ces livres Les Conditions de la renaissance que j'ai reçu un jour en cadeau d'un libraire cairote qui m'avait compté quelques livres le double de leur prix à Al-Azbakia. Je n'étais donc pas étonné, de passage dans la capitale durant les années soixante-dix, qu'on ne me parle que de Bennabi et, accessoirement, de Tahar Ouettar, lors de quelques rencontres. Encore que la traduction en question, dont j'ai retrouvé la fiche, est aussi signée de l'ami libanais de Bennabi, Omar Kamel Meskaoui, dont certains de mes compatriotes ont entendu parler. Dans la page de garde du livre, et en guise d'avertissement, ce dernier se présente en tant que meilleur ami, dépositaire et héritier unique des droits d'auteur du penseur islamiste. Un article du quotidien El-Watan, déniché sur Google et l'un des rares que je n'avais pas lus, évoque l'intervention de cet ami-traducteur à un séminaire sur Bennabi à Constantine, en 2005. Comme d'aucuns le font volontiers avec tous les défunts qui ne sont plus là pour démentir et qui les valorisent à titre posthume, Meskaoui s'y est présenté comme le seul ami du penseur. L'article ne dit pas si la fille de Bennabi, qui était présente, lui avait contesté cette qualité, puisque l'article fait seulement mention de son accent syrien, acquis par mariage avec un Syrien. 
Je vous ai gardé le meilleur pour la fin : Abdessabour Chahine, je l'ai beaucoup retrouvé dans l'actualité des années 90, lorsqu'il a livré un autre penseur, trop divergent pour lui, à la furie islamiste. Prédicateur réputé, il officiait dans l'une des historiques mosquées du Caire qui porte d'ailleurs le nom de son rusé et matois fondateur Amr Ibn Al'Aass, conquérant arabe de l'Égypte. A sa panoplie de prêcheur virulent, il a ajouté celle d'inquisiteur de délateur puisque c'est lui qui a lancé la chasse à courre contre Hamed Abou Zeid dans un rapport l'accusant  d'apostasie. Ce rapport rédigé dans un cadre universitaire sur un mémoire élaboré par Abou Zeid et destiné à appuyer sa candidature au poste de professeur émérite a vite débordé de son cadre. Les trompettes islamistes de la renommée ont relayé le prédicateur, suivies par les tribunaux qui ont prononcé la plus abominable des sentences: le penseur a été condamné à se séparer de sa femme, au motif qu'elle était mariée à un apostat. Comme ils risquaient de se voir condamnés pour adultère, s'ils étaient surpris en couple, Abou Zeid et son épouse ont été contraints de s'exiler à l'étranger. Dans l'euphorie de sa nouvelle célébrité acquise au détriment de l'infortuné Abou Zeid (décédé en 2010), Abdessabour Chahine a commis un ouvrage qui l'a mis au ban de l'Islam politique. 
Il a publié un livre intitulé Mon père Adam dans lequel il professait des thèses qualifiées d'existentialistes par ses détracteurs islamistes, ce qui en faisait, à leurs yeux, un émule de Darwin. Il est mort sans être parvenu à regagner l'estime de sa famille politique.
A. H.

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