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Rubrique Kiosque arabe

Des questions, pour éviter des réponses !

Quels que soient les résultats des marches populaires et pacifiques auxquelles nous assistons ou participons, depuis le 22 février dernier, il y a un acquis certain : la Nation algérienne est bien là. J'en veux pour preuve la permanence de certains slogans, la réactivité d'autres, ainsi que l'échec de la tentative de stigmatiser une région avec le coup de Jarnac du drapeau amazigh. Comme il fallait s’y attendre, les partis de la coalition, valsant il n'y a pas longtemps autour du fauteuil de Bouteflika, n'ont pas manqué d'applaudir cet interdit, selon leur vocation naturelle. Cet empressement à voler au secours d'une mesure qui n'a pas fini de produire ses effets négatifs ne fait que conforter le sentiment de répulsion et de rejet que ces partis suscitent. Quand on pense que même le sulfureux Ali Benhadj qui a passé une partie de sa vie à casser du kabyle, s'est pris d'une affection soudaine pour ses «frères kabyles», on mesure l'étendue de l'échec. Et si ce n'est pas une naissance, c'est une renaissance que ces dix-neuf vendredis ont consacrée et qui constitue désormais une réalité intangible, indéniable et invincible surtout. Trois générations d'Algériens, au moins, défilent tous les vendredis depuis plus de quatre mois, pour le crier aux détenteurs du pouvoir réel, qui s'exprime désormais à visage découvert.
Côté Hirak, si on voit certaines banderoles par lesquelles les islamistes cherchent à imposer leur vision de l'histoire, le phénomène reste assez marginal par rapport à la cohérence d'ensemble. Mais, tout comme les partis de l'allégeance, les islamistes algériens peuvent céder à la tentation de se saisir des opportunités, comme celle qui leur a été offerte par l'affaire Morsi. Le mouvement égyptien des Frères musulmans a habilement exploité la mort de l'ex-Président islamiste et ses relais locaux ont même mobilisé des groupes pour la «prière de l'Absent». Justement, notre confrère Salem Charqi réagit dans le magazine Elaph à la mort récente en Allemagne, où il était exilé, de Saïd Salmane, figure de la confrérie des Frères musulmans. Cet ancien ministre des Émirats arabes unis s'est enfui d'Abou Dhabi en 2012, alors qu'il était recherché pour son appartenance à une cellule des Frères musulmans, dissoute par les autorités. Le décès de Saïd Salmane, samedi dernier, dix jours après celui de Morsi, a été déjà exploité par la confrérie pour sa propagande politique, comme elle l'a fait pour l'ex-Président égyptien. Ce qui suscite cette interrogation de Salem Charqi qui se demande si les deux dirigeants islamistes, Morsi et Salmane, méritent vraiment que l'on prie pour le salut de leur âme.  
Pour lui, les deux défunts ont utilisé la religion pour réaliser des objectifs politiques, et aucun d'eux ne mérite qu'on fasse autant de prières et qu'on déploie autant d'éloges pour eux. S'agissant de Saïd Salmane, le journaliste cite un responsable émirati : «Certes, il est mort en musulman, et nous implorons la miséricorde de Dieu pour lui, mais ce n'est ni de la sagesse, ni de la tolérance que d'agir comme certains thuriféraires qui l'encensent. Ceci alors qu'il a trahi son pays et qu'il est mort en renégat, et la mort n'efface pas la trahison et ne fait pas du traître un héros.» Comme le note également Salem Charqi, il y a cependant une catégorie de musulmans, la plus nombreuse, qui estime qu'il faut oublier les actes du défunt et ne l'évoquer qu'en bien. C'est sans doute dans cette catégorie que se recrutent les «whataboutistes», ou adeptes du «whataboutisme», de l'expression anglaise «whatabout» (qu'en est-il de), maladie peu connue. C'est la découverte que vient de faire l'écrivaine koweïtienne, d'origine syrienne, Dalaa Al-Mufti, qui se demandait pourquoi certains ont la manie de répondre par une question à une autre question. Ainsi, si vous vous demandez à haute voix pourquoi Mohamed Salah et certains autres joueurs se prosternent sur la pelouse gorgée de crachats et de morve, on vous répondra : pourquoi certains font le signe de croix ?
Si vous demandez à certains musulmans, dits modérés, pourquoi les terroristes islamistes se font exploser dans une discothèque, la réponse sera inévitablement : «Qu'en est-il des crimes israéliens ?» Le «whataboutisme», que l'on pourrait traduire par «qu'en est-ilisme», de «qu'en est-il de», que Dalaa Al-Mufti transcrit en arabe «al-madha aanya» de «madha aan» (ماذا عن). Selon l'écrivaine qui a découvert le nom de cette affection ou de ce procédé, grâce à un internaute sur Twitter, c'est un système utilisé pour éluder un sujet et éviter de répondre. «Il a été pratiqué, indique-t-elle, en Russie dans les années soixante, précisément durant la guerre froide, et il a été utilisé par la Grande-Bretagne et l'Irlande, dans les années soixante-dix. Puis c'est Trump qui s'en est emparé, pour l'employer de nombreuses fois dans ses discours et ses échanges. Malheureusement, il est très usité par les dirigeants politiques arabes, et sur les réseaux sociaux, c'est le moyen idéal pour fuir le débat», ajoute l'écrivaine. Et elle conclut par ce conseil : si vous voulez avoir toujours le dernier mot, recourez au «whataboutisme». Si vous dites: aimez-vous la
«mélukhia ?», et qu'un quidam vous répond «qu'en est-il du gombo ?», empressez-vous de répliquer : «Et qu'en est-il des aubergines?» Et qu'en est-il du dialogue national sans Lakhdar Bouregaâ ? Et qu'en est-il de l’élection présidentielle ?
Le «whataboutisme» a-t-il un avenir ici, et va-t-il améliorer l'accompagnement du pouvoir au Hirak ?
A. H.

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